LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 octobre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 585 F-D
Pourvoi n° B 20-20.275
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022
1°/ M. [R] [H], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Agence d'architecture élément A, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° B 20-20.275 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [W], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société d'Architecture [W] et associés, société à responsabilité limitée,
3°/ à la société Mos, société à responsabilité limitée,
4°/ à la société Seth, société à responsabilité limitée,
5°/ à la société K+, société à responsabilité limitée,
6°/ à la société Data, société à responsabilité limitée,
7°/ à la société Leti, société à responsabilité limitée,
ayant toutes les six leur siège [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [H] et de la société Agence d'architecture élément A, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. [W] et des sociétés d'Architecture [W] et associés, Mos, Seth, K+, Data et Leti, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 juillet 2020), le 24 juillet 2014, la société Agence d'architecture élément A, ayant pour associé unique M. [H], a acquis de la société Mos un certain nombre de parts de la société d'Architecture [W] et associés (la société [W]), M. [H] étant désigné cogérant de cette société pour une durée de deux ans.
2. Un pacte d'associés a été signé le même jour comportant, en annexes, une promesse unilatérale de vente des parts de la société [W] détenues par l'Agence architecture élément A et une promesse unilatérale d'achat de ces parts par les autres associés de la société [W], sous certaines conditions.
3. Dans le cadre des discussions engagées pour négocier les conditions d'un départ de M. [H], un accord de séparation amiable a été formalisé le 31 juillet 2015 entre les avocats des parties, qui n'a pas été exécuté.
4. Après avoir, le 26 avril 2016, révoqué M. [H] de ses fonctions de cogérant, les associés de la société [W] lui ont adressé ainsi qu'à la société Agence d'architecture élément A, le 29 avril, une lettre dans laquelle ils indiquaient qu'au vu de cette révocation, et par application des stipulations contractuelles, ils levaient leur option contenue dans la promesse unilatérale de vente.
5. Le 10 avril 2017, M. [H] et la société Agence d'architecture élément A ont assigné la société [W] ainsi que les associés de celle-ci aux fins, principalement, de voir requalifier la promesse de cession en clause d'exclusion.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire que la levée de l'option, intervenue le 29 avril 2016, n'avait pas été mise en oeuvre de manière déloyale, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur ce moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire que l'accord du 31 juillet 2015 était caduc
Enoncé du moyen
7. M. [H] et la société Agence d'architecture élément A font grief à l'arrêt de dire que l'accord du 31 juillet 2015 était caduc, alors « que le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut, à ce titre, fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen pris de la caducité de l'accord du 31 juillet 2015, par suite de la levée d'option intervenue, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
8. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
9. Pour dire que l'accord du 31 juillet 2015 était caduc, l'arrêt retient qu'il l'était devenu par la mise en oeuvre de la promesse unilatérale de vente, les parts sociales détenues par la société Agence d'architecture élément A dans le capital de la société [W] ayant été cédées aux autres associés de cette société.
10. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. M. [H] et la société Agence d'architecture élément A font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir dire que la retenue de 45 511,55 euros opérée par la société Mos préalablement à la consignation sur le compte Carpa de M. [Z], n'avait pas lieu d'être et était injustifiée, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande au titre de la retenue de 45 511,55 euros opérée de manière injustifiée, qu'il est établi que la société Mos a déduit du prix du transfert actuellement consigné, une partie du prix encore dû par la société d'Agence d'architecture élément A au titre des cessions de parts du 24 juillet 2014 pour 45 511,55 euros et que les intimés ne démontrent pas en quoi la retenue révélerait la mauvaise foi, sans préciser sur quel élément de preuve elle se fondait pour juger légitime la retenue de 45 511,55 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
13. Pour rejeter la demande de M. [H] et de la société Agence d'architecture élément A tendant à voir dire que la retenue de 45 511,55 euros opérée par la société Mos sur le prix d'achat des parts détenues par la société Agence d'architecture élément A dans le capital de la société [W] n'avait pas lieu d'être et était injustifiée, l'arrêt retient qu'il est établi que la société Mos a déduit de ce prix une partie du prix encore dû par la société Agence d'architecture élément A au titre de la cession de ces parts le 24 juillet 2014, soit 45 511,55 euros.
14. En statuant ainsi, sans préciser sur quel élément de preuve elle se fondait pour établir le bien-fondé de cette retenue, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
15. M. [H] et la société Agence d'architecture élément A font grief à l'arrêt de rejeter la demande de M. [H] en remboursement de son compte courant, alors « que la compensation n'opère qu'entre des obligations réciproques, c'est-à-dire nées entre deux personnes à la fois créancières et débitrices à titre personnel et qu'elle ne peut être que bilatérale ; que la cour d'appel a constaté que la somme de 16 136,95 euros représentant le montant du compte courant de M. [H] au sein de la société [W] avait été déduit du prix des titres dû à la société d'Architecture élément A par la société [W], ce dont il se déduisait le constat d'une compensation irrégulière ; qu'en retenant cependant, pour débouter M. [H] de sa demande de paiement de la somme de 16 136,95 euros au titre de son compte courant au sein de la société [W], que ce dernier ne démontrait pas en quoi cette compensation opérée révélait la mauvaise foi de la société [W], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1291 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1289 du code civil, dans sa rédaction antérieure à son abrogation par l'ordonnance du 10 février 2016 :
16. Selon ce texte, lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas qu'il prévoit.
17. Pour rejeter la demande de M. [H] en remboursement de son compte courant, l'arrêt retient que celui-ci et la société Agence d'architecture élément A ne démontrent pas en quoi la compensation opérée entre le montant dudit compte et le prix de cession des titres de la société Agence d'architecture élément A révèle la mauvaise foi dans la mise en oeuvre de la promesse de vente.
18. En statuant ainsi, alors que la créance en compte courant alléguée par M. [H] à l'égard de la société [W] ne constituait pas une créance de la société Mos à l'égard de la société Agence d'architecture élément A et ne pouvait, dès lors, se compenser avec le prix de cession des parts dans la société [W] acquises par la société Mos de la société Agence d'architecture élément A, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'accord du 31 juillet 2015 était caduc, en ce qu'il rejette la demande de M. [H] et de la société Agence d'architecture élément A tendant à voir dire que la retenue de 45 511,55 euros opérée par la société Mos préalablement à la consignation sur le compte Carpa de M. [Z] n'avait pas lieu d'être et était injustifiée, en ce qu'il rejette la demande de M. [H] en remboursement de son compte courant et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. [W] et les sociétés d'Architecture [W] et associés, Mos, Seth, K+, Data et Leti aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [W] et les sociétés d'Architecture [W] et associés, Mos, Seth, K+, Data et Leti et les condamne à payer à M. [H] et à la société Agence d'architecture élément A la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [H] et la société Agence d'architecture élément A.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [R] [H] et la Sarl Agence d'Architecture Elément A reprochent à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la levée de l'option insérée dans la promesse de cession des droits sociaux, intervenue le 29 avril 2016, n'avait pas été mise en oeuvre de manière déloyale et d'AVOIR dit que l'accord du 31 juillet 2015 était caduc,
1/ ALORS QUE en énonçant, pour dire que la levée de l'option insérée dans la promesse de cession des droits sociaux, intervenue le 29 avril 2016, n'a pas été mise en oeuvre de manière déloyale et écarter le moyen tenant à une volonté de M. [W], de la Sarl d'Architecture [W] et Associés et des sociétés associées, d'échapper à l'exécution de l'accord du 31 juillet 2015, que si les parties s'étaient accordées sur les éléments essentiels de la convention, les actes nécessaires à sa régularisation n'avaient pu être réalisés en raison de l'inertie de M. [H] qui ne s'était pas manifesté auprès de l'agence [W] ou de ses conseils, quand étaient versés aux débats le Sms adressé en septembre 2015 par M. [H] à Me [K] [N] s'inquiétant de n'avoir reçu aucun projet du conseil de l'agence [W] chargé de rédiger les actes d'exécution du protocole d'accord (pièce n° 21) et la lettre officielle adressée par le conseil de M. [H] au conseil de l'agence [W] en date du 29 mars 2019 (pièce 14) en réponse à la lettre officielle du conseil de l'agence [W] relative à l'exécution de l'accord du 31 juillet 2015 dont il modifiait unilatéralement les termes, la cour d'appel a dénaturé, par omission, le SMS de septembre 2015 et la lettre du 29 mars 2019, violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
2/ ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; que la cour d'appel qui, infirme un jugement, doit réfuter les motifs déterminants des premiers juges dont il est demandé confirmation ; que M. [H] et la société Elément A sollicitaient la confirmation du jugement en ce qu'il avait dit déloyale la mise en oeuvre de la clause de levée de l'option de la promesse unilatérale de vente et la dite ineffective après avoir constaté que cette levée d'option avait pour conséquence la reprise des titres de l'Agence [W] à un prix sans commune mesure avec le prix d'acquisition et générait un préjudice évident pour la pour la société Elément A en la contraignant au remboursement du prêt bancaire sans en avoir les ressources nécessaires ; qu'en infirmant le jugement, sans réfuter ce motif, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3/ ALORS QUE M. [H] et la société Elément A faisaient valoir, dans leurs conclusions, que la levée d'option de la promesse unilatérale de vente était déloyale en ce que non seulement elle avait pour but d'échapper à l'exécution de l'accord conclu le 31 juillet 2015 mais également en ce qu'elle avait pour but d'échapper au paiement du dividende statutaire de 1.000.000 € aux associés, soit, pour 1.072 titres sur les 8.580 titres, une somme de 124.941,07 € ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4/ ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut, à ce titre, fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen pris de la caducité de l'accord du 31 juillet 2015, par suite de la levée d'option intervenue, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [R] [H] et la société Agence d'Architecture Elément A reprochent à l'arrêt attaqué de les AVOIR déboutés de leur demande tendant à dire que la retenue de 45.511,55 euros opérée par la société Mos préalablement à la consignation opérée sur le compte Carpa de Me [F] [Z], n'avait pas lieu d'être et était injustifiée ;
ALORS QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande au titre de la retenue de 45.511,55 € opérée de manière injustifiée, qu'il est établi que la société Mos a déduit du prix du transfert actuellement consigné, une partie du prix encore dû par la société d'Agence d'Architecture Elément A au titre des cessions de parts du 24 juillet 2014 pour 45.511,55 euros et que les intimés ne démontrent pas en quoi la retenue révèlerait la mauvaise foi, sans préciser sur quel élément de preuve elle se fondait pour juger légitime la retenue de 45.511,55 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
M. [H] reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à la condamnation de la société d'Architecture [W] et Associés à lui payer la somme de 16.136,95 € représentant le montant de son compte courant ;
ALORS QUE la compensation n'opère qu'entre des obligations réciproques, c'est-à-dire nées entre deux personnes à la fois créancières et débitrices à titre personnel et qu'elle ne peut être que bilatérale ; que la cour d'appel a constaté que la somme de 16.136,95 € représentant le montant du compte courant de M. [H] au sein de la société d'Architecture [W] et Associés avait été déduit du prix des titres dû à la société d'Architecture Elément A par la société d'Architecture [W] et Associés, ce dont il se déduisait le constat d'une compensation irrégulière ; qu'en retenant cependant, pour débouter M. [H] de sa demande de paiement de la somme de 16.136,95 € au titre de son compte courant au sein de la société d'Architecture [W] et Associés, que ce dernier ne démontrait pas en quoi cette compensation opérée révélait la mauvaise foi de la société d'Architecture [W] et associés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1291 du code civil.