LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 31 août 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 634 F-D
Pourvoi n° M 20-15.799
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M.et Mme [F].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 31 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Réunion, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-15.799 contre l'arrêt rendu le 21 février 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [F],
2°/ à Mme [H] [R], épouse [F],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Réunion, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. et Mme [F], après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 21 février 2020), par contrat du 12 octobre 2011, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de La Réunion (la banque) a consenti à M. et Mme [F] (les emprunteurs) un prêt immobilier.
2. Invoquant diverses irrégularités affectant l'offre de prêt, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation de la clause stipulant l'intérêt conventionnel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la clause stipulant l'intérêt conventionnel, de substituer le taux de l'intérêt légal à celui de l'intérêt conventionnel, de la condamner à rembourser aux emprunteurs le trop-perçu d'intérêts depuis la souscription du prêt et de lui enjoindre de produire un avenant accompagné d'un nouveau tableau d'amortissement, alors « que l'irrégularité résultant du défaut de communication du taux de période dans le contrat de prêt ne peut être sanctionnée que si l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est supérieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret 2011-135 du 1er février 2011 applicable à la cause ; qu'en l'espèce, en prononçant la nullité de la clause d'intérêt conventionnel et la substitution du taux légal pour défaut de mention du taux de période dans le contrat de prêt, cependant qu'elle avait constaté que le taux effectif global mentionné dans le contrat ne comportait pas d'erreur supérieure à une décimale, la cour d'appel a violé l'article 1907 du code civil et les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La recevabilité du moyen est contestée en défense, en ce qu'il serait nouveau.
5. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 313-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, et l'article R. 313-1du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-135 du 1er février 2011 :
6. En application de ces textes, un prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l'emprunteur. Le défaut de communication du taux et de la durée de la période est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts. Une telle sanction ne peut cependant être appliquée lorsque l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313 -1 susvisé.
7. Pour prononcer la nullité de la clause stipulant l'intérêt conventionnel du prêt, l'arrêt retient que le taux de période n'a pas été expressément communiqué aux emprunteurs.
8. En statuant ainsi, après avoir relevé, par motifs adoptés, que l'écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat de prêt et le taux réel était de deux millièmes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Selon l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée se trouvant dans un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
10. La cassation prononcée entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions de l'arrêt condamnant la banque à produire un avenant au contrat accompagné d'un nouveau tableau d'amortissement prenant en considération la substitution du taux légal au taux d'intérêt contractuel, aux dépens et au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens, qui se trouvent avec elle dans un lien de dépendance nécessaire.
11. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il résulte des motifs adoptés de l'arrêt que le taux effectif global mentionné dans le contrat de prêt présente un écart de deux millièmes avec le taux réel.
14. La demande d'annulation de la clause stipulant l'intérêt conventionnel ne peut en conséquence qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts de M. et Mme [F], l'arrêt rendu le 21 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande d'annulation de la clause stipulant l'intérêt conventionnel du prêt ;
Condamne M. et Mme [F] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Réunion.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a, après avoir constaté que le taux de période n'a pas été stipulé au contrat de prêt immobilier du 13 octobre 2011 signé le 24 octobre 2011, prononcé la nullité de la clause d'intérêt conventionnel stipulée dans le contrat de prêt, prononcé la substitution du taux d'intérêt conventionnel par le taux d'intérêt légal en vigueur lors de la conclusion du contrat de prêt, à savoir 0,38 % à celui de 4,649 % stipulé audit contrat, condamné la CRCAMR à rembourser à M. [F] et Mme [R] épouse [F] la somme correspondant au trop-perçu d'intérêts pour la période comprise entre la date d'entrée en vigueur dudit contrat et la présente décision et fait injonction à la CRCAMR à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir de produire un avenant accompagné du nouveau tableau d'amortissement prenant en considération cette substitution du taux d'intérêt en vigueur au jour de la conclusion du contrat soit 0,38 % au taux conventionnel ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le tribunal dans sa décision du 5 juin 2018 a considéré en ce qui concerne les mentions relatives au taux de période et la durée de période : "la période n'est pas mentionnée sur l'offre de prêt. En effet, le taux de 0,387% qu'elle retient n'est mentionné à aucun moment dans l'offre de prêt. D'ailleurs pour affirmer que le taux de période était bien mentionné sur le taux de prêt, la banque a dû se livrer dans ses conclusions à un calcul consistant à diviser le TEG annuel de 4,649 % par douze mois. Dès lors, l'absence de mention du taux de période par écrit a pour sanction la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal. En conséquence, il convient de faire droit aux demandes principales des demandeurs à savoir la nullité de la clause de stipulation d'intérêts, de prononcer la substitution au taux d'intérêt conventionnel du taux légal en vigueur au jour de la conclusion du contrat soit 0,38 %, de condamner la banque à rembourser aux époux [F] la somme correspondant