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01/06/2022 | FRANCE | N°21-13467

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 01 juin 2022, 21-13467


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er juin 2022

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 448 F-D

Pourvoi n° X 21-13.467

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUIN 2022

La société Sicpa, société de droit suisse , société anonyme, dont

le siège est [Adresse 5], [Localité 1] (Suisse), a formé le pourvoi n° X 21-13.467 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

SG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er juin 2022

Rejet

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 448 F-D

Pourvoi n° X 21-13.467

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUIN 2022

La société Sicpa, société de droit suisse , société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 1] (Suisse), a formé le pourvoi n° X 21-13.467 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [C] [U], domicilié société Nextinteractive, [Adresse 2], [Localité 4], pris en qualité de directeur de la publication de Bfmtv.com ,

2°/ à M. [R] [N], domicilié société Nextinteractive, [Adresse 2], [Localité 4], pris en qualité de journaliste,

3°/ à la société Nextinteractive, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Sicpa, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [U], de M. [N] et de la société Nextinteractive, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2020), à la suite de la publication, le 6 mars 2017, sur le site internet Bfmtv.com, d'un article intitulé « [F] [Y], lobbyiste de luxe d'une sulfureuse société suisse » et rédigé par M. [N], la société de droit suisse Sicpa, commercialisant des dispositifs de marquage fiscal ayant pour objet de garantir la traçabilité des produits destinés aux consommateurs, notamment pour les tabacs et les alcools, a assigné en diffamation et réparation M. [N], la société Nextinteractive, en qualité d'éditrice, et M. [U] en qualité de directeur de publication.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

3. La société Sicpa fait grief à l'arrêt, ayant considéré certains passages comme diffamatoires, de retenir l'excuse de bonne foi au bénéfice de M. [U], de M. [N], ainsi que de la société Nextinteractive, alors :

« 1°/ que le fait que les propos diffamatoires interviennent sur un sujet d'intérêt général ne dispense pas le journaliste de délivrer l'information au terme d'une enquête sérieuse, et a minima sur une « base factuelle suffisante » ; qu'en énonçant que compte tenu du sujet d'intérêt général majeur, « les exigences en matière de base factuelle sont donc nécessairement allégées », la cour d'appel a fait une interprétation erronée des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29 alinéa et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge ne peut décider d'assouplir son appréciation du fait justificatif de bonne foi en se fondant sur la réputation de la personne diffamée ; qu'en retenant que dès lors qu'elle était « connue pour un manque de transparence », la SICPA devait « faire preuve de la plus grande tolérance face à la critique », et qu'en conséquence, « les exigences en matière de base factuelle [étaient] donc nécessairement allégées », la cour d'appel a fait une application erronée du critère de la bonne foi, au détriment de la société Sicpa, en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la bonne foi du prévenu ne peut être déduite ni de faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux, ni de pièces établies postérieurement à celle-ci ; qu'en s'appuyant sur des articles postérieurs à la publication de l'article litigieux pour considérer que la société Sicpa « est connue pour un manque de transparence », ce qui justifiait selon elle la tenue de propos diffamatoires par l'auteur de l'article, la cour d'appel a méconnu le principe précité, et a violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la cour ne pouvait retenir la bonne foi de professionnels de l'information après avoir constaté que les propos poursuivis reposaient uniquement sur « différents articles de presse faisant état de polémiques à la suite de la conclusion de contrats avec l'intimée », et sans tenir compte du fait que l'intéressée n'avait pas été invitée à s'exprimer, ni même du fait que les dénégations apparaissant dans plusieurs articles sources n'avaient pas été rapportées par le journaliste ; que ce faisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légal et a violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que la cour d'appel ne pouvait exclure un manque de prudence de la part du journaliste sur la base du seul constat selon lequel l'auteur « a pris soin de préciser qu'aucune condamnation n'avait été prononcée », dès lors que cette mention évoque implicitement la possibilité d'une condamnation à intervenir et ne constitue nulle preuve de prudence, ce qu'avait d'ailleurs retenu le tribunal, et sans évoquer l'absence de mention des dénégations de l'intéressée dans les publications sources ; que ce faisant, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, et a violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir constaté que les propos litigieux contribuaient à un débat d'intérêt général s'agissant d'activités de lobbying menées par une société, en vue de la conclusion de marchés publics sur lesquels il était fondamental de permettre à la presse d'exercer un contrôle, la cour d'appel a retenu que des articles de presse antérieurs faisaient état de polémiques sur la conclusion de contrats et rapportaient des faits de corruption et une attribution irrégulière et frauduleuse d'un contrat allégués par des autorités kenyanes et que l'auteur de l'article litigieux avait pris soin de préciser qu'aucune condamnation n'avait été prononcée à ce jour.

5. La cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui a apprécié souverainement la prudence dans l'expression, en a déduit, à bon droit, que les propos litigieux reposaient sur une base factuelle suffisante et n'excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression.

