LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1109 F-D
Pourvoi n° T 21-16.361
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022
M. [V] [M], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-16.361 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de M. [M], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la CAMIEG, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2021), par un contrat de travail à durée indéterminée du 3 décembre 2012, M. [M] a été engagé par la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (la CAMIEG) en qualité de responsable du contrôle interne.
2. Par lettre du 20 novembre 2014, le salarié a dénoncé auprès du directeur des ressources humaines des agissements dont il se disait victime de la part de son supérieur hiérarchique. Il a été placé en arrêt maladie du 27 novembre au 14 décembre 2014, puis du 17 décembre 2014 au 11 janvier 2015.
3. Le salarié a été licencié le 4 mars 2015 pour cause réelle et sérieuse.
4. Le 17 avril 2015, invoquant la nullité de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes pour discrimination syndicale et harcèlement moral et au titre de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, alors :
«1°/ que le grief tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'est pas alléguée, emporte à lui seul la nullité du licenciement, peu important que les autres griefs invoqués par l'employeur soient établis ; qu'en se fondant, pour retenir une cause réelle et sérieuse de licenciement, que l'évocation d'un harcèlement moral non établi s'est conjugué avec une mise en cause de ses collègues de nature à ce que ces derniers le vivent comme des menaces à leur encontre, quand la mention, dans la lettre de licenciement, du grief tiré de l'évocation du harcèlement moral sans invocation d'une mauvaise foi du salarié rend le licenciement nul, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
2°/ que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ; qu'en se fondant, pour retenir une cause réelle et sérieuse de licenciement, que l'évocation d'un harcèlement moral non établi s'est conjugué avec une mise en cause de ses collègues de nature à ce que ces derniers le vivent comme des menaces à leur encontre, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail :
7. Aux termes du premier de ces textes, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
8. Aux termes du second, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
9. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
10. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, l'arrêt retient que s'il n'était pas interdit à l'intéressé de revendiquer le positionnement souhaité par lui, les conditions dans lesquelles il a développé cette demande par l'évocation d'un harcèlement moral non établi et la mise en cause de ses collègues de nature à ce que ces derniers la vivent comme des menaces à leur encontre suffisent à justifier le licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse.
11. En statuant ainsi, alors d'une part qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement faisait référence à la lettre du 20 novembre 2014 par laquelle le salarié avait relaté des agissements de harcèlement moral et d'autre part que la mauvaise foi ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne seraient pas établis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [M] de ses demandes en dommages-intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (la CAMIEG) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (la CAMIEG) et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour M. [M],
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [M] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de L'AVOIR débouté de ses demandes de nullité du licenciement, d'indemnité pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination syndicale ;
ALORS QUE, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent d'en présumer l'existence ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur établit que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et à toute discrimination ; qu'en écartant l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination aux seuls motifs que les deux enquêtes menées par le CHSCT ont conclu à l'absence de faits attestant de la réalité d'un harcèlement et que le syndicat CGT a annulé la désignation du salarié en qualité de délégué syndical, quand il lui appartenait d'examiner chacun des faits invoqués par le salarié, et notamment, le rejet de ses candidatures sur des postes en interne, sa mise à l'écart, les pressions et humiliations que lui infligeait quotidiennement son supérieur hiérarchique ainsi que l'attitude malveillante de son employeur qui avait annoncé à l'ensemble du personnel qu'il entendait contester sa désignation en tant que délégué syndical et d'apprécier, le cas échéant, si les éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral et d'une discrimination syndicale, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014, L. 1134-1, L. 2141-5, L. 1152-1 et L. 1154-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [M] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de L'AVOIR débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement nul ;
ALORS, 1°), QUE le grief tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'est pas alléguée, emporte à lui seul la nullité du licenciement, peu important que les autres griefs invoqués par l'employeur soient établis ; qu'en se fondant, pour retenir une cause réelle et sérieuse de licenciement, que l'évocation d'un harcèlement moral non établi s'est conjugué avec une mise en cause de ses collègues de nature à ce que ces derniers le vivent comme des menaces à leur encontre, quand la mention, dans la lettre de licenciement, du grief tiré de l'évocation du harcèlement moral sans invocation d'une mauvaise foi du salarié rend le licenciement nul, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
ALORS, 2°), QUE le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ; qu'en se fondant, pour retenir une cause réelle et sérieuse de licenciement, que l'évocation d'un harcèlement moral non établi s'est conjugué avec une mise en cause de ses collègues de nature à ce que ces derniers le vivent comme des menaces à leur encontre, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.