LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 639 F-D
Pourvoi n° U 21-10.911
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
1°/ M. [J] [S], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société [J] [S], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° U 21-10.911 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2020 par le premier président près la cour d'appel de Bordeaux, dans le litige les opposant :
1°/ à la société Drouineau-Bacle-Veyrier-Le Lain-Barroux-Verger, société civile professionnelle d'avocats, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [M] [W] [U], domiciliée [Adresse 5],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, domicilié en son parquet général, place de la République, 33077 Bordeaux,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [S] et de la société [J] [S], de la SARL Corlay, avocat de la société Drouineau-Bacle-Veyrier-Le Lain-Barroux-Verger et de Mme [W] [U], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 décembre 2020), le 12 décembre 2011, la SELARL Cabinet conseil Rousseau [S], devenue SELAS [J] [S] (la société [S]), société d'avocats inscrite au barreau de La Roche-sur-Yon, et la SCP Drouineau-Cosset-Bacle, devenue la SCP Drouineau-Bacle-Veyrier-Le Lain-Barroux-Verger, société d'avocats inscrite au barreau de Poitiers (la société Drouineau et associés) ont conclu une convention d'association organisant les modalités d'exercice en commun de leur profession étendu, par un avenant du 16 décembre 2014, à Mme [W] [U], avocate inscrite au barreau de la Charente.
2. A la suite d'une délibération du 7 décembre 2011, l'excluant de l'association, la société Gerandeau a saisi, d'une demande d'arbitrage, le bâtonnier de [Localité 4], lequel en accord avec le bâtonnier de La Roche-sur-Yon, a désigné, en qualité de bâtonnier tiers, celui de Nantes, qui a été saisi, le 27 juillet 2018, par la société [S] et M. [S]. Après avoir prolongé de quatre mois le délai de quatre mois dont il disposait pour statuer, le bâtonnier n'a pas pris de décision.
3. A la suite d'une nouvelle demande d'arbitrage, formée le 19 août 2019, par la société [S] et M. [S], le bâtonnier de La Roche-sur-Yon s'est rapproché du bâtonnier de [Localité 4] pour la désignation d'un bâtonnier tiers, puis a saisi la présidente du Conseil national des barreaux qui a désigné, le 2 octobre 2019, pour arbitrer ce litige, le bâtonnier de Bordeaux, lequel a été saisi le 10 octobre 2019 par la société [S] et M. [S].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La société [J] [S] et M. [J] [S] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur recours, alors « que la saisine de la cour d'appel, dans l'hypothèse où le bâtonnier ne rend pas de décision dans le délai prévu par l'article 179-5, alinéa 1er, du décret du 27 novembre 1991, n'est pas une voie de recours mais constitue une simple faculté pour les parties, dont l'absence d'exercice ne les prive pas, sous réserve de la prescription, d'engager une nouvelle procédure devant le bâtonnier ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a encore violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 179-2 et 179-5 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
5. Selon le premier de ces textes, lorsqu'un différend oppose des avocats de barreaux différents, le bâtonnier saisi par un membre de son barreau transmet sans délai l'acte de saisine au bâtonnier du barreau auquel appartient l'avocat défendeur. Les bâtonniers disposent d'un délai de quinze jours pour s'entendre sur la désignation du bâtonnier d'un barreau tiers. A défaut de s'être entendus dans ce délai sur cette désignation, le bâtonnier du demandeur saisit le président du Conseil national des barreaux qui désigne le bâtonnier d'un barreau tiers. En cas de pluralité de défendeurs appartenant à des barreaux différents, le bâtonnier initialement saisi demande au président du Conseil national des barreaux de désigner le bâtonnier d'un barreau tiers.
6. Selon le second, le bâtonnier rend sa décision dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine. Si la nature ou la complexité du différend le justifie, ce délai peut être porté à quatre mois par décision motivée, notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Lorsque le bâtonnier n'a pas pris de décision dans le délai prévu à l'alinéa précédent, chacune des parties peut saisir la cour d'appel dans le mois qui suit l'expiration de ces délais.
7. Il s'en déduit que, lorsqu'à l'expiration du délai de quatre mois, éventuellement prolongé, le bâtonnier n'a pas statué, la saisine de la cour d'appel dans le délai d'un mois ayant suivi l'expiration de ce délai constitue une simple faculté, non exclusive de celle de saisir le bâtonnier d'une nouvelle demande d'arbitrage.
