LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 septembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 688 F-D
Pourvoi n° H 21-12.556
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022
Mme [H] [U], domiciliée [Adresse 2]), a formé le pourvoi n° H 21-12.556 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme [U], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 octobre 2020), le 21 juillet 2010, Mme [U] a souscrit une déclaration d'acquisition de la nationalité française en raison de son mariage.
2. Le 25 mai 2016, le ministère public l'a assignée en annulation de l'enregistrement de cette déclaration.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [U] fait grief à l'arrêt de déclarer le ministère public bien fondé en son action, d'annuler l'enregistrement de sa déclaration et d'ordonner en conséquence la mention prévue par l'article 28 du code civil, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [H] [U] contestait les effets du jugement du 12 juin 2002 dans l'ordre juridique vietnamien, en indiquant que « les époux [U] ayant repris leur vie maritale, ont souhaité renoncer au divorce précédemment sollicité avant leur réconciliation ; ils n'ont donc pas fait signifier ledit jugement de sorte que celui-ci n'était pas définitif, n'avait pas acquis autorité de la chose jugée ni force exécutoire alors que Monsieur et Madame [U] avaient repris leur vie matérielle et affective commune » ; qu'en relevant que Mme [H] [U] « reconnait que ce jugement a plein effet dans l'ordre juridique vietnamien », la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de Mme [H] [U], en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite par Mme [U] postérieurement au jugement de divorce prononcé par un tribunal vietnamien, l'arrêt retient que l'intéressée reconnaît que ce jugement a plein effet dans l'ordre juridique vietnamien.
6. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, Mme [U] exposait que « les époux, ayant repris leur vie maritale, avaient souhaité renoncer au divorce précédemment sollicité avant leur réconciliation et n'avaient donc pas fait signifier ledit jugement, de sorte que celui-ci, qui n'était pas définitif, n'avait pas acquis autorité de la chose jugée ni force exécutoire », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ces écritures, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile et en ce qu'il déclare recevable l'action du ministère public, l'arrêt rendu le 20 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour Mme [U].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le ministère public recevable en son action en contestation de la déclaration de nationalité et de l'avoir ensuite déclaré fondé en cette action, d'avoir annulé l'enregistrement effectué le 17 juin 2011 sous le numéro 09686/11 dossier n°2010DX011991 de la déclaration de nationalité française souscrite par celle-ci le 21 juillet 2010, et d'avoir en conséquence ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;
1°/ ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [H] [U] contestait les effets du jugement du 12 juin 2002 dans l'ordre juridique vietnamien, en indiquant que « les époux [U] ayant repris leur vie maritale, ont souhaité renoncer au divorce précédemment sollicité avant leur réconciliation ; ils n'ont donc pas fait signifier ledit jugement de sorte que celui-ci n'était pas définitif, n'avait pas acquis autorité de la chose jugée ni force exécutoire alors que Monsieur et Madame [U] avaient repris leur vie matérielle et affective commune » ; qu'en relevant que Mme [H] [U] « reconnait que ce jugement a plein effet dans l'ordre juridique vietnamien », la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de Mme [H] [U], en violation du principe susvisé ;
2°/ ALORS QUE selon l'article 23 de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière civile entre la République française et la République socialiste du Vietnam, celui qui invoque la reconnaissance dans l'un des deux Etats parties, de la décision rendue dans l'autre Etat, doit produire « tout document de nature à établir que la décision a été signifiée ou notifiée » ; qu'en relevant, au contraire, que la notification du jugement rendu par la Cour populaire de Ho Chi Minh Ville le 12 juin 2002 importait peu, la cour d'appel a violé l'article 23 de cette convention ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le mensonge ou la fraude supposent la caractérisation d'un élément intentionnel ; qu'en l'espèce, Mme [H] [U] invoquait sa bonne foi, en justifiant, pièces à l'appui, qu'après le jugement du 12 juin 2002, elle avait repris sa vie maritale avec son époux, M. [C], et que, ne souhaitant pas faire produire d'effet à ce jugement, elle n'avait entrepris aucune démarche en vue de faire reconnaître en France ce jugement, qui n'avait d'ailleurs été retranscrit ni sur les registres d'état-civil français ni sur les registres d'état-civil vietnamiens ; qu'elle soulignait également qu'elle aurait eu la possibilité de solliciter la naturalisation française sur le fondement de l'article 21-17 du code civil puisqu'elle justifiait d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années précédant l'année 2010 mais que c'est de bonne foi qu'elle a sollicité la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil ; qu'en retenant le caractère frauduleux ou mensonger de la déclaration de nationalité souscrite par Mme [H] [U], sans rechercher, au vu des éléments ainsi invoqués par celle-ci, si Mme [U] n'avait pas pu croire, de bonne foi, qu'elle était toujours mariée au regard de la loi française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 26-4 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Mme [H] [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le ministère public fondé en son action en contestation de la déclaration de nationalité, annulé l'enregistrement effectué le 17 juin 2011 sous le numéro 09686/11 dossier n°2010DX011991 de la déclaration de nationalité française souscrite par celle-ci le 21 juillet 2010, et d'avoir en conséquence ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;
1°/ ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [H] [U] contestait les effets du jugement du 12 juin 2002 dans l'ordre juridique vietnamien, en indiquant que « les époux [U] ayant repris leur vie maritale, ont souhaité renoncer au divorce précédemment sollicité avant leur réconciliation ; ils n'ont donc pas fait signifier ledit jugement de sorte que celui-ci n'était pas définitif, n'avait pas acquis autorité de la chose jugée ni force exécutoire alors que Monsieur et Madame [U] avaient repris leur vie matérielle et affective commune » ; qu'en relevant que Mme [H] [U] « reconnait que ce jugement a plein effet dans l'ordre juridique vietnamien », la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de Mme [H] [U], en violation du principe susvisé ;
2°/ ALORS QUE selon l'article 23 de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière civile entre la République française et la République socialiste du Vietnam, celui qui invoque la reconnaissance dans l'un des deux Etats parties, de la décision rendue dans l'autre Etat, doit produire « tout document de nature à établir que la décision a été signifiée ou notifiée » ; qu'en relevant, au contraire, que la notification du jugement rendu par la Cour populaire de Ho Chi Minh Ville le 12 juin 2002 importait peu, la cour d'appel a violé l'article 23 de cette convention ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le mensonge ou la fraude supposent la caractérisation d'un élément intentionnel ; qu'en l'espèce, Mme [H] [U] invoquait sa bonne foi, en justifiant, pièces à l'appui, qu'après le jugement du 12 juin 2002, elle avait repris sa vie maritale avec son époux, M. [C], et que, ne souhaitant pas faire produire d'effet à ce jugement, elle n'avait entrepris aucune démarche en vue de faire reconnaître en France ce jugement, qui n'avait d'ailleurs été retranscrit ni sur les registres d'état-civil français ni sur les registres d'état-civil vietnamiens ; qu'elle soulignait également qu'elle aurait eu la possibilité de solliciter la naturalisation française sur le fondement de l'article 21-17 du code civil puisqu'elle justifiait d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années précédant l'année 2010 mais que c'est de bonne foi qu'elle a sollicité la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil ; qu'en retenant le caractère frauduleux ou mensonger de la déclaration de nationalité souscrite par Mme [H] [U], sans rechercher, au vu des éléments ainsi invoqués par celle-ci, si Mme [U] n'avait pas pu croire, de bonne foi, qu'elle était toujours mariée au regard de la loi française, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 21-2 et 26-4 du code civil.