LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 22-85.483 F-D
N° 01436
RB5
19 OCTOBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2022
M. [V] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 8 septembre 2022, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires italiennes, en exécution d'un mandat d'arrêt européen.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V] [D], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 19 janvier 2021, un mandat d'arrêt européen a été délivré à l'encontre de M. [V] [D], de nationalité marocaine, par le parquet général de la cour d'appel de Venise (Italie), pour l'exécution d'une peine de cinq ans et quatre mois d'emprisonnement prononcée le 13 mai 2019 par la cour d'appel de Venise, en répression de faits de viol aggravé commis le 26 septembre 2013 à [Localité 1].
3. M. [D] a déclaré ne pas accepter sa remise aux autorités italiennes. Il a été incarcéré le 16 août 2022.
4. Par arrêt du 25 août 2022, la chambre de l'instruction a ordonné un complément d'information pour recueillir des éléments portant notamment sur une éventuelle demande de reconnaissance et d'exécution de la condamnation sur le territoire français de la part de l'Etat requérant et du procureur de la République, et a renvoyé l'affaire au 8 septembre 2022.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a autorisé la remise de M. [V] [D] aux autorités italiennes en vertu d'un mandat d'arrêt européen du 19 janvier 2021, alors :
« 1°/ qu'il se déduit de l'article 695-24 du code de procédure pénale que lorsque la personne recherchée sur mandat d'arrêt européen pour l'exécution d'une peine privative de liberté justifie qu'elle est de nationalité française, ou réside régulièrement de façon ininterrompue depuis au moins cinq ans sur le territoire national et fait valoir, pour s'opposer à sa remise, que la décision est exécutoire sur le territoire français en application de l'article 728-31 du code de procédure pénale, la Chambre de l'instruction doit vérifier si l'Etat requérant envisage de formuler une demande aux fins de reconnaissance et d'exécution de la condamnation sur le territoire français, ou si le procureur de la République entend susciter une telle demande en application de l'article 728-34 du code de procédure pénale ; qu'il ressort des pièces de la procédure que par un arrêt du 25 août 2022, la Chambre de l'instruction a ordonné un complément d'information pour interroger les autorités italiennes et le procureur de la République sur une éventuelle demande de reconnaissance et d'exécution de la condamnation sur le territoire français ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la personne recherchée tendant à l'exécution de sa peine en France, que la condamnation n'est pas exécutoire sur le territoire français, faute de certificat prévu par l'article 728-32 du code de procédure pénale, sans rechercher si les autorités italiennes avaient bien été interrogées pour savoir si elles souhaitaient que la peine soit exécutée sur leur territoire ou en France, et sans faire état de la réponse qui aurait été apportée par le procureur de la République, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
2°/ qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; qu'en énonçant que les conditions légales d'exécution de la peine en France n'étant pas remplies, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée qui serait portée aux droits familiaux d'[V] [D], quand la personne recherchée faisait valoir qu'elle souhaitait exercer sa peine en France, compte tenu de ses attaches familiales et professionnelles dans ce pays, et de l'absence de tout lien en Italie, de sorte qu'il devait être vérifié, indépendamment des conditions prévues par l'article 695-24 du code de procédure pénale, si la remise sollicitée ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Vu les articles 695-24, 728-31, 695-33 et 593 du code de procédure pénale :
7. ll se déduit du premier de ces textes que, lorsque la personne réclamée, en vertu d'un mandat d'arrêt européen décerné en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté, ayant fait valoir, pour s'opposer à sa remise, que la décision est exécutoire sur le territoire français en application du deuxième de ces articles, la chambre de l'instruction a sollicité, en application du troisième des textes susvisés, l'Etat requérant sur une éventuelle demande aux fins de reconnaissance et d'exécution de la condamnation, elle ne peut statuer sur la remise sans faire état de la réponse de l'Etat requérant et sans avoir invité le procureur de la République compétent à lui faire connaître sans délai sa décision sur ladite demande de l'Etat requérant ni fait état de sa réponse.
8. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour ordonner la remise de l'intéressé, l'arrêt énonce notamment que l'article 728-32 du code de procédure pénale spécifie que l'exécution de la décision de condamnation est refusée quand le certificat n'est pas produit, est incomplet, ou ne correspond manifestement pas à la décision de condamnation et n'a pas été complété ou corrigé dans le délai fixé.
10. Les juges ajoutent que, si la condamnation est exécutoire sur le territoire italien, elle ne l'est pas sur le territoire français faute du certificat prévu par l'article sus-mentionné.
11. En prononçant ainsi, alors que, s'il ressort des motifs de l'arrêt que les autorités italiennes avaient donné suite à la question qui leur avait été posée dans le cadre du complément d'information précédemment ordonné, ledit arrêt ne fait état ni du contenu de la réponse de ces autorités, ni d'une réponse qui aurait été apportée par le procureur de la République à la question qu'elle lui avait elle-même posée aux fins de savoir si celui-ci entendait ou non décider de reconnaître la décision italienne de condamnation comme exécutoire sur le territoire français en application de l'article 728-42 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Vu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :
13. Aux termes du premier de ces textes, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.
14. Il résulte du second que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
15. Pour considérer que les conditions requises pour l'exécution du mandat d'arrêt européen sont réunies, et ordonner la remise de M. [D] aux autorités italiennes, l'arrêt énonce que les conditions légales d'exécution de la peine en France n'étant pas remplies, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée qui serait portée aux droits familiaux de ce dernier.
16. En se déterminant ainsi, alors que, saisie d'une demande à cette fin, elle devait vérifier que la remise sollicitée ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
17. D'où il suit que la cassation est encore encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 8 septembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.