LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1098 F-D
Pourvoi n° G 21-16.352
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022
M. [T] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 21-16.352 contre l'arrêt rendu le 9 février 2021 par la Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'Association pour la formation et le développement maritime et aquacole à Mayotte (AFODEMAM), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [I], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l'Association pour la formation et le développement maritime et aquacole à Mayotte, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, 9 février 2021), M. [I] a été engagé le 5 octobre 1994 par l'Association pour la formation et le développement maritime et aquacole à Mayotte (l'association) en qualité de formateur pêche.
2. Licencié le 25 novembre 2016 pour faute grave, le salarié a saisi le tribunal du travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à faire juger que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et de voir condamner son employeur à lui payer diverses sommes au titre des indemnités de rupture et à titre de dommages-intérêts, alors « que l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement ; que cet énoncé fixe les limites du litige et que les juges ne peuvent retenir, à l'appui de leur décision, des motifs qui n'ont pas été énoncés dans ladite lettre ; qu'en décidant que le fait, pour le salarié, de refuser de renseigner les fiches de pointage des mois de septembre et d'octobre 2016 constituait une faute grave, bien que l'association se soit bornée à faire grief au salarié, dans sa lettre de licenciement, d'un absentéisme au cours de ces mois, la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur des faits non visés par la lettre de licenciement, a violé les articles L. 122-28 et L. 122-29 du code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 122-28 et L. 122-29 du code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017 :
4. Il résulte de ces textes que la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et que les juges sont tenus d'examiner l'ensemble des griefs qui y sont énoncés.
5. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les fiches de pointage du personnel de septembre et octobre 2016 démontrent qu'il n'a jamais renseigné ces documents pourtant régulièrement tenus à jour par d'autres salariés pendant cette période, que cette omission injustifiée, qui masque sciemment les présences et absences de l'intéressé, caractérise la faute grave et qu'en privant l'employeur de toute possibilité de contrôle contradictoire de ses heures de présence, il a évidemment contribué à une forme de désorganisation de l'entreprise.
6. En statuant ainsi, en retenant un grief non visé par la lettre de licenciement, qui ne mentionnait que des faits d'absences répétées du salarié à son poste de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion chambre d'appel de Mamoudzou ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre d'appel de Mamoudzou, autrement composée ;
Condamne l'Association pour la formation et le développement maritime et aquacole à Mayotte aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Association pour la formation et le développement maritime et aquacole à Mayotte et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. [I],
Monsieur [T] [I] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté sa demande tendant à voir juger que le licenciement prononcé à son encontre était sans cause réelle et sérieuse et de voir, en conséquence, condamner l'Association pour le développement maritime et aquacole à Mayotte (AFODEMAM) à lui payer les sommes de 5.053,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 505,31 euros au titre des congés payés y afférents, 16.978,30 euros à titre d'indemnité légale de licenciement et 60.637,20 euros à titre de dommages-intérêts ;
1°) ALORS QUE l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement ; que cet énoncé fixe les limites du litige et que les juges ne peuvent retenir, à l'appui de leur décision, des motifs qui n'ont pas été énoncés dans ladite lettre ; qu'en décidant que le fait, pour Monsieur [I], de refuser de renseigner les fiches de pointage des mois de septembre et d'octobre 2016 constituait une faute grave, bien que l'AFODEMAM se soit bornée à faire grief à Monsieur [I], dans sa lettre de licenciement, d'un absentéisme au cours de ces mois, la Cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur des faits non visés par la lettre de licenciement, a violé les articles L. 122-28 et L. 122-29 du Code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017 ;
2°) ALORS QUE la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis ; qu'en se bornant à affirmer que Monsieur [I] avait commis une faute grave en refusant de renseigner les fiches de pointage des mois de septembre et octobre 2016, sans indiquer en quoi le défaut de renseignement de ces fiches justifiait une rupture immédiate du contrat de travail de Monsieur [I], la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 122-19, L 122-21, L 122-22 et L 122-26 du Code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017 ;
3°) ALORS QUE, subsidiairement, la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis ; que les horaires de travail expressément précisés dans le contrat de travail et acceptés par l'employeur, présentent un caractère contractuel, de sorte que la modification de ces horaires constitue une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser ; que le refus par un salarié d'une modification de son contrat de travail ne constitue pas, à lui seul, une faute grave ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que le licenciement pour faute grave de Monsieur [I] était justifié, que le fait pour ce dernier d'avoir refusé de renseigner les fiches de pointage des mois de septembre et octobre 2016 était de nature à démontrer son absentéisme, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les absences de Monsieur [I] n'étaient pas fautives, dès lors que les parties étaient convenues contractuellement d'un horaire de travail et que l'AFODEMAM avait procédé à la modification unilatérale des horaires de travail de Monsieur [I], la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 122-19, L 122-21, L 122-22 et L 122-26 du Code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017 ;
4°) ALORS QUE, très subsidiairement, la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis ; que le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il caractérise un manquement à ses obligations contractuelles, ne constitue pas à lui seul une faute grave ; qu'en s'abstenant de rechercher si les absences reprochées à Monsieur [I] trouvaient leur cause dans le refus, par celui-ci, d'une modification de ses horaires de travail, décidée unilatéralement par l'AFODEMAM, de sorte que ce refus ne constituait pas à lui seul une faute grave, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 122-19, L 122-21, L 122-22 et L 122-26 du Code du travail applicable à Mayotte, dans leurs rédactions antérieures à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017.