LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 774 F-D
Pourvoi n° U 21-19.352
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [E] [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 13 avril 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [E] [Z], domicilié chez M. [W] [F], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-19.352 contre l'ordonnance rendue le 4 novembre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 11), dans le litige l'opposant au préfet de police de Paris, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de M. [Z], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 4 novembre 2020) et les pièces de la procédure, le 31 octobre 2020, M. [Z], de nationalité algérienne, en situation irrégulière sur le territoire national, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une obligation de quitter le territoire français, après avoir été interpellé par les services de police lors d'une visite domiciliaire.
2. Le 1er novembre 2020, le juge des libertés et de la détention a été saisi par le préfet d'une demande de prolongation de la mesure de rétention sur le fondement de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et, le 2 novembre 2020 par M. [Z] d'une contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement de l'article L. 512-1, III, du même code.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
3. M. [Z] fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête en contestation de la décision de placement en rétention et d'ordonner la prolongation de cette mesure, alors « que la requête en prolongation de la mesure de placement en rétention doit être accompagnée, à peine de nullité, de toutes pièces justificatives utiles qui sont nécessaires au contrôle de la régularité de la procédure ; que constitue de telles pièces l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et le procès-verbal d'interpellation ; qu'en décidant pour écarter le moyen tiré de la nullité de la requête en prolongation que l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et le procès-verbal d'interpellation qui avaient été produites par la préfecture avant l'audience et débattues contradictoirement ne constituaient pas des pièces justificatives utiles, le premier président a violé l'article R. 552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020). »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 552-3 du CESEDA, alors applicable :
4. Il résulte de ce texte qu'à peine d'irrecevabilité, la requête du préfet est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, qui sont nécessaires au contrôle de la régularité de la procédure et mises à disposition immédiate de l'avocat de l'étranger, que constituent de telles pièces l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et le procès-verbal d'interpellation et qu'il ne peut être suppléé à leur absence par leur seule communication à l'audience, sauf s'il est justifié de l'impossibilité de les joindre à la requête.
5. Pour écarter le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête du préfet et ordonner la prolongation de la mesure de rétention, l'ordonnance relève que M. [Z] a été contrôlé en exécution d'une ordonnance autorisant une visite domiciliaire qui n'a été jointe à la procédure qu'en appel, mais que cette ordonnance ne constitue pas une pièce justificative utile au sens du texte susvisé.
6. En statuant ainsi, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 4 novembre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour M. [Z]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [Z] reproche à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention ayant rejeté la requête en contestation de la décision de placement en rétention et ordonné la prolongation de cette mesure.
1/ Alors que tout intéressé est en droit de contester et de voir contrôler la régularité du titre qui fonde la procédure d'interpellation diligentée à son encontre et doit en conséquence avoir communication de ce document ; qu'en écartant, en l'espèce, le moyen tiré du fait que l'ordonnance sur le fondement de laquelle les enquêteurs avaient diligenté la procédure d'interpellation de M. [Z] n'était pas versée aux débats ce qui empêchait d'en apprécier la régularité, aux motifs que les procès-verbaux de police font foi jusqu'à preuve contraire laquelle n'était pas rapportée en l'espèce et que la mention audit procès-verbal selon laquelle les policiers avaient agi en exécution d'une ordonnance délivrée par Mme [I], juge des libertés et de la détention en application de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, était suffisante pour apprécier les conditions d'intervention des policiers sans qu'il y ait lieu de produire l'acte du juge des libertés et de la détention, le premier président a méconnu les droits fondamentaux de la défense et l'article 6 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2/Alors que le procureur de la République doit être informé dès le début de la retenue administrative de l'existence de cette mesure et tout retard injustifié est de nature à porter atteinte aux droits de la personne concernée ; qu'il résulte en l'espèce des mentions du procès-verbal que le procureur de la République n'a été avisé de la mesure de placement en rétention qu'une heure après le début de cette mesure ; qu'en décidant, bien qu'aucune justification n'ait été apportée à l'écoulement de ce laps de temps, que ce délai n'apparaissait pas tardif et qu'en tout état de cause aucun grief résultant de cet avis différé n'était allégué, le premier président a méconnu les articles L. 551-2 et L. 552-13 du Ceseda (dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020) ;
3/Alors que lorsque la personne placée en rétention a émis le souhait de recourir à l'assistance d'un avocat, ce dernier doit être informé de cette demande par tous moyens et sans délai ; qu'il apparaît en l'espèce que M. [Z] a exprimé le souhait, dès son placement en rétention à 7h du matin, d'être assisté d'un avocat et que la permanence de l'ordre des avocats n'a été contactée qu'à 8h, 05, soit plus d'une heure plus tard ; qu'en décidant, bien qu'aucune justification n'ait été apportée à l'écoulement de ce laps de temps, que ce délai n'apparaissait pas tardif et qu'en tout état de cause aucun grief résultant de cet avis différé n'était allégué, le premier président a méconnu les articles L. 551-2 et L. 552-13 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020) ;
4/ Alors que le fichier Visabio est un fichier de traitement automatisé de données à caractère personnel qui comprend notamment les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des demandeurs de visas et n'est accessible qu'à certaines personnes habilitées ; qu'en écartant en l'espèce le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du fichier Visabio par une personne dont il n'était pas démontré qu'elle ait été habilitée, aux motifs inopérants et erronés que la consultation du fichier Visabio ne requerrait aucune prise d'empreintes et qu'au surplus ce fichier n'était alimenté que par le ministère des affaires étrangères, le premier président a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5/ Alors que la requête en prolongation de la mesure de placement en rétention doit être accompagnée, à peine de nullité, de toutes pièces justificatives utiles qui sont nécessaires au contrôle de la régularité de la procédure ; que constitue de telles pièces l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et le procès-verbal d'interpellation ; qu'en décidant pour écarter le moyen tiré de la nullité de la requête en prolongation que l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire et le procès-verbal d'interpellation qui avaient été produites par la préfecture avant l'audience et débattues contradictoirement ne constituaient pas des pièces justificatives utiles, le premier président a violé l'article R 552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020).
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [Z] reproche à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention ayant rejeté la requête en contestation de la décision de placement en rétention et ordonné la prolongation de cette mesure.
Alors que le recours à la rétention aux fins d'éloignement doit être limité et subordonné au principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ; qu'en confirmant, en l'espèce, la mesure de rétention, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette mesure était la seule à même d'éviter ou d'empêcher que soit compromise la préparation au retour ou la procédure d'éloignement, le premier président n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020).