aux intérêts indûment versés au titre du prêt depuis sa conclusion jusqu'à la présente décision et d'enjoindre la CRCAMR mais ce sans astreinte à compter du 8ème jour suivant la signification de la décision à intervenir à produire un avenant accompagné d'un tableau d'amortissement prenant en considération cette substitution du taux d'intérêt légal de 0,38% au taux conventionnel". Le tribunal a ainsi considéré que la mention de la période et d'un TEG exact et proportionnel ne satisfaisait pas aux exigences de l'article R. 313-1 du code de la consommation, lequel dispose : "le taux effectif global d'un prêt est un taux annuel, à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires et calculé selon la méthode d'équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent code. Le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l'emprunteur". En se déterminant ainsi, le tribunal a fait une exacte application des faits de la cause et du droit des parties. Il est en effet constant que faute de mention du taux de période du taux effectif global, il n'a pas été satisfait aux exigences des articles L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation et de l'article 1907 du code civil. La mention dans l'écrit constatant un prêt d'argent du taux effectif global est une condition de validité de la stipulation d'intérêts et l'inexactitude de cette mention équivaut à une absence de mention. La sanction de cette absence de mention est la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel prévu. Dès lors, en relevant que n'avaient pas été respectées les exigences relatives à la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt litigieux et à la communication expresse du taux de période à l'emprunteur, le tribunal en a justement déduit que le taux légal devait être substitué au taux conventionnel. La décision sera confirmée en toutes ses dispositions y compris celles relatives aux dommages et intérêts sollicités par les intimés, non justifiés » (arrêt p. 2-3) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur le rapport établi par Humania Consultants : il convient de constater que ce rapport établi de façon non contradictoire émane d'un cabinet de conseil en mathématiques financières saisi à la demande des époux [F]. Que certes il ne constitue pas une expertise judiciaire mais il est produit aux débats et a été soumis à l'appréciation de l'ensemble des parties ; que dès lors le principe du contradictoire ayant été respecté il y a lieu de le prendre en considération. Sur le taux du TEG, le taux et la durée de période : aux termes de l'article L. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 mars 2016, « dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels". Aux termes de l'article L. 313-2 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 mars 2016, « le taux effectif global déterminé comme il est dit à l'article L. 313-1 doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par la présente section". Aux termes de l'article R 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 mars 2016, "le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l'emprunteur. Le taux du TEG est calculé le cas échéant avec une précision d'au moins une décimale". Il en résulte que l'article R. 313-1 du code de la consommation contient deux phrases, la première relative au calcul du TEG et la seconde qui impose la communication expresse du taux et de la durée de période à l'emprunteur. En ce qui concerne le TEG : Selon l'article R. 313-1 du code de la consommation, le taux du TEG est calculé avec une précision d'au moins une décimale. Même en suivant le rapport de Humania Consultants validé par le rapport de l'expert-comptable, il en résulte entre le TEG mentionné dans l'offre de prêt et le TEG résultant du rapport Humania Consultants une différence de deux millièmes soit une différence inférieure à une décimale. Dès lors, et en application d'une jurisprudence constante le TEG n'étant pas erroné à plus d'une décimale, il n'y a pas lieu de sanctionner la banque en prononçant sur cette base la nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel. En ce qui concerne les mentions relatives aux taux de période et la durée de la période : Il est évident contrairement aux affirmations de la banque que la période n'est pas mentionnée sur l'offre de prêt. En effet le taux de 0,387 % qu'elle retient n'est mentionné à aucun moment sur l'offre de prêt. D'ailleurs pour affirmer que le taux de période était bien mentionné sur le taux de prêt, la banque a dû se livrer dans ses conclusions à un calcul consistant à diviser le TEG annuel de 4,649% par douze mois. Dès lors, l'absence de mention du taux de période par écrit a pour sanction la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal (Cass. Civ. 1ère, 1er juin 2016). En conséquence, il convient de faire droit aux demandes principales des demandeurs à savoir la nullité de la clause de stipulation d'intérêts, de prononcer la substitution au taux d'intérêt conventionnel du taux légal en vigueur au jour de la conclusion du contrat soit 0,38 %, de condamner la banque à rembourser aux époux [F] la somme correspondant aux intérêts indûment versés au titre du prêt depuis sa conclusion jusqu'à la présente décision et d'enjoindre la CRCAMR mais ce sans astreinte à compter du 8ème jour suivant la signification de la décision à intervenir à produire un avenant accompagné d'un tableau d'amortissement prenant en considération cette substitution du taux d'intérêt légal de 0,38% au taux conventionnel. Sur la demande de dommages-intérêts : Les demandeurs ne justifiant d'aucun préjudice, ils seront déboutés de ce chef de demande » (jugement p. 4-5) ;
ALORS QUE l'irrégularité résultant du défaut de communication du taux de période dans le contrat de prêt ne peut être sanctionnée que si l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est supérieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue du décret 2011-135 du 1er février 2011 applicable à la cause ; qu'en l'espèce, en prononçant la nullité de la clause d'intérêt conventionnel et la substitution du taux légal pour défaut de mention du taux de période dans le contrat de prêt, cependant qu'elle avait constaté que le taux effectif global mentionné dans le contrat ne comportait pas d'erreur supérieure à une décimale, la cour d'appel a violé l'article 1907 du code civil et les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation.