LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 21-86.808 F-D
N° 01073
ECF
13 SEPTEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
M. [E] [B] et les sociétés [3], [1] et [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 9 novembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 28 octobre 2020, n° 19-85.037), a condamné, le premier, pour soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine, infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et travail dissimulé, à dix-huit mois d'emprisonnement, 200 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer et a ordonné une mesure de publication, les deuxième et troisième, pour soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine, à, respectivement, 60 000 euros et 40 000 euros d'amende, et la quatrième, pour infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, à deux amendes de 2 500 euros.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [E] [B] et des sociétés [3], [1] et [2], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [E] [B] a été renvoyé, le 14 juin 2018, devant le tribunal correctionnel des chefs de soumission à des conditions d'hébergement indignes, risques causés à autrui, violation de normes d'hygiène et de sécurité par l'employeur et travail dissimulé.
3. Quatre des sociétés dont il est le gérant ont également été renvoyées devant le tribunal correctionnel : les SCI [3], [4], [1], et [2].
4. Par jugement du 7 décembre 2018, le tribunal a relaxé la SCI [4] et déclaré les autres prévenus coupables, notamment, de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine, travail dissimulé, mise en danger d'autrui et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs.
5. M. [B] et les SCI [3], [1] et [2] ont relevé appel de cette décision. Le ministère public a interjeté appel incident.
6. Par arrêt du 3 juin 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré les prévenus coupables et les a condamnés, M. [B], pour soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine, travail dissimulé, mise en danger de la vie d'autrui et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, à 50 000 euros d'amende, les SCI [3] et [1], pour soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement contraires à la dignité humaine, à, respectivement, 10 000 euros et 6 000 euros d'amende, et la SCI [2], pour infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, à deux amendes de 2 500 euros.
7. Par arrêt du 28 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé l'arrêt attaqué en ses seules dispositions ayant retenu la culpabilité de M. [B] et de la SCI [3] du chef de mise en danger de la vie d'autrui, de la SCI [3] et la SCI [1] du chef de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante à des conditions d'hébergement indignes, et de la SCI [2] du chef d'infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs, ainsi que sur les peines, et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième et sixième branches
8. Les griefs ne sont de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné, d'une part, M. [B] du chef d'hébergement indigne, manquement aux normes de sécurité et travail dissimulé à une peine d'emprisonnement ferme de dix-huit mois, à une amende de 200 000 euros ainsi qu'à une interdiction professionnelle de cinq ans, outre la publication de son arrêt, d'autre part, les SCI dont M. [B] est le gérant à des amendes de 60 000, 40 000 et 5 000 euros à raison des mêmes faits figurant dans une poursuite unique alors :
« 4°/ que le juge répressif qui décide de ne pas aménager une peine d'emprisonnement ferme doit motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ; qu'il ne peut s'abstenir d'ordonner un tel aménagement au motif qu'il ne dispose pas d'éléments précis sur la situation de l'intéressé dès lors que ce dernier est présent à l'audience et peut répondre à toutes les questions permettant d'apprécier la faisabilité d'une mesure d'aménagement ; qu'en se dispensant de motiver le refus d'un aménagement de peine, la cour a derechef méconnu le principe d'individualisation en violation des articles 132-1 et 132-19 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-19, dans ses rédactions antérieure et postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale :
10. Il se déduit de l'articulation de ces textes que, lorsque la date des faits poursuivis est antérieure au 24 mars 2020, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, loi de procédure applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur en vertu de l'article 112-2, 2°, du code pénal, si la peine d'emprisonnement prononcée est supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans, durée qui doit être déterminée en faisant application de l'article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, en répression de faits commis, sans récidive légale, avant le 24 mars 2020, l'aménagement de la peine est le principe, sauf en cas de récidive.
11. Il s'ensuit que le juge ne peut refuser d'aménager la peine au motif qu'il ne serait pas en possession d'éléments lui permettant d'apprécier la mesure d'aménagement adaptée. Dans ce cas, il doit ordonner, d'une part, l'aménagement de la peine, d'autre part, la convocation du prévenu devant le juge de l'application des peines, en application de l'article 464-2, I, 2°, du code de procédure pénale.
12. L'arrêt attaqué, après avoir condamné le prévenu à une peine d'emprisonnement de dix-huit mois, écarte le principe de son aménagement en retenant que, compte tenu de la date des faits, tous antérieurs au 24 mars 2020, un aménagement ultérieur de cette peine d'emprisonnement par le juge de l'application des peines sera possible, sous réserve de l'appréciation de ce magistrat, lequel pourra ainsi s'assurer du paiement de l'amende qui sera également prononcée.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
14. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l'aménagement de la peine d'emprisonnement de M. [B], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux.