LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 22-80.120 F-B
N° 01238
SL2
11 OCTOBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2022
M. [C] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 15 décembre 2021, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement russe, a émis en avis favorable.
Un mémoire, des mémoires additionnels et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [C] [O], ressortissant russe et maltais interpellé à l'aéroport de [1], a fait l'objet, de la part des autorités russes, d'une demande d'arrestation aux fins d'extradition provisoire, suivie d'une demande d'extradition aux fins de poursuites pénales, pour des faits commis entre le 9 décembre 2014 et le 1er septembre 2017 qualifiés de détournement de fonds, soustraction ou vol du bien d'autrui avec abus de la position officielle au sein d'un groupe organisé, à une échelle particulièrement grande.
3. M. [O] a déclaré ne pas consentir à sa remise.
4. Par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a ordonné un complément d'information afin de permettre, le cas échéant, aux autorités de la République de Malte de solliciter la remise de l'intéressé sur mandat d'arrêt européen.
5. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 30 juin 2021, puis au 19 octobre 2021.
6. Le procureur général a transmis à la chambre de l'instruction, le jour de l'audience, un échange de courriel avec le bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) du ministère de la justice, précisant que « les autorités maltaises avaient bien été interrogées dès le mois de mars 2021 et nous avaient confirmé leur intention de ne pas émettre un MAE [...] ».
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :
« 2°/ qu'il ne résulte d'aucune des mentions de l'arrêt que le courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice du 18 octobre 2021 évoqué par le parquet général dans des réquisitions déposées le 19 octobre 2021, veille de l'audience, ait été concomitamment déposé au dossier de la procédure ni communiqué à la défense lors des débats ; en fondant sa décision sur ce courriel, la chambre de l'instruction a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense, ensemble les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. La chambre de l'instruction a pu valablement se référer au courriel du BEPI du ministère de la justice produit la veille de l'audience par le ministère public, dès lors que l'avocat de la personne réclamée, entendu à l'audience en ses observations, ne s'est pas prévalu de cette irrégularité et n'a pas sollicité le renvoi de l'audience.
10. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur les troisième et quatrième moyens
Enoncé des moyens
11. Les troisième et quatrième moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors que cet avis, pris au regard de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, qui est une convention du Conseil de l'Europe, a perdu tout fondement légal, à raison de l'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe.
Réponse de la Cour
12. Les moyens sont réunis.
13. Par résolution adoptée le 16 mars 2022, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé, dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l'article 8 du statut dudit Conseil, que la Fédération de Russie cessait immédiatement d'en être membre (CM/Del/Dec(2022)1428ter/2.3).
14. Par résolution adoptée le 23 mars 2022, le même Comité des ministres a décidé que la Fédération de Russie a cessé au 16 mars 2022 d'être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe qui ne sont ouverts qu'aux Etats membres de l'organisation, mais qu'elle continuera à être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe auxquels elle a exprimé son consentement à être liée, et qui sont ouverts à l'adhésion d'États non-membres (CM/Del/Dec(2022)1429bis/2.3).
15. Or, l'article 30 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 dispose, en son premier alinéa, que le Comité des ministres du Conseil de l'Europe pourra inviter tout Etat non-membre du Conseil à adhérer à la présente Convention.
16. Il en résulte que la Fédération de Russie continue à être partie contractante à ladite convention, nonobstant son exclusion du Conseil de l'Europe.
17. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :
« 1°/ que l'avis est défavorable si les conditions légales de l'extradition ne sont pas remplies, ce qu'il incombe à la chambre de l'instruction de contrôler elle-même ; il résulte d'un arrêt du 6 septembre 2016 (C-182/15) de la Cour de justice de l'Union européenne qu'un Etat membre, saisi d'une demande d'extradition par un Etat tiers a l'obligation d'informer l'État membre de la nationalité de l'intéressé, et le cas échéant, à la demande de ce dernier État, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions relatives au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ; par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction a ordonné un complément d'information à cette fin, auprès des autorités de la République de Malte et précisé que la réponse devra lui être transmise avec sa traduction en langue française ; en s'en tenant, pour dire n'y avoir lieu de refuser l'extradition, en l'absence de réponse au dossier des autorités maltaises elles-mêmes, au contenu d'un courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice interrogé par le parquet général, selon lequel les autorités judiciaires de la République de Malte auraient confirmé en mars 2021 leur intention de ne pas émettre un mandat d'arrêt européen, la chambre de l'instruction s'en est ainsi remise au pouvoir exécutif, n'a pas exercé le contrôle qui lui incombait personnellement et a privé sa décision en la forme, des conditions essentielles de son existence légale ; »
Réponse de la Cour
Vu les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne et 593 du code de procédure pénale :
19. Selon les deux premiers de ces textes, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel il a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin, C-182/15).
20. Conformément au principe de coopération loyale, il incombe à l'État membre requis d'informer les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'État tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition.
21. Il incombe également à l'État membre requis de tenir lesdites autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19).
22. Cet échange d'informations a pour objet de mettre l'Etat membre, dont la personne réclamée a la nationalité, en mesure d'exercer le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.
23. Selon le troisième de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
24. En l'espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce en substance que le courriel du 18 octobre 2021 du BEPI du ministère de la justice, évoqué par le ministère public dans ses réquisitions écrites, permet d'apprendre que les autorités judiciaires de la République de Malte ont confirmé, dès mars 2021, leur intention de ne pas émettre de mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. [O].
25. Les juges en déduisent qu'il est justifié de l'information des autorités maltaises de l'existence d'une demande d'extradition de la part des autorités russes concernant l'intéressé, dès le mois de mars 2021.
26. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
27. En effet, il lui incombait, en application des principes rappelés aux paragraphes 19 à 21, de s'assurer que cet État membre avait effectivement été mis en mesure d'apprécier l'opportunité d'émettre un mandat d'arrêt européen aux fins de poursuites pour les faits objet de la demande d'extradition, pour autant que son droit national le permette, ce qui ne pouvait résulter du simple échange de courriels entre le procureur général et le BEPI tel que soumis à la chambre de l'instruction.
28. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 15 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze octobre deux mille vingt-deux.