LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 20-84.366 F-D
N° 01051
MAS2
7 SEPTEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022
MM. [N] [V], [H] [M], [L] [X], [B] [A], [R] [G], [Z] [V], d'une part, et Mme [T] [U], tiers intervenant, d'autre part, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-13, en date du 6 mars 2020, qui a condamné, le premier, pour escroquerie et blanchiment, en bande organisée, à huit ans d'emprisonnement, 10 000 000 d'euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, le deuxième, pour escroquerie et blanchiment, en bande organisée, à six ans d'emprisonnement, 5 000 000 d'euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, le troisième, pour blanchiment en bande organisée, à cinq ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 500 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive, le quatrième, pour blanchiment en bande organisée, à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, 1 000 000 d'euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, le cinquième, pour blanchiment en bande organisée, à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 50 000 euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, le sixième, pour blanchiment en bande organisée, à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, 20 000 euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, a ordonné une mesure de confiscation, a prononcé sur la demande de restitution de bien saisi de la septième, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. d'Huy, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [T] [U], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [H] [M], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [Z] [V], les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [N] [V], [L] [X], [B] [A], les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [R] [G], les observations de Me Soltner, avocat de la caisse des dépôts et consignations, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. d'Huy, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Au terme d'une information judiciaire relative à une importante escroquerie à la taxe carbone, trente-six personnes ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs notamment d'escroquerie en bande organisée, blanchiment aggravé en bande organisée, recel aggravé et complicité.
3. Par jugement du 23 mai 2018, le tribunal correctionnel, après avoir prononcé des relaxes partielles, a déclaré notamment MM. [N] [V], [H] [M], [L] [X], [B] [A], [R] [G], [Z] [V], coupables des faits reprochés et les a condamnés à diverses peines.
4. Plusieurs prévenus parmi lesquels les demandeurs au pourvoi, ainsi que le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
5. Devant la cour d'appel, Mme [T] [U], tiers intervenant, a demandé la restitution d'objets placés sous scellés sur le fondement de l'article 481 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur les moyens proposés pour MM. [N] [V], [M], [X], [A], [G] et [Z] [V]
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen proposé pour Mme [T] [U]
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution présentée par Mme [T] [U] du scellé APO-001 contenant la somme de 25 000 euros, alors :
« 1°/ que lorsque les objets saisis ne sont pas susceptibles de confiscation et ne sont pas revendiqués par un tiers, la cour d'appel ne peut en refuser la restitution que si celle-ci présente un danger pour les personnes ou les biens ; que la cour d'appel a rejeté la demande de restitution en se bornant à retenir la qualité d'agent municipal de Mme [U] et son salaire d'un montant de 1 800 euros, sans relever que la somme qui ne pouvait plus faire l'objet d'une confiscation, était revendiquée par un tiers ni que sa restitution présenterait un danger pour les personnes ou les biens ; que dès lors la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention, 481, 484, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le doute sur les modalités d'acquisition d'un bien ne constitue pas un critère excluant sa restitution à un tiers ne faisant l'objet d'aucune poursuite dans le cadre d'une procédure pénale ; qu'en se bornant à énoncer, pour rejeter la demande en restitution, qu'étant agent municipal depuis trente ans avec un salaire de 1 800 euros, Mme [U] ne justifie pas comment elle peut détenir une somme de 25 000 euros en espèces, la cour d'appel a de nouveau méconnu les dispositions susvisées ;
3°/ que la mauvaise foi d'une personne quant à la détention d'un bien ne peut être déduite que s'il est établi qu'elle a été frauduleuse ; qu'en énonçant qu'en raison du statut d'agent municipal de la demanderesse et du montant de son salaire, elle était un tiers de mauvaise foi, la cour d'appel n'a pas constaté le caractère frauduleux de cette détention et ne pouvait rejeter la demande de restitution sans méconnaître les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 479, 481, 484 et 593 du code de procédure pénale :
8. Il résulte du premier de ces textes que toute personne autre que le prévenu, la partie civile ou la personne civilement responsable qui prétend avoir droit sur des objets placés sous main de la justice, peut en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite. Le tribunal statue par jugement séparé, les parties entendues.
9. Selon le deuxième, le tribunal peut refuser la restitution lorsque celle-ci présente un danger pour les personnes ou les biens ou lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.
10. D'après le troisième, lorsque la cour d'appel est saisie du fond de l'affaire, elle est compétente pour statuer sur les restitutions dans les conditions prévues par les articles 478 à 481 du code de procédure pénale. Elle peut refuser la restitution lorsque celle-ci présente un danger pour les personnes ou les biens.
11. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour refuser de restituer la somme de 25 000 euros à Mme [U], la cour d'appel relève d'abord que celle-ci n'a pas été mise en examen ni renvoyée devant le tribunal correctionnel, qu'il n'est pas établi que l'information se poursuive à son encontre et qu'elle est recevable à solliciter la restitution des objets placés sous main de justice sur lesquels elle justifie avoir des droits.
13. Puis, après avoir annoncé qu'elle ordonnera la restitution à l'intéressée d'un scellé contenant les plans d'un appartement et une facture, ainsi que la mainlevée du blocage d'un coffre à la Caisse d'épargne de [Localité 1] dont le mandant est Mme [Y] [U] et le mandataire Mme [T] [U], la cour d'appel indique qu'en revanche, elle rejettera la demande de restitution du scellé contenant la somme de 25 000 euros, en retenant qu'étant agent municipal depuis trente ans
pour un salaire de 1 800 euros, Mme [U] ne justifie pas comment elle peut détenir une somme en espèces d'un pareil montant, et ne saurait être considérée comme un tiers de bonne foi.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
15. En effet, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, sans relever que la somme saisie présente un danger pour les personnes ou les biens ou qu'elle est l'instrument ou le produit direct ou indirect des infractions poursuivies.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 6 mars 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la demande de restitution présentée par Mme [T] [U], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [N] [V] devra payer à la caisse des dépôts et consignations en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [N] [V] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [M] devra payer à la caisse des dépôts et consignations en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [M] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [A] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [G] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [Z] [V] devra payer à l'Etat français en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux.