LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 462 FS-B
Pourvoi n° K 21-13.571
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 JUILLET 2022
La société Géo France finance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 21-13.571 contre l'ordonnance rendue le 3 mars 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15), dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, domicilié [Adresse 5], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Géo France finance, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, Mme Ducloz, conseillers, M. Guerlot, Mmes de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 mars 2021), les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Paris et de Créteil ont, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies en vue de rechercher la fraude des sociétés Géo France finance (la société GFF), European Tradings Materials et Manufacture française des Ardennes, dans les locaux et dépendances situés [Adresse 4] et [Adresse 1] et [Adresse 2].
2. Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées les 28 et 29 mai 2019.
3. La société GFF a interjeté appel des ordonnances d'autorisation et formé un recours contre le déroulement de ces opérations.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. La société GFF fait grief à l'ordonnance de déclarer régulières les opérations de visite et de saisies en date des 28 et 29 mai 2019 effectuées dans les locaux sis [Adresse 4], alors :
« 1°/ que l'officier de police judiciaire doit assister aux opérations de visite et saisies, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées ; qu'ainsi des saisies ne peuvent être valablement effectuées qu'en la présence constante d'un officier de police judiciaire ; qu'en affirmant au contraire que "si l'officier de police judiciaire doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d'incident", si bien que celui-ci peut s'absenter pourvu qu'il reste joignable et à la disposition des participants à la visite, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;
2°/ qu'en énonçant, pour déclarer régulières les opérations de visite et saisies effectuées dans ses locaux malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire, que celui-ci était resté à la disposition des participants aux opérations ou encore qu'il "n'a pas été relevé d'incident lié aux absences renouvelées de l'officier de police judiciaire", après avoir admis que ces absences avérées de l'officier de police judiciaire pendant le déroulement des opérations "n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement des opérations et consignant les constatations effectuées", ce dont il résultait que ce procès-verbal était dépourvu de valeur probante et que les conditions du déroulement des opérations réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire ne pouvaient pas être déterminées avec certitude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, la visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. A cette fin, il désigne le chef du service qui nomme l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. L'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense. Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération de visite et de saisies et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts.
7. Après avoir constaté que l'officier de police judiciaire s'était absenté du local où se déroulaient les opérations de visite domiciliaire à onze reprises durant les quinze heures qu'ont duré les opérations, pendant cinq à dix minutes à chaque heure, en restant à proximité du local où elles se déroulaient, et que, si ces absences n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant le déroulement des opérations, aucun incident n'a été soulevé à ce propos et ce procès-verbal a été signé sans que des observations eussent été formulées, l'ordonnance relève que l'officier de police judiciaire, demeuré à proximité du local et à tout moment joignable, est resté à la disposition des participants aux opérations de visite, même durant ses courtes absences, et n'a pas eu à intervenir dans les opérations.
8. De ces constatations, dont l'exactitude n'est pas contestée, et dès lors que la société GFF n'invoquait aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par les absences de ce dernier, le premier président a déduit à bon droit qu'il n'y avait pas lieu à annulation des opérations.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Géo France finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Géo France finance et la condamne à payer au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Géo France finance.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Géo France Finance fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé les ordonnances d'autorisation de visites rendues par le juge des libertés et de la détention Paris en date du 22 mai 2019 et par le juge des libertés et de la détention de Créteil en date du 23 mai 2019,
1°) ALORS QUE les dispositions de l'article L 16B du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, sont contraires aux articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles aboutissent à considérer que « les motifs et le dispositif des ordonnances rendues en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales sont réputés établis par le juge qui les a rendues et signées (et) que la circonstance que ces décisions soient rédigées dans les mêmes termes que d'autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d'autres magistrats dans les limites de leur compétence, est sans incidence sur leur régularité » ; que l'annulation par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, en application de l'article 61-1 de la Constitution, de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, tel qu'interprété par la Cour de cassation privera de base légale l'ordonnance attaquée ;