8. Pour déclarer irrecevable le recours de la société [J] [S] et de M. [J] [S], l'arrêt retient que, le bâtonnier de Nantes n'ayant pas statué dans le délai prescrit, la seule voie de recours était l'appel dans le mois ayant suivi l'expiration du délai de quatre mois et non la réouverture d'une seconde procédure de bâtonnier tiers, peu important que le second bâtonnier tiers ait été régulièrement saisi.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2020, entre les parties, par le premier président près la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la SCP Drouineau-Bacle-Veyrier-Le Lain-Barroux-Verger aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [S] et la société [J] [S]
La société [J] [S] et Me [J] [S] font grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable leur recours,
1°) ALORS QUE l'autorité de chose jugée n'est attachée qu'aux décisions de justice à caractère juridictionnel, par lesquelles le juge saisi a statué sur le litige opposant les parties ; que lorsque le bâtonnier saisi d'un différend entre avocats ne rend pas de décision dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine, éventuellement prorogé, en application de l'article 179-5, alinéa premier, du décret du 27 novembre 1991, chacune des parties peut saisir la cour d'appel dans le mois qui suit l'expiration de ce délai ; que dans cette hypothèse, en l'absence de décision rendue par le bâtonnier, les parties peuvent également, sous réserve de la prescription, engager une nouvelle procédure arbitrale devant le bâtonnier, conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le bâtonnier de NANTES, désigné d'un commun accord par les bâtonniers de POITIERS et de LA ROCHE SUR YON, avait été saisi d'un différend opposant la SELAS [J] [S] et Me [J] [S] à la SCP DROUINEAU et associés et Me [W] [U], et qu'après l'échec de la phase de conciliation, un calendrier de procédure avait été communiqué, avec une décision de prorogation et une audience de plaidoirie fixée, avant d'être reportée sans que le bâtonnier ne rende de décision expresse dans le délai imparti par l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991 ; que la cour d'appel en a déduit que la seule voie de recours était la voie de l'appel dans le mois ayant suivi l'expiration du délai dont disposait le bâtonnier pour statuer, et non la réouverture d'une seconde procédure de bâtonnier tiers, peu important ensuite que le second bâtonnier tiers ait été régulièrement saisi par la présidente du Conseil national des barreaux ; qu'en statuant de la sorte, quand en l'absence de décision prise par le bâtonnier de NANTES dans le délai qui lui était imparti par le décret du 27 novembre 1991, les parties étaient recevables, sous réserve de la prescription, à engager une nouvelle procédure devant le bâtonnier, la cour d'appel a violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 1355 (anciennement 1351) du code civil, et l'article 480 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QUE la saisine de la cour d'appel, dans l'hypothèse où le bâtonnier ne rend pas de décision dans le délai prévu par l'article 179-5, alinéa 1er, du décret du 27 novembre 1991, n'est pas une voie de recours mais constitue une simple faculté pour les parties, dont l'absence d'exercice ne les prive pas, sous réserve de la prescription, d'engager une nouvelle procédure devant le bâtonnier ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a encore violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°) ALORS QU' une décision juridictionnelle ne peut être implicite et ne saurait par conséquent naître du silence gardé par la juridiction saisie d'un litige ; qu'en jugeant, après avoir pourtant retenu que la phase contentieuse devant le bâtonnier de NANTES « n'a effectivement pas donné lieu à une décision expresse du bâtonnier tiers de Nantes dans le délai prescrit par l'article 179-5 du décret [du 27 novembre 1991] », que la seule voie de recours était la voie de l'appel dans le mois ayant suivi l'expiration du délai dont disposait le bâtonnier pour rendre une décision, et que faute d'avoir exercé ce recours, la SELAS [J] [S] et Me [J] [S] étaient irrecevables en leurs demandes, la cour d'appel a violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU' aucune autorité de chose jugée ne peut être attachée à une décision rendue par un tribunal dépourvu de pouvoir juridictionnel ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que le bâtonnier de NANTES avait été désigné d'un commun accord par les bâtonniers de LA ROCHE SUR YON et de POITIERS (décision d'arbitrage du 21 janvier 2020, p. 4), en application de l'article 179-2, alinéa 2, premier terme, du décret du 27 novembre 1991, quand les co-défendeurs (la SCP DROUINEAU et associés et Me [F] [U]) dépendaient de barreaux différents, de sorte qu'en vertu de l'article 179-2, alinéa 2, deuxième terme, du décret, le président du Conseil national des barreaux aurait dû être saisi afin de désigner un bâtonnier tiers chargé de trancher le différend entre les parties ; qu'en jugeant néanmoins que faute d'avoir saisi la cour d'appel dans le délai d'un mois suivant l'expiration du délai dont disposait le bâtonnier de NANTES pour rendre une décision, le recours de la SELAS [J] [S] et Me [J] [S] était irrecevable, quand ce bâtonnier irrégulièrement saisi ne disposait d'aucun pouvoir juridictionnel pour trancher le litige, la cour d'appel a violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 1355 (anciennement 1351) du code civil, l'article 480 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°) ALORS, ENFIN, QUE l'autorité de chose jugée n'est attachée qu'aux décisions rendues en matière contentieuse sur les contestations émises par les parties ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué (p. 5, 3ème §) qu'à la suite du report de l'audience initialement prévue le 11 décembre 2018 devant le bâtonnier de NANTES, un courrier du secrétariat de l'ordre a été adressé aux parties pour les aviser qu'elles recevraient un nouveau calendrier de procédure qui n'a jamais établi, qu'aucune audience n'a par la suite été organisée ni aucune décision rendue par le bâtonnier ; qu'en jugeant néanmoins que faute d'avoir saisi la cour d'appel dans les conditions prévue par l'article 179-5, alinéa 2, du décret du 27 novembre 1991, la SELAS [J] [S] et Me [J] [S] étaient irrecevables en leur action, la cour d'appel a violé l'article 179-5 du décret du 27 novembre 1991, ensemble l'article 1355 (anciennement 1351) du code civil, l'article 480 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme.