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06/07/2022 | FRANCE | N°20-17356

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 06 juillet 2022, 20-17356


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 juillet 2022

Cassation

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 824 F-D

Pourvoi n° D 20-17.356

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022

M. [D] [V], domicilié [Adresse 1], [Loca

lité 2], a formé le pourvoi n° D 20-17.356 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2019 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dan...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 juillet 2022

Cassation

M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 824 F-D

Pourvoi n° D 20-17.356

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022

M. [D] [V], domicilié [Adresse 1], [Localité 2], a formé le pourvoi n° D 20-17.356 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2019 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'association Gemo, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association Gemo, après débats en l'audience publique du 25 mai 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 13 décembre 2019), M. [V], qui travaillait sur le port de Fort-de-France comme docker occasionnel depuis 1995 puis comme docker professionnel à compter du 1er janvier 2003, a été engagé le 1er août 2003 en qualité d'ouvrier docker professionnel par la société Manumar dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Il a ensuite été recruté comme ouvrier docker professionnel à compter du 16 avril 2008 par l'association Gemo, avec une reprise d'ancienneté à compter du 1er août 2003.

2. Le 3 février 2012, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une action en reconnaissance de la discrimination salariale dont il dit avoir été victime et en paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaire et de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que la discrimination n'est pas établie et de le débouter de ses demandes tendant à voir condamner l'association Gemo à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts en réparation du préjudice au titre d'une discrimination salariale, alors « que, même lorsque la différence de traitement en raison d'un des motifs visés à l'article L. 1132-1 du code du travail résulte des stipulations d'une convention, d'un accord collectif ou d'un avenant, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination, de sorte qu'il appartient à l'employeur de prouver qu'elles sont objectivement justifiées par des considérations de nature professionnelle ; que depuis l'entrée en vigueur de la convention collective de la manutention portuaire du port de [Localité 2] du 4 juillet 2003, les dockers mensualisés "ex-professionnels" bénéficient d'une garantie mensuelle brute égale au douzième des rémunérations brutes perçues durant l'année 2002, déduction faite de la prime de fin d'année ; que le salarié faisait valoir qu'il subissait, depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle convention, une discrimination salariale, dans la mesure où -ayant reçu la qualification de docker professionnel au mois de janvier 2003- la commission paritaire de la convention collective lui avait seulement accordé un salaire minimum garanti de 3 850 euros au mois de novembre 2003, et ce, indépendamment des rémunérations par lui perçues en tant que docker professionnel depuis le mois de janvier 2003 ; que le salarié faisait valoir que cette disparité de traitement entre les dockers justifiant de la qualification de docker professionnel avant 2003 et lui-même, constituait une discrimination en raison de l'âge, dans la mesure où il était plus jeune que ceux-ci ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand elle constatait que le salarié ne bénéficiait pas de la même garantie de rémunération que les autres dockers mensualisés "ex-professionnels", ce dont il résultait l'existence d'un fait laissant supposer une situation discriminatoire, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail :

4. En application de ces textes, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

5. Pour débouter le salarié de ses demandes fondées sur la discrimination salariale, l'arrêt retient que la société Manumar a engagé à compter du 1er août 2003 M. [V], qui était devenu docker professionnel depuis le 1er janvier 2003 alors qu'il avait auparavant le statut de docker occasionnel.

6. L'arrêt énonce ensuite que par application de la convention collective de la manutention portuaire du port de [Localité 2], signée le 4 juillet 2003, les ouvriers dockers bénéficiaient d'une garantie mensuelle de rémunération égale soit à 2 672,13 euros nets sur 12 mois, hors prime de polyvalence, pour les dockers ex- occasionnels, soit à 1/12 des rémunérations brutes perçues durant l'année 2002, hors prime de fin d'année, pour les dockers mensualisés ex-professionnels.

7. Il retient ensuite que la situation particulière des dockers devenus professionnels en 2003 n'est pas envisagée par la convention collective, l'année de référence pour le calcul des rémunérations des dockers professionnels étant l'année 2002, mais que, d'une part, il ressort des conclusions du salarié que la commission paritaire de la convention collective des ouvriers dockers s'est réunie le 25 novembre 2003 pour tenir compte de cette situation particulière et a fixé le salaire minimum garanti à 3 850 euros bruts pour ces dockers devenus professionnels au 1er janvier 2003, et que, d'autre part, si le salarié a perçu d'août à octobre 2003 une rémunération égale au minimum garanti des dockers occasionnels, il a bien été traité comme un docker professionnel en percevant à compter du mois de novembre une garantie mensuelle de 3 850 euros bruts et en bénéficiant d'une régularisation à concurrence de ce montant mensuel pour la période d'août à octobre 2003.

8. Retenant enfin qu'il ressort des pièces du dossier du salarié que le douzième de la rémunération brute annuelle perçue en 2002 par l'intéressé s'élève à 2 447,61 euros, soit un montant moins important que le salaire minimum brut fixé par la commission paritaire, versé par l'employeur à compter du mois d'août 2003, l'arrêt en déduit qu'aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte n'est produit par le salarié.

