LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1103 FS-B
Pourvoi n° T 21-15.533
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022
La société Husson-Mourot, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-15.533 contre l'arrêt rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Y] [U], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Mme [U] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Husson-Mourot, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [U], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, M. Le Corre, Mme Prieur, M. Carillon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 25 mars 2021), Mme [U], engagée, le 23 octobre 2007, en qualité d'assistante dentaire qualifiée, par la société Husson-Mourot, a fait l'objet d'un avertissement le 12 octobre 2018 pour une absence injustifiée.
2. Le 30 novembre 2018, elle a saisi la juridiction prud'homale afin de voir prononcer la résiliation de son contrat de travail et l'annulation de l'avertissement. Le 28 décembre 2018, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Elle a contesté le bien-fondé de son licenciement.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement était nul, de le condamner au paiement de 38 110 euros à ce titre, d'ordonner la remise à la salariée d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt, d'ordonner le remboursement de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, et de le condamner au paiement d'une certaine somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « qu'en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés pour en tenir compte dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié ; que pour condamner l'employeur à payer à la salariée 38 110 euros (16 mois de salaire) pour licenciement nul, la cour d'appel a retenu que les barèmes de l'article L. 1235-3 du code du travail n'étaient pas applicables en cas de violation d'une liberté fondamentale et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs visés par la lettre de licenciement pour apprécier l'existence d'une cause réelle et sérieuse ; qu'en statuant ainsi, quand il revenait à la cour d'étudier ces éléments pour évaluer l'indemnité allouée à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-2-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 1235-2-1 du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1.
6. Ces dispositions offrent ainsi à l'employeur un moyen de défense au fond sur le montant de l'indemnité à laquelle il peut être condamné, devant être soumis au débat contradictoire.
7. Il en résulte que, lorsque l'employeur le lui demande, le juge examine si les autres motifs invoqués sont fondés et peut, le cas échéant, en tenir compte pour fixer le montant de l'indemnité versée au salarié qui n'est pas réintégré, dans le respect du plancher de six mois prévu par l'article L. 1235-3-1.
8. Après avoir retenu que l'un des griefs invoqués par l'employeur portait atteinte à la liberté fondamentale de la salariée d'agir en justice et constaté que l'employeur ne critiquait pas à titre subsidiaire la somme réclamée par cette dernière en conséquence de la nullité du licenciement, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
10. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsque le licenciement est nul, le juge ordonne le remboursement par l'employeur de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié dans les seuls cas de nullité visés aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, et L. 1235-11 par le code du travail, lesquels incluent le cas où le licenciement a pour cause une action en justice engagée par le salarié ou en sa faveur sur le fondement du principe de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle ; qu'en ordonnant le remboursement par l'employeur de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, quand elle constatait que l'action en résiliation judiciaire intentée par la salariée reposait sur un avertissement illégal, des actes qui n'étaient pas de sa compétence, des heures complémentaires non réglées, et une absence de suivi médical, ce dont il s'inférait que l'action en justice de la salariée, engagée sur des fondements autres que les principes de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle, n'ouvrait pas droit à l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour d'appel a violé ce texte. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
11. Aux termes de ce texte, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
12. Après avoir déclaré nul le licenciement en ce que l'employeur avait reproché à la salariée d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail, ce grief étant constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, l'arrêt ordonne le remboursement par l'employeur des allocations de chômage versées à la salariée à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois.
13. En statuant ainsi, alors que le remboursement des indemnités de chômage ne pouvait être ordonné que dans les cas de nullité du licenciement visés à l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond. Il convient de retrancher de l'arrêt attaqué le seul chef de dispositif par lequel l'employeur a été condamné au remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il ordonne le remboursement par la société Husson-Mourot à Pôle emploi de la somme correspondant au maximum à six mois d'indemnités chômage dès lors que des indemnités ont été effectivement versées à Mme [U], l'arrêt rendu le 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne Pôle emploi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la société Husson-Mourot, demanderesse au pourvoi principal
La société Husson-Mourot reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Mme [U] était nul, de l'avoir condamnée au paiement de 38 110 euros à ce titre, d'avoir ordonné la remise à la salariée d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail et d'une attestation Pole Emploi conformes à l'arrêt à intervenir, d'avoir ordonné le remboursement de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, et d'avoir condamné l'employeur au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement ; que seule la rupture du contrat de travail prononcée en raison de l'exercice d'une action en justice, et non des conséquences de celle-ci sur les conditions de travail et les relations avec la clientèle, porte atteinte à la liberté fondamentale d'ester en justice et encourt la nullité ; que la lettre de licenciement de Mme [U] (production n° 4) faisait état des difficultés rencontrées par l'employeur avec la salariée dans la relation de travail, en raison des tensions existant à la suite de la procédure prud'hommale intentée et ressenties par les patients qui s'en plaignaient ; que pour dire le licenciement de Mme [U] nul, la cour d'appel a retenu qu'il ressortait de la lettre de licenciement que l'employeur reprochait à l'intéressée d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail, grief constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale entraînant à lui seul la nullité du licenciement ; qu'en statuant ainsi, quand la lettre de licenciement ne reprochait à la salariée que les conséquences de son action en justice sur les conditions de travail et les relations avec la clientèle et non l'action en elle-même, la cour d'appel a excédé les limites du litige telles que fixées par la lettre de licenciement, et violé l'article L. 1235-2 du code du travail.