2°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que le premier président qui doit analyser les documents produits par l'administration vérifie que les faits résultant des éléments fournis à l'appui de la requête permettent de présumer l‘existence d'une fraude ; qu'en refusant d'apprécier la valeur probante du procès-verbal de rejet de comptabilité établi par l'administration fiscale bien que ce procès-verbal ait été communiqué à l'appui de la requête et constituait donc un élément permettant de présumer de l'existence d'une fraude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
3°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que les dispositions de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ne limitent pas le contrôle exercé par le premier président dans le cadre du débat contradictoire qu'elles instaurent en cas d'appel à l'examen d'une simple apparence de licéité de l'origine des pièces produite au soutien de la requête et que saisi d'une contestation sur ce point, le premier président doit vérifier que les éléments d'information fournis par l'administration fiscale requérante ont été obtenus par elle de manière licite ; qu'en affirmant, pour considérer que la déclaration de M. [T] aux autorités hollandaises dont la teneur était contestée et plus généralement tous les documents issus des demandes d'entraide internationale adressées aux autorités hollandaises, singapouriennes et chinoises pouvaient constituer des présomptions de fraude, qu'il suffit que le juge vérifie l'origine apparemment licite de ces pièces, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
4°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; qu'il appartient au juge chargé d'autoriser la visite, comme au premier président saisi en appel d'apprécier le bienfondé de la requête ; qu'en affirmant au contraire que le juge n'a pas à apprécier la teneur ou le bien fondé des pièces apparemment licites produites à l'appui de la requête, ni à vérifier les questions et documents soumis aux autorités étrangères ou communiquées à celles-ci, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
5°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que l'administration est tenue d'un devoir de loyauté vis- vis du juge ; que lorsqu'il est soutenu que l'administration fiscale a sciemment omis de présenter au juge des libertés et de la détention certaines pièces à décharge de nature à remettre en cause les éléments retenus au titre de l'existence d'une présomption de fraude fiscale ou a présenté des documents incomplets, le premier président est tenu d'examiner ce grief ; qu'en refusant de répondre à ce moyen, puis en retenant que le juge n'a pas à vérifier les questions et documents soumis aux autorités étrangères ou communiquées à celles-ci, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
6°) ALORS QUE l'administration est tenue d'un devoir de loyauté vis- vis du juge et doit communiquer à la partie qui le demande, les pièces dont elle fait état à l'appui de la requête ; que si l'administration n'a pas l'obligation de communiquer la totalité des pièces en sa possession, elle doit néanmoins produire l'intégralité des pièces sur lesquelles elle se fonde ; qu'en décidant le contraire, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
La société Géo France Finance fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies en date des 28 mai 2019 et 29 mai 2019 effectuées dans les locaux sis [Adresse 4], présumés occupés par la Sas GEO FRANCE FINANCE et/ou Ia SARL Unipersonnelle GEO ENERGIE ET SERVICES et ou la SASU GEOLEASE FRANCE et/ou Ia SASU GEO ENERGIE et/ou Ia SAS WORLD IN PROGRESS STUDIO et/ou toute autre entité animée ou détenue directement indirectement par [O] [C] ;
1°) ALORS QUE l'officier de police judiciaire doit assister aux opérations de visites et saisie, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées ; qu'ainsi des saisies ne peuvent être valablement effectuées qu'en la présence constante d'un officier de police judiciaire ; qu'en affirmant au contraire que « si l'officier de police judiciaire doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d'incident » si bien que celui-ci peut s'absenter pourvu qu'il reste joignable et à la disposition des participants à la visite, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et L 16 B du livre des procédures fiscales ;
2°) ALORS QU'en énonçant, pour déclarer régulières les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de la société GFF malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire, que celui-ci était resté à la disposition des participants aux opérations ou encore qu'il « n'a pas été relevé d'incident lié aux absences renouvelées de l'officier de police judiciaire », après avoir admis que ces absences avérées de l'officier de police judiciaire pendant le déroulement des opérations « n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement des opérations et consignant les constatations effectuées », ce dont il résultait que ce procès-verbal était dépourvu de valeur probante et que les conditions du déroulement des opérations réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire ne pouvaient pas être déterminées avec certitude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et L 16 B du livre des procédures fiscales.