LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 950 F-D
Pourvoi n° M 21-10.766
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [H] [V], domicilié [Adresse 1], [Localité 4], a formé le pourvoi n° M 21-10.766 contre l'arrêt rendu le 25 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Conforama France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [V], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Conforama France, après débats en l'audience publique du 15 juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Agostini, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 septembre 2019), M. [V] a été engagé selon contrat à durée indéterminée stipulant un forfait de 218 jours par an, à compter du 1er novembre 2010 par la société Conforama, en qualité de responsable animation des ventes G2, secteur blanc et cuisine de l'établissement de Vitry-sur-Seine, statut cadre, moyennant une rémunération de 29 900 euros brut par an (prime de fin d'année comprise), outre une prime de 290 euros brut par mois. A compter de l'année 2011, le salarié a été désigné représentant de la section syndicale UNSA. Selon avenant à effet du 1er juillet 2012, il est devenu responsable animation des ventes 'brun/gris' du magasin de [Localité 5], statut cadre, groupe 6 niveau 1. Au mois de janvier 2014, il s'est déclaré candidat pour les élections professionnelles au collège cadres du comité d'entreprise.
2. S'estimant victime de discrimination syndicale, de harcèlement moral et du non-paiement d'heures supplémentaires, le salarié a saisi, le 3 décembre 2014, la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il concerne la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, alors « qu'en jugeant que le salarié ''ne produit aucun tableau, établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail '', tandis qu'il invoquait dans ses conclusions un tableau récapitulant le nombre d'heures travaillées quotidiennement entre les mois de janvier 2011 et décembre 2014, figurant au bordereau des pièces produites en pièce n° 45, la cour d'appel a violé le principe interdisant au juge de ne pas dénaturer les pièces de la procédure. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour débouter le salarié de sa demande en rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, l'arrêt retient qu'à supposer qu'aucune convention de forfait en jours ne soit opposable au salarié, celui-ci ne produit aucun tableau, établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail.
6. En statuant ainsi, alors qu'au soutien de sa demande tendant au paiement d'une certaine somme au titre des heures supplémentaires pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, le salarié produisait un tableau détaillant les heures quotidiennes effectuées au cours de cette période , la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, en ce qu'il concerne la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016
Enoncé du moyen
7. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, alors « qu'en déboutant le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, sans répondre aux conclusions faisant valoir qu'il avait, lors de ses entretiens annuels de 2016, 2017 et 2018, fait état de la charge de travail déraisonnable à laquelle il était soumis, sans être contredit par sa hiérarchie, ce dont il résultait qu'il fournissait des éléments de nature à étayer sa demande et qu'il appartenait à la société Conforama de justifier des horaires effectivement réalisés sur cette période, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
9. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, l'arrêt retient que celui-ci ne produit aucun tableau, établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail, qu'ainsi le salarié ne produit pas d'éléments suffisamment précis pour étayer sa demande et permettre à l'employeur de fournir ses propres éléments.
10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié, qui se prévalait notamment des comptes rendus de ses entretiens annuels pour les années 2016, 2017 et 2018, au cours desquels il avait fait état d'une charge de travail déraisonnable au vu des moyens fournis et mentionné être submergé par son travail et ne pas parvenir à concilier sa vie professionnelle et familiale, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 25 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Conforama France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Conforama France et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le
présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour M. [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:M. [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral.
Alors qu' en rejetant la demande d'indemnisation du préjudice subi par M. [V] du fait du harcèlement moral au motif qu'il avait été indemnisé du préjudice subi au titre de la discrimination syndicale (arrêt, p. 8 § 3 et s.), tandis que l'indemnisation de ce dernier chef de préjudice ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice distinct et spécifique causé par les faits de harcèlement moral dont M. [V] a été victime, se traduisant par les dénigrements et humiliations répétées dont il était la cible, ayant fortement dégradé ses conditions de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
:M. [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en réintégration au poste de chef de rayon, secteur « cuisine et électroménager » et, en conséquence, de l'avoir débouté de ses demandes en paiement de dommages et intérêts réparant le préjudice moral subi en raison de la résistance abusive de la société Conforama pour le nommer à un autre poste, de rappel de salaire de février 2014 à mai 2019, des congés payés y afférents, et de prime de fin d'année.
1°) Alors qu'en déboutant M. [V] de sa demande de rappels de salaire, aux motifs qu'il « ne précise ni le groupe ni le niveau auxquels il souhaite être rattaché dans la qualification » (arrêt, p. 8 § 11), tandis qu'il demandait son reclassement au « poste de chef de rayon ERMTV + Cuisine » (concl., p. 27 § 2 ; p. 46 § 3), la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) Alors qu'en jugeant que M. [V] n'établissait pas que le refus de la société Conforama de le promouvoir au poste de chef de rayon résultait de ses mandats syndicaux, tandis qu'elle avait retenu q'il avait « été victime de discrimination syndicale caractérisée par une mise à l'écart des réunions, à des observations systématiquement négatives de sa hiérarchie, à une absence de réelle contrepartie aux efforts faits pour remplacer des collègues et à une absence de promotion » (arrêt, p. 7 § 10), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l'article L. 1132-1 du code du travail ;
3°) Alors qu'en toute hypothèse en déboutant M. [V] de sa demande en rappel de salaires et congés payés de février 2014 à mai 2019, sans rechercher s'il pouvait au moins prétendre à un tel rappel de février 2014 à août 2014, période durant laquelle étaient établis les faits de discrimination syndicale, se traduisant notamment par une absence injustifiée de promotion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
:M. [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 et du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.
1°) Alors qu' en jugeant que M. [V] « ne produit aucun tableau, établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail » (arrêt, p. 10 § 11), tandis qu'il invoquait dans ses conclusions (p. 38 § 6) un tableau récapitulant le nombre d'heures travaillées quotidiennement entre les mois de janvier 2011 et décembre 2014, figurant au bordereau des pièces produites en pièce n° 45, la cour d'appel a violé le principe interdisant au juge de ne pas dénaturer les pièces de la procédure ;
2°) Alors qu' en déboutant M. [V] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires aux motifs qu'il ne produisait aucun décompte, « établi au jour le jour, de ses horaires précis de travail » (arrêt, p. 10 § 11), et que le courriel de Mme [B], juriste aux affaires sociales de la société Conforama, aux termes duquel le tableau récapitulatif des jours et horaires travaillés établi par M. [V] ne comportait aucune erreur, « n'apporte aucune information car elle y confirme les jours travaillés, mais sans mentionner les horaires effectués » (arrêt, p. 10 § 12), tandis qu'au regard de ce courriel et du tableau, étayant la demande de M. [V], qui n'avait pas à produire un décompte précis des heures supplémentaires dont il réclamait le paiement, il appartenait à la société Conforama d'établir qu'il n'avait pas effectué les heures supplémentaires litigieuses, la cour d'appel a fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve du bien-fondé de sa demande, violant ainsi l'article L. 3171-4 du code du travail ;
3°) Alors qu' en déboutant M. [V] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, sans répondre aux conclusions faisant valoir qu'il avait, lors de ses entretiens annuels de 2016, 2017 et 2018, fait état de la charge de travail déraisonnable à laquelle il était soumis, sans être contredit par sa hiérarchie (concl., p. 41), ce dont il résultait qu'il fournissait des éléments de nature à étayer sa demande et qu'il appartenait à la société Conforama de justifier des horaires effectivement réalisés sur cette période, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.