2°) ALORS QUE (subsidiairement) le licenciement notifié en violation d'une liberté fondamentale échappe à la nullité si l'exercice de cette liberté constitue un abus ; qu'il en résulte qu'en cas de mauvaise foi ou d'abus du salarié dans l'exercice de la liberté fondamentale d'ester en justice contre l'employeur, le grief tiré de la lettre de licenciement reprochant au salarié son action en justice n'emporte pas nullité du licenciement ; qu'en se bornant à retenir, pour dire le licenciement de Mme [U] nul, que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail, grief constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale entraînant à lui seul la nullité du licenciement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'action intentée en résiliation judiciaire du contrat de travail n'était pas abusive dans la mesure où Mme [U] avait mis en place les conditions de son départ pour rejoindre un autre cabinet tout en sollicitant en justice une importante indemnisation sans subir de préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
3°) ALORS QUE (subsidiairement) en affirmant que l'employeur ne critiquait pas à titre subsidiaire la somme demandée par Mme [U] au titre de la nullité du licenciement, quand la société Husson-Mourot faisait valoir dans ses écritures d'appel (p.13, 14 et 23) que la salariée n'avait subi aucun préjudice justifiant l'indemnisation réclamée, l'intéressée ayant mis en place les conditions de son départ pour rejoindre un autre cabinet avec lequel elle avait conclu un contrat de travail, et tentait d'obtenir en justice des sommes astronomiques indues, éléments dont il résultait sans ambiguïté que l'employeur avait bien discuté dans ses écritures l'indemnisation réclamée par la salariée, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de l'exposante en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE (subsidiairement) en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés pour en tenir compte dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié ; que pour condamner la société Husson-Mourot à payer à Mme [U] 38 110 euros (16 mois de salaire) pour licenciement nul, la cour d'appel a retenu que les barèmes de l'article L. 1235-3 du code du travail n'étaient pas applicables en cas de violation d'une liberté fondamentale et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs visés par la lettre de licenciement pour apprécier l'existence d'une cause réelle et sérieuse ; qu'en statuant ainsi, quand il revenait à la cour d'étudier ces éléments pour évaluer l'indemnité allouée à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-2-1 du code du travail ;
5°) ALORS QUE (subsidiairement) lorsque le licenciement est nul, le juge ordonne le remboursement par l'employeur de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié dans les seuls cas de nullité visés aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, et L. 1235-11 par le code du travail, lesquels incluent le cas où le licenciement a pour cause une action en justice engagée par le salarié ou en sa faveur sur le fondement du principe de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle ; qu'en ordonnant le remboursement par la société Husson-Mourot de la somme correspondant à six mois d'indemnités chômage, quand elle constatait que l'action en résiliation judiciaire intentée par la salariée reposait sur un avertissement illégal, des actes qui n'étaient pas de sa compétence, des heures complémentaires non réglées, et une absence de suivi médical, ce dont il s'inférait que l'action en justice de Mme [U], engagée sur des fondements autres que les principes de non-discrimination ou de l'égalité professionnelle, n'ouvrait pas droit à l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail, la cour d'appel a violé ce texte.
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [U], demanderesse au pourvoi incident éventuel
Mme [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a refusé de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et l'a déboutée de ses demandes indemnitaires subséquentes.
ALORS QUE constitue une atteinte à la vie privée de la salariée le fait pour l'employeur de prendre contact avec le secrétariat d'un praticien de santé consulté par cette dernière pour s'enquérir de ses disponibilités à seule fin de déterminer la possibilité pour l'intéressée d'obtenir un autre rendez-vous que celui qu'elle avait d'ores et déjà pris ; qu'en jugeant que l'enquête ainsi menée par l'employeur, reconnue par lui et constatée par l'arrêt attaqué, n'avait pas porté atteinte à la vie privée de la salariée, la cour d'appel a violé les articles 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, et L. 1121-1 du code du travail.