LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 659 F-D
Pourvoi n° X 20-18.546
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [R] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 20-18.546 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [Y], domicilié [Adresse 5],
2°/ à M. [J] [Y],
3°/ à M. [S] [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
4°/ à Mme [G] [Y], domiciliée [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Z], de la SCP Doumic-Seiller, avocat de MM. [F], [J], [S] [Y] et de Mme [G] [Y], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 juin 2020), [P] [U] est décédée le 4 février 2012, en laissant pour lui succéder ses enfants, [J], [S] et [G], et en l'état d'un testament olographe daté du 17 juin 2011 et d'un codicille daté du 25 novembre 2011, par lesquels elle a légué à M. [Z] l'usufruit d'un bien immobilier et du mobilier le garnissant, et une quote-part des sommes provenant du partage de la communauté dissoute par l'effet de son divorce d'avec M. [F] [Y].
2. Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [Z] fait grief à l'arrêt de constater que le legs en usufruit reçu par lui sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 6] et le mobilier s'y trouvant excède la quotité disponible et d'accueillir en conséquence l'action en réduction formée par les héritiers réservataires, de donner acte à ceux-ci de ce qu'ils optent, conformément à l'article 917 du code civil, pour la délivrance de leur réserve en pleine propriété et l'abandon consécutif de la propriété de la quotité disponible de la succession au légataire particulier et de constater en conséquence qu'ils se trouvent en indivision avec lui sur l'immeuble cadastré [Cadastre 6] et le mobilier le meublant, d'ordonner la licitation par adjudication des biens cadastrés section [Cadastre 6] et [Cadastre 7] et de fixer à 750 euros l'indemnité d'occupation mensuelle dont il est redevable envers l'indivision successorale, à compter du 5 février 2013, alors « que la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur et les héritiers réservataires ne sauraient par quelque acte que ce soit contrevenir à cette règle impérative en diminuant cette masse, de sorte que tout acte qu'ils peuvent accomplir est sans effet à l'égard des personnes tenues de supporter la réduction ; qu'en retenant, pour estimer que le legs en usufruit consenti à M. [Z] par [P] [U] excédait la quotité disponible et accueillir en conséquence l'action en réduction formée par les trois enfants de [P] [U], que les héritiers réservataires avaient pu, par un protocole transactionnel notarié conclu avec leur père, M. [F] [Y], renoncer à se prévaloir des droits de la défunte dans l'indivision post-communautaire [Y]-[U], quand cette transaction, intervenue par acte des 16 et 17 février 2012 après le décès de la de cujus sans que le légataire y consente, n'avait pu avoir pour effet de diminuer la masse des biens existants au jour du décès, survenu le 4 février 2012, au regard de laquelle se calcule la quotité disponible et se détermine l'éventuelle réduction des legs, la cour d'appel a violé l'article 922 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. MM. [F], [J], [S] [Y] et Mme [G] [Y] (les consorts [Y]) contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau et mélangé de fait et contraire aux conclusions d'appel de M. [Z].
5. Cependant, en application de l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, M. [Z] qui, sans développer de nouveau moyen, a conclu devant la cour d'appel à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions autres que celle portant sur les dépens, est réputé en avoir adopté les motifs.
6. Or, le tribunal a retenu que, pour procéder aux opérations de liquidation de la succession, il était nécessaire de connaître la part revenant à la défunte dans la communauté afin de l'intégrer à l'actif, de calculer la valeur de la quotité disponible et d'ainsi vérifier s'il y avait lieu à réduction du legs, la renonciation des enfants [Y] à se prévaloir des droits reconnus à leur mère par un arrêt du 7 septembre 2010, n'ayant d'effet qu'à l'égard de leur père.
7. Le moyen, qui n'est ni nouveau ni contraire aux écritures d'appel de M. [Z], est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 922, alinéa 1er, du code civil :
8. Selon ce texte, pour déterminer s'il y a lieu à réduction, il est formé une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou du testateur.
9. Pour dire que le legs en usufruit reçu par M. [Z] excède la quotité disponible et accueillir la demande en réduction formée par les héritiers réservataires, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu à liquidation préalable de l'indivision post-communautaire ayant existé entre [P] [U] et M. [F] [Y], dès lors qu'à la suite d'un protocole transactionnel intervenu les 16 et 17 février 2012 entre les héritiers de [P] [U] et celui-ci, l'instance en liquidation du régime matrimonial initiée par le jugement de divorce a définitivement pris fin, que le litige ne porte plus que sur l'existence de créances et de récompenses réciproques dont les parties à ce protocole ont renoncé à se prévaloir et qu'il n'existe plus aucun bien indivis dépendant de l'indivision post-communautaire, ces mêmes parties ayant admis être remplies de leurs droits respectifs par les actifs se trouvant déjà en leur possession.