6. Inopérant en ses trois premières branches qui s'attaquent à des motifs surabondants de l'arrêt, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Sicpa aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Sicpa

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

La société SICPA fait grief à l'arrêt d'avoir jugé non diffamatoire le premier passage : « Et un contrat public signé avec l'État a fait grand bruit au Maroc? », et une partie du second passage, selon lequel :
« mais la société suisse a aussi des soucis au Maroc. En 2014, elle a décroché des contrats de traçabilité pour le tabac et l'alcool décidés par le ministre des Finances de l'époque, [K] [I]. Des prix excessifs pratiqués par Sicpa ont déclenché l'ire du monde des affaires marocain et a conduit un distributeur d'alcool local à porter plainte. Enfin, la société suisse est accusée de corruption par des hommes politiques au Kenya où elle a aussi décroché des contrats »

Alors que d'une part, constitue une diffamation toute imputation ou allégation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé, même si elle est présentée par voie d'insinuation ; qu'en matière de diffamation, le juge doit prendre en considération les éléments intrinsèques et extrinsèques de nature à donner aux propos incriminés leur véritable sens ;
qu'en écartant le caractère diffamatoire du passage aux termes duquel « Et un contrat public signé avec l'État a fait grand bruit au Maroc? », sans tenir compte, ainsi que l'y invitaient expressément les conclusions de la société SICPA, de la mention de poursuites pour corruption au Brésil et des allégations de corruption au Kenya, ainsi que de la répétition de la réputation « sulfureuse » qui le précédaient, de l'emploi de la coordination « et » ainsi que des points de suspension, qui créaient sans équivoque un lien entre les différents évènements et laissaient entendre que le contrat marocain avait été obtenu au moyen d'actes corruptifs, la cour d'appel qui n'a pas suffisamment examiné le contexte de ce passage pour apprécier son caractère diffamatoire, a violé les articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Alors que d'autre part, en écartant le caractère diffamatoire d'une partie du second passage lorsque l'évocation, dans le cadre d'un article consacré à la corruption, d'un contrat public signé au Maroc qui aurait entraîné des « soucis » pour la société SICPA, la dénonciation de prix excessifs et la plainte d'un agent économique, renvoyait dans ce contexte, s'agissant d'une société décrite avec insistance comme étant « sulfureuse », à des accusations de corruption concernant ce contrat, la cour d'appel a violé les articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

La société SICPA fait grief à l'arrêt d'avoir jugé non diffamatoire la dernière phrase du second passage : « Pour l'heure, aucune condamnation n'a été prononcée mais ces affaires commencent à se savoir en France » ;

Alors que la cour d'appel a jugé, s'agissant de ce passage, qu'il « ne fait que rappeler que si, au jour de la rédaction de l'article, aucune déclaration de culpabilité n'est intervenue, mais que ces procédures ont une incidence sur l'image de la société, ne saurait porter atteinte à l'honneur ou à la considération de celle-ci » (Arrêt, § 13) ;
qu'au contraire, cette expression laisse entendre que le prononcé d'une déclaration de culpabilité pourrait intervenir dans le futur, et qu'il ne s'agit que d'une question de temps, ce qui avait conduit les premiers juges à considérer que cette phrase renforçait les imputations diffamatoires concernant les affaires conclues au Kenya ; qu'en statuant en ce sens, la cour d'appel a de nouveau violé les articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

La société SICPA fait grief à l'arrêt d'avoir, s'agissant des passages considérés comme diffamatoires, retenu l'excuse de bonne foi au bénéfice de M. [U], de M. [N] ainsi que de la société Nextinteractive ;

Alors que de première part, le fait que les propos diffamatoires interviennent sur un sujet d'intérêt général ne dispense pas le journaliste de délivrer l'information au terme d'une enquête sérieuse, et a minima sur une « base factuelle suffisante » ; qu'en énonçant que compte tenu du sujet d'intérêt général majeur, « les exigences en matière de base factuelle sont donc nécessairement allégées », la cour d'appel a fait une interprétation erronée des articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa et 593 du code de procédure pénale ;

Alors que de deuxième part, le juge ne peut décider d'assouplir son appréciation du fait justificatif de bonne foi en se fondant sur la réputation de la personne diffamée ;
qu'en retenant que dès lors qu'elle était « connue pour un manque de transparence », la SICPA devait « faire preuve de la plus grande tolérance face à la critique », et qu'en conséquence, « les exigences en matière de base factuelle [étaient] donc nécessairement allégées », la cour d'appel a fait une application erronée du critère de la bonne foi, au détriment de la société SICPA, en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, et a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Alors que de troisième part, et en tout état de cause, la bonne foi du prévenu ne peut être déduite ni de faits postérieurs à la diffusion des propos litigieux, ni de pièces établies postérieurement à celle-ci ; qu'en s'appuyant sur des articles postérieurs à la publication de l'article litigieux pour considérer que la société SICPA « est connue pour un manque de transparence », ce qui justifiait selon elle la tenue de propos diffamatoires par l'auteur de l'article, la cour d'appel a méconnu le principe précité, et a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Alors que de quatrième part, la cour ne pouvait retenir la bonne foi de professionnels de l'information après avoir constaté que les propos poursuivis reposaient uniquement sur différents articles de presse faisant état de polémiques à la suite de la conclusion de contrats avec l'intimée », et sans tenir compte du fait que l'intéressée n'avait pas été invitée à s'exprimer, ni même du fait que les dénégations apparaissant dans plusieurs articles sources n'avaient pas été rapportées par le journaliste ; que ce faisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légal et a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

Alors que de cinquième part, la cour d'appel ne pouvait exclure un manque de prudence de la part du journaliste sur la base du seul constat selon lequel l'auteur « a pris soin de préciser qu'aucune condamnation n'avait été prononcée », dès lors que cette mention évoque implicitement la possibilité d'une condamnation à intervenir et ne constitue nulle preuve de prudence, ce qu'avait d'ailleurs retenu le tribunal, et sans évoquer l'absence de mention des dénégations de l'intéressée dans les publications sources ; que ce faisant, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, et a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1, 42, 43, 48 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 21-13467
Date de la décision : 01/06/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 16 décembre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 01 jui. 2022, pourvoi n°21-13467


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.13467
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