9. En se déterminant ainsi sans rechercher, comme il lui était demandé, si la disparité des modes de calcul du salaire minimum garanti conventionnel ainsi appliqués aux dockers mensualisés ex-professionnels selon leur date d'accès à ce statut n'était pas de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination au sein de cette catégorie de salariés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, en application de l'article 624 du code de procédure civile et par voie de conséquence, celle des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de ses demandes salariales et indemnitaires au titre de l'inégalité de traitement, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée ;

Condamne l'association Gemo aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Gemo et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [V]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

M. [D] [V] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR jugé que la discrimination n'était pas établie et de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir condamner l'association Gemo à lui payer les sommes de 104.240,40 € à titre de rappel de salaire et 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la discrimination salariale ;

1°) ALORS QUE, lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, le salarié présente des éléments de fait en laissant supposer l'existence et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que M. [V] soutenait et offrait de prouver que sa rémunération avait diminué à compter du mois d'août 2003 (cf. conclusions d'appel p. 3 § pénultième à p. 4 § 5 ; p. 5 § pénultième) ; qu'en s'abstenant de rechercher si cet élément ne laissait pas supposer l'existence de la discrimination invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en jugeant que M. [V] ne présentait pas d'élément laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, quand elle constatait que le salarié, bien qu'embauché au mois d'août 2003, n'avait été traité comme un docker professionnel qu'à compter du mois novembre 2003, ce qui laissait supposer l'existence d'un traitement discriminatoire, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;

3°) ET ALORS QUE, même lorsque la différence de traitement en raison d'un des motifs visés à l'article L. 1132-1 du code du travail résulte des stipulations d'une convention, d'un accord collectif ou d'un avenant, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination, de sorte qu'il appartient à l'employeur de prouver qu'elles sont objectivement justifiées par des considérations de nature professionnelle ; que depuis l'entrée en vigueur de la convention collective de la manutention portuaire du port de [Localité 2] du 4 juillet 2003, les dockers mensualisés « ex-professionnels » bénéficient d'une garantie mensuelle brute égale au douzième des rémunérations brutes perçues durant l'année 2002, déduction faite de la prime de fin d'année ; que M. [V] faisait valoir qu'il subissait, depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle convention, une discrimination salariale, dans la mesure où - ayant reçu la qualification de docker professionnel au mois de janvier 2003 - la commission paritaire de la convention collective lui avait seulement accordé un salaire minimum garanti de 3.850 euros au mois de novembre 2003, et ce, indépendamment des rémunérations par lui perçues en tant que docker professionnel depuis le mois de janvier 2003 (cf. conclusions d'appel p. 5 § dernier et p. 6 § 1 et suiv.) ; que le salarié faisait valoir que cette disparité de traitement entre les dockers justifiant de la qualification de docker professionnel avant 2003 et lui-même, constituait une discrimination en raison de l'âge, dans la mesure où il était plus jeune que ceux-ci (cf. conclusions d'appel p. 5 § 4) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand elle constatait que le salarié ne bénéficiait pas de la même garantie de rémunération que les autres dockers mensualisés « ex professionnels », ce dont il résultait l'existence d'un fait laissant supposer une situation discriminatoire, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

M. [D] [V] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir ordonner la revalorisation de son salaire et jugé qu'il devra être payé sur la base du salaire conventionnel dû à un docker professionnel et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision et condamner l'association Gemo à lui payer les sommes de 104.240,40 € à titre de rappel de salaire et 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'inégalité de traitement ;

ALORS QU'une différence de traitement, résultant d'un accord collectif, entre des salariés appartenant à la même catégorie professionnelle et placés dans une situation identique au regard dudit avantage, n'est justifiée que si elle repose sur des raisons objectives dont il appartient au juge de vérifier concrètement la réalité et la pertinence ; que depuis l'entrée en vigueur de la convention collective de la manutention portuaire du port de [Localité 2] du 4 juillet 2003, les dockers mensualisés « ex-professionnels » bénéficient d'une garantie mensuelle brute égale au douzième des rémunérations brutes perçues durant l'année 2002, déduction faite de la prime de fin d'année ; que M. [V] faisait valoir qu'il subissait, depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle convention, une inégalité de traitement avec ces dockers mensualisés « ex-professionnels », dans la mesure où - ayant reçu la qualification de docker professionnel au mois de janvier 2003 - la commission paritaire de la convention collective ne lui avait accordé qu'un salaire minimum garanti de 3.850 euros au mois de novembre 2003, et ce, indépendamment des rémunérations par lui perçues en tant que docker professionnel depuis le mois de janvier 2003 (cf. conclusions d'appel p. 5 § dernier et p. 6 § 1 et suiv.) ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes au titre du principe d'égalité de traitement, sans vérifier si la situation dans laquelle se trouvaient les autres dockers professionnels justifiait qu'il leur soit alloué le bénéfice d'une garantie de rémunération supérieure à celle de M. [V], ni expliquer en quoi cet avantage répondait à une considération de nature professionnelle, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-17356
Date de la décision : 06/07/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Fort-de-France, 13 décembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 06 jui. 2022, pourvoi n°20-17356


Composition du Tribunal
Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.17356
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