10. En statuant ainsi, alors que cette transaction, postérieure à l'ouverture de la succession, était sans incidence sur l'étendue de la masse des biens au jour du décès, de sorte qu'il y avait lieu d'intégrer à la masse les droits de [P] [U] dans la communauté après liquidation pour déterminer s'il y avait lieu à réduction, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate que le legs en usufruit reçu par M. [Z] sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 6] et le mobilier s'y trouvant excède la quotité disponible et accueille en conséquence l'action en réduction formée par les héritiers réservataires, donne acte à ceux-ci de ce qu'ils optent, conformément à l'article 917 du code civil, pour la délivrance de leur réserve en pleine propriété et l'abandon consécutif de la propriété de la quotité disponible de la succession au légataire particulier et constate en conséquence qu'ils se trouvent en indivision avec lui sur l'immeuble cadastré [Cadastre 6] et le mobilier le meublant, ordonne la licitation par adjudication en l'étude du notaire commis, sur le cahier des charges qu'il établira, des immeubles situés à [Localité 8] ci-après désignés, à savoir une maison d'habitation située à [Localité 8] cadastrée section [Cadastre 6], d'une contenance totale de 39 a 70 ca, sur la mise à prix de 400 000 euros et la moitié indivise d'un terrain contigu cadastré section [Cadastre 7] d'une contenance totale de 39 a 29 ca, sur la mise à prix de 25 000 euros, autorise, à défaut d'enchères sur les mises à prix sus-fixées, le notaire commis à procéder à une baisse immédiate du quart sans nouvelles publicités et même au-delà après une nouvelle publicité et fixe l'indemnité d'occupation mensuelle dont M. [Z] est redevable envers l'indivision successorale, à compter du 5 février 2013 jusqu'à la libération par lui des lieux et la remise des clés au notaire ou, à défaut, la licitation du bien situé [Adresse 1], à la somme de 750 euros, l'arrêt rendu le 16 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne les consorts [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts [Y] et les condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [Z]
M. [Z] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté que le legs en usufruit reçu par M. [Z] sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 6] et le mobilier s'y trouvant excède la quotité disponible et accueille en conséquence l'action en réduction formée par les héritiers réservataires, d'AVOIR donné acte aux héritiers réservataires de ce qu'ils optent, conformément à l'article 917 du code civil, pour la délivrance de leur réserve en pleine propriété et l'abandon consécutif de la propriété de la quotité disponible de la succession au légataire particulier et constaté en conséquence qu'ils se trouvent en indivision avec M. [Z] sur l'immeuble cadastré [Cadastre 6] et le mobilier le meublant, d'AVOIR ordonné la licitation par adjudication en l'étude du notaire commis, sur le cahier des charges qu'il établirait, des immeubles situés à [Localité 8] ci-après désignés, à savoir une maison d'habitation située à [Localité 8] cadastrée section [Cadastre 6], d'une contenance totale de 39 a 70 ca, sur la mise à prix de 400 000 euros et la moitié indivise d'un terrain contigu cadastré section [Cadastre 7] d'une contenance totale de 39 a 29 ca, sur la mise à prix de 25 000 euros, d'AVOIR autorisé, à défaut d'enchères sur les mises à prix sus-fixées, le notaire commis à procéder à une baisse immédiate du quart sans nouvelles publicités et même au-delà après une nouvelle publicité et d'AVOIR fixé l'indemnité d'occupation mensuelle dont M. [Z] est redevable envers l'indivision successorale, à compter du 5 février 2013 jusqu'à la libération par lui des lieux et la remise des clés au notaire ou, à défaut, la licitation du bien situé [Adresse 1], à la somme de 750 euros ;
ALORS QUE la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur et les héritiers réservataires ne sauraient par quelque acte que ce soit contrevenir à cette règle impérative en diminuant cette masse, de sorte que tout acte qu'ils peuvent accomplir est sans effet à l'égard des personnes tenues de supporter la réduction ; qu'en retenant, pour estimer que le legs en usufruit consenti à M. [Z] par [P] [U] excédait la quotité disponible et accueillir en conséquence l'action en réduction formée par les trois enfants de [P] [U], que les héritiers réservataires avaient pu, par un protocole transactionnel notarié conclu avec leur père, M. [F] [Y], renoncer à se prévaloir des droits de la défunte dans l'indivision post-communautaire [Y]-[U], quand cette transaction, intervenue par acte des 16 et 17 février 2012 après le décès de la de cujus sans que le légataire y consente, n'avait pu avoir pour effet de diminuer la masse des biens existants au jour du décès, survenu le 4 février 2012, au regard de laquelle se calcule la quotité disponible et se détermine l'éventuelle réduction des legs, la cour d'appel a violé l'article 922 du code civil.