LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 octobre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 590 F-D
Pourvoi n° R 21-12.702
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022
1°/ La société KFPLM, société à responsabilité limitée,
2°/ la société [B] [O], société à responsabilité limitée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
3°/ la société MJS Partners, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [L] [S], prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des sociétés [B] [O] et KFPLM,
ont formé le pourvoi n° R 21-12.702 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [U] [O],
2°/ à Mme [X] [F], épouse [O],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
3°/ à M. [B] [O], domicilié [Adresse 3],
4°/ à M. [R] [O], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat des sociétés KFPLM, [B] [O] et MJS Partners Selas, ès qualités, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [U] [O], de Mme [X] [F], épouse [O], de M. [B] [O] et de M. [R] [O], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 janvier 2020), par un acte sous seing privé du 3 juin 2014, M. [U] [O], Mme [X] [F], épouse [O], M. [B] [O] et M. [R] [O] (les consorts [O]) ont cédé à la société KFPLM la totalité des parts qu'ils détenaient dans le capital de la société [B] [O]. A cette convention était attachée une garantie d'actif et de passif, plafonnée à 50 000 euros.
2. Le 27 juillet 2016, les sociétés KFPLM et [B] [O] ont assigné les consorts [O], notamment en paiement, au titre de la garantie d'actif et de passif, d'une somme supérieure au plafond de celle-ci ainsi qu'en paiement de sommes à titre de diminution du prix et de dommages-intérêts.
3. Les sociétés [B] [O] et KFPLM ont été respectivement mises en liquidation judiciaire les 29 avril et 6 juillet 2020. La société MJS Partners Selas a été désignée en qualité de liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
4. Les sociétés KFPLM, [B] [O] et MJS Partners Selas font grief à l'arrêt de limiter à 50 000 euros la condamnation des consorts [O] au titre de la garantie d'actif ou de passif, alors « que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant qu'il ne résultait pas de la comptabilisation des stocks en valeur TTC une manoeuvre destinée à tromper le cessionnaire au motif qu'il s'agirait là d'une "pratique dans la société", sans répondre au moyen des sociétés KFPLM et [B] [O] selon lequel une telle méthode de comptabilité était une violation manifeste et grave des méthodes comptables qui ne pouvait avoir été faite que dans l'intention de tromper le cessionnaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
6. Pour limiter la condamnation des consorts [O] à payer la somme de 50 000 euros au titre de la garantie d'actif et de passif, l'arrêt relève que la comptabilisation des stocks en valeur TTC, d'une part, n'est pas contestée par les cédants, qui expliquent, sans être contredits, qu'il s'agissait d'une pratique courante de la société, et d'autre part, était réalisée par le comptable, lequel travaillait sous le contrôle d'un expert-comptable qui était également celui de l'acquéreur et employait l'épouse de ce dernier.
7. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des sociétés KPLM et [B] [O], qui soutenaient que les consorts [O] leur avaient présenté une comptabilité inexacte, qui aboutissait à gonfler artificiellement la valeur des stocks de 19,6 % et constituait une violation tellement flagrante des principes généraux de la comptabilité qu'elle ne pouvait être ignorée des cédants, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
8. La cassation intervenue sur le chef de dispositif qui, en réponse à la demande tendant à écarter le plafond de la garantie d'actif et de passif, limite à la somme de 50 000 euros la condamnation des consorts [O] au titre de cette garantie s'étend nécessairement, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile, à celui déboutant la société KFPLM de sa demande en diminution du prix de la cession des parts sociales de la société [B] [O], les deux demandes étant fondées sur l'existence d'un dol.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 50 000 euros la somme due par les consorts [O] au titre de la garantie d'actif et de passif, et déboute la société KFPLM de sa demande relative à la diminution du prix de la cession des parts sociales de la société [B] [O], l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne M. [U] [O], Mme [X] [F], épouse [O], M. [B] [O] et M. [R] [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [U] [O], Mme [X] [F], épouse [O], M. [B] [O] et M. [R] [O] et les condamne à payer aux sociétés KFPLM, [B] [O] et MJS Partners Selas, ès qualités, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour les sociétés KFPLM, [B] [O] et MJS Partners Selas, ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les sociétés KFPLM et [B] [O], ainsi que la société MJS Partners SELAS, représentée par Me [L] [S], ès qualité de liquidateur aux liquidations judiciaires des sociétés KFPLM et [B] [O], font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir limité à 50 000 euros la condamnation des consorts [O] au titre de la garantie d'actif et de passif ;
1°/ ALORS QUE le dol est constitué lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que le dol intervient donc nécessairement avant à la conclusion du contrat ; qu'en relevant que les archives de la société avaient été remises par les cédants au cessionnaire postérieurement à la cession pour écarter tout dol de la part des cédants, la cour d'appel s'est fondée sur un fait postérieur à la conclusion du contrat, impropre à exclure le dol, et a ainsi violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°/ ALORS QUE constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des cocontractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ; qu'en retenant, pour écarter le dol, que si l'amende pénale n'a pas été portée en comptabilité par le comptable salarié de la société cédée, celui-ci travaillait sous le contrôle d'un expert-comptable qui employait l'épouse du dirigeant de la société holding cessionnaire et était également l'expert-comptable de ce dernier, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres, violant ainsi l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats ;
3°/ ALORS QUE constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des cocontractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ; qu'en relevant que les augmentations de salaires contestées, pour avoir été réalisées pendant la période de négociation et sans connaissance donnée au cessionnaire, ne correspondaient qu'à des augmentations du minimum conventionnel, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats ;
4°/ ALORS QUE constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des cocontractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ; que lorsque plusieurs informations ont été dissimulées, le juge doit vérifier le caractère déterminant de l'ensemble de celles-ci et ne peut se borner à examiner chaque information de manière indépendante ; qu'en relevant le faible montant de l'amende pénale non inscrite en comptabilité, ainsi que le fait que les augmentations de salaires octroyées à trois salariés pendant la période de négociation de la cession, sans information donnée au cessionnaire, ne correspondaient qu'à « des augmentions du minimum conventionnel », la cour d'appel, qui s'est bornée à examiner isolément ces éléments pour exclure leur caractère déterminant eu égard à leurs faibles montants, n'a donc pas examiné la situation d'ensemble, de laquelle s'inférait une réticence dolosive des cédants, et a ainsi violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
5°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant qu'il ne résultait pas de la comptabilisation des stocks en valeur TTC une manoeuvre destinée à tromper le cessionnaire au motif qu'il s'agirait là d'une « pratique dans la société », sans répondre au moyen des exposants selon lequel une telle méthode de comptabilité était une violation manifeste et grave des méthodes comptables qui ne pouvait avoir été faite que dans l'intention de tromper le cessionnaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les sociétés KFPLM et [B] [O], ainsi que la société MJS Partners SELAS, représentée par Me [L] [S], ès qualité de liquidateur aux liquidations judiciaires des sociétés KFPLM et [B] [O], font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté leur demande en réfaction du prix ;
ALORS QUE le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en refusant de prononcer la réduction du prix, infirmant le jugement de ce chef, en énonçant que le préjudice recherché par les exposants à ce titre était, en réalité, déjà indemnisé par la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif alors qu'ils se prévalaient précisément d'un autre préjudice que celui réparé par la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif, subi du fait de la dépréciation de la société et non de la simple dissimulation du passif et survalorisation de l'actif, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats, ensemble le principe de réparation intégrale.