LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 21-85.605 F-D
N° 01187
ODVS
4 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 OCTOBRE 2022
M. [S] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 20 janvier 2021, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de recel, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [S] [M], les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la Société [1], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le restaurant exploité par la Société [1] a été victime d'un vol au cours duquel plusieurs dizaines de bouteilles de vins de crus prestigieux ont été dérobées.
3. MM. [S] [M] et [U] [T] ont été poursuivis pour le recel de neuf de ces bouteilles, retrouvées au domicile du second, les étiquettes ayant été dégradées en vue d'en empêcher la traçabilité.
4. Ces bouteilles ont été restituées à la victime.
5. MM. [M] et [T] ont été déclarés coupables par des décisions devenues définitives sur l'action publique et, après renvoi sur les intérêts civils, le tribunal correctionnel a débouté la Société [1], partie civile, de l'ensemble de ses demandes.
6. La partie civile a relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a condamné M. [S] [M], solidairement avec M. [U] [T], à verser à la SARL Société [1] la somme de 82 400 euros en réparation de son préjudice, alors :
« 5°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur des faits dont il a eu connaissance par des investigations personnelles, sans les soumettre aux débats des parties ; qu'en se déterminant par le prix du marché et en « se référant à la valeur moyenne des bouteilles disponibles à la vente sur les sites internet spécialisés des négociants pratiquant la vente en ligne des crus prestigieux » pour aboutir à des évaluations totalement différentes de celles proposées par les parties, sans soumettre les éléments qu'elle avait ainsi recherchés à partir de différents sites internet et les résultats de ses recherches à la discussion contradictoire des parties, la Cour d'appel a violé le principe du contradictoire ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :
9. Il résulte de ces textes que les juges ne peuvent fonder leurs décisions que sur des pièces préalablement soumises à la discussion des parties.
10. Pour fixer à 82 400 euros le montant du préjudice, assimilé à la valeur de remplacement des bouteilles de vin recelées, l'arrêt attaqué énonce que le prix du marché peut être déterminé en se référant à la valeur moyenne des bouteilles disponibles à la vente sur les sites internet spécialisés, facilement accessibles, des négociants pratiquant la vente en ligne de crus prestigieux.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de recherches personnelles, dont les résultats n'ont pas été soumis à la discussion des parties, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'évaluation du préjudice résultant du recel des neuf bouteilles de vin visées par la prévention. Les autres dispositions seront donc maintenues.
14. Il apparaît d'une bonne administration de la justice, en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, d'ordonner que la cassation aura effet à l'égard de M. [T], co-prévenu intimé et condamné civilement, qui ne s'est pas pourvu contre l'arrêt attaqué.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 20 janvier 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l'évaluation du préjudice résultant du recel des neuf bouteilles de vin visées par la prévention, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que cette cassation sera étendue aux dispositions concernant M. [T] sur l'évaluation du même chef de préjudice ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon autrement composée à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre octobre deux mille vingt-deux.