LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 559 F-D
Pourvoi n° R 21-11.759
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 OCTOBRE 2022
La société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de Mme [Y] [X], agissant en qualité de liquidateur de la société 40 BC, a formé le pourvoi n° R 21-11.759 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [V], domicilié [Adresse 5],
2°/ à M. [S] [V], domicilié [Adresse 3],
tous deux pris en qualité d'héritiers de [H] [V], décédé,
3°/ à M. [D] [B] [P], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de la société MJA, ès qualités, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de MM. [N] et [S] [V], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 décembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 15 janvier 2020, pourvoi n° 17-28.127), par un jugement du 4 février 2016, la société 40 BC a été mise en redressement judiciaire.
2. [H] [V], après avoir déclaré une créance au passif de la société 40 BC correspondant aux loyers impayés depuis le mois d'octobre 2015 au titre du bail commercial, conclu le 5 mars 2005, portant sur des locaux dans lesquels la société 40 BC exerçait son activité, a saisi le juge-commissaire d'une requête aux fins de constatation de la résiliation de plein droit du bail.
3. Par un jugement du 22 novembre 2016, la procédure collective de la société 40 BC a été convertie en liquidation judiciaire, la société MJA étant désignée en qualité de liquidateur.
4. Par une ordonnance du 19 janvier 2017, le juge-commissaire a rejeté la requête de [H] [V].
5. Par un acte du 5 avril 2017, auquel a été appelé le bailleur, le liquidateur a cédé le fonds de commerce de la société 40 BC.
6. [H] [V] étant décédé le [Date décès 4] 2019, ses héritiers, MM. [N] et [S] [V] ont poursuivi la procédure introduite par le recours formé contre l'ordonnance du juge-commissaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de constater la résiliation de plein droit du bail conclu entre [H] [V] et la société 40 BC, alors « que la renonciation peut être tacite et résulter d'un comportement du créancier incompatible avec le maintien de son droit ; que dans ses écritures d'appel, la société MJA, ès qualités, faisait valoir qu'étant partie à l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017, qui incluait la cession du droit au bail, et en mentionnant dans l'acte qu'il faisait son affaire personnelle, en accord avec le cessionnaire, du paiement des loyers dont l'absence de règlement avait motivé sa requête du 5 octobre 2016 tendant à la résiliation de plein droit du bail, M. [V] avait implicitement mais nécessairement renoncé à poursuivre la résiliation du bail conclu avec la société 40 BC, dans la mesure où l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017 était incompatible avec la poursuite de la résiliation du bail conclu avec la société 40 BC ; qu'en jugeant le contraire, au motif que "les conditions étaient réunies pour constater la résiliation de plein droit du bail au 5 octobre 2016 et M. [V] n'ayant pas renoncé à sa requête", tout en constatant l'existence de l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017 et des renonciations consenties par le bailleur en raison de la conclusion de cet acte, la cour d'appel qui a méconnu le principe selon lequel la renonciation résulte d'un comportement du créancier incompatible avec le maintien de son droit, a violé l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1103 du code civil :
8. La renonciation a un droit peut être tacite et résulter d'un comportement du créancier qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien de ce droit.
9. Pour constater la résiliation de plein droit du bail conclu entre [H] [V] et la société 40 BC, l'arrêt, après avoir relevé que l'acte de cession du fonds de commerce indique que le bailleur et le cessionnaire déclarent dégager la société MJA, ès qualités, de toute responsabilité sur les conséquences de l'absence de paiement par le cessionnaire des loyers relevant de la clause de solidarité cessionnaire/cédant, à savoir les loyers antérieurs et postérieurs jusqu'au mois d'avril 2017 inclus, renonçant à tout recours à ce titre contre la société MJA, et que le bailleur s'engage, en conséquence, à renoncer immédiatement à sa déclaration de créance, ainsi qu'à renoncer aux commandements de payer visant la clause résolutoire du bail et à accepter le désistement de toute procédure y relative, retient que [H] [V] n'a pas pour autant renoncé à sa requête en constat de résiliation de plein droit du bail au 5 octobre 2016.
10. En statuant ainsi, alors que la renonciation à sa déclaration de créance de loyers consentie par [H] [V] à l'occasion de la cession du fonds de commerce emportant celle du bail commercial était nécessairement incompatible avec le maintien d'une demande tendant à la résolution du même bail commercial en raison du défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il résulte de ce qui précède que le bailleur, qui a renoncé à sa déclaration de créance de loyers, est sans intérêt à poursuivre la résiliation du bail en raison du défaut de leur paiement.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant l'ordonnance du 19 janvier 2017, il constate la résiliation de plein droit du bail conclu le 5 mars 2005 entre [H] [V] et la société 40 BC, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare MM. [N] et [S] [V], en leur qualité d'héritiers de [H] [V], irrecevables en leur demande tendant à la constatation de la résiliation de plein droit du bail conclu le 5 mars 2005 entre [H] [V] et la société 40 BC ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés, y compris devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société MJA, en la personne de Mme [Y] [X], en qualité de liquidateur de la société 40 BC.
La société MJA prise en la personne de Maître [Y] [X], ès qualités de liquidateur de la Sarl 40 BC reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir constaté la résiliation de plein droit du bail conclu le 5 mars 2005 entre M. [H] [V] et la société 40 BC et d'avoir dit que cette résiliation était intervenue le 5 octobre 2016 ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la renonciation peut être tacite et résulter d'un comportement du créancier incompatible avec le maintien de son droit ; que dans ses écritures d'appel (conclusions du 26 juin 2020, p. 11 in fine et p. 12), la Selafa MJA, ès qualités, faisait valoir qu'étant partie à l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017, qui incluait la cession du droit au bail, et en mentionnant dans l'acte qu'il faisait son affaire personnelle, en accord avec le cessionnaire, du paiement des loyers dont l'absence de règlement avait motivé sa requête du 5 octobre 2016 tendant à la résiliation de plein droit du bail, M. [V] avait implicitement mais nécessairement renoncé à poursuivre la résiliation du bail conclu avec la société 40 BC, dans la mesure où l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017 était incompatible avec la poursuite de la résiliation du bail conclu avec la société 40 BC ; qu'en jugeant le contraire, au motif que « les conditions étaient réunies pour constater la résiliation de plein droit du bail au 5 octobre 2016 et M. [V] n'ayant pas renoncé à sa requête » (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 1er), tout en constatant l'existence de l'acte de cession de fonds de commerce du 5 avril 2017 et des renonciations consenties par le bailleur en raison de la conclusion de acte (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 8), la cour d'appel qui a méconnu le principe selon lequel la renonciation résulte d'un comportement du créancier incompatible avec le maintien de son droit, a violé l'article 1103 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le juge ne peut dénaturer le sens des écrits qui lui sont soumis ; qu'en considérant que M. [V] n'avait pas renoncé à poursuivre la résiliation du bail sur le fondement de sa requête du 5 octobre 2016, nonobstant la cession de fonds de commerce survenue le 5 avril 2017 à laquelle il était partie, au motif qu'une clause de l'acte de cession précisait qu'en cas de remise en cause de la cession, « le cédant s'obligera à restituer au cessionnaire la totalité des sommes qui lui ont été remises » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 8 ; acte de cession, p. 10, alinéa 2), cependant que cette clause, qui ne règle que les rapports entre le cédant et le cessionnaire et non entre le cédant et le bailleur (M. [V]), la cour d'appel a dénaturé le sens de la clause litigieuse, en méconnaissance du principe précité.