LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 mai 2022
Cassation sans renvoi
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 595 F-D
Pourvoi n° M 21-11.318
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MAI 2022
L'association dauphinoise pour la formation dans l'industrie, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-11.318 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à Mme [F] [C], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'association dauphinoise pour la formation dans l'industrie, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 novembre 2020), statuant en référé, Mme [C] a été engagée en qualité de responsable des ressources humaines par l'association dauphinoise pour la formation dans l'industrie (l'association), à compter du 19 janvier 2015.
2. L'association, représentée par son délégué exécutif, M. [W], et Mme [C] ont conclu, le 22 octobre 2019, une convention de rupture du contrat de travail à effet au 31 janvier 2020.
3. Le 11 février 2020, Mme [C] a saisi la juridiction prud'homale en sa formation de référé aux fins d'obtenir, sous astreinte, la condamnation de l'employeur à régulariser les indemnités de rupture convenues et la délivrance des documents sociaux de fin de contrat.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à Mme [C] la somme provisionnelle de 46 000 euros bruts à valoir sur l'indemnité de rupture, les intérêts au taux légal courant à compter de la saisine de la juridiction et d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire, d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi portant mention de la rupture conventionnelle, d'un solde de tout compte et des documents relatifs à la portabilité des droits de santé et prévoyance, alors « que constitue une contestation sérieuse, celle qui porte sur la validité d'une convention de rupture dont dépend l'existence d'une créance ; que dès lors en affirmant, pour exclure l'existence d'une contestation sérieuse, que la circonstance que l'employeur conteste la validité de la convention de rupture dont Mme [C] entend de son côté obtenir l'exécution forcée, ne permet pas de caractériser l'existence d'une contestation sérieuse quant à la créance qui en résulte pour l'employeur, la cour d'appel a violé les articles R 1455-5 et R 1455-7 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 1455-7 du code du travail :
5. Selon ce texte, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
6. Pour écarter le moyen tiré de l'illicéité de la convention de rupture et condamner l'association à payer une somme provisionnelle à valoir sur l'indemnité de rupture, l'arrêt retient que la contestation de la validité de la convention ne permet pas en elle-même de caractériser l'existence d'une contestation sérieuse, que la plainte pénale déposée entre les mains du procureur de la République ne permet pas en elle-même d'étayer les éléments invoqués par l'employeur, qu'en l'absence d'élément extérieur et indépendamment des conclusions que pourrait retenir le juge correctionnel, il ne saurait être retenu que le droit de créance revendiqué par la salariée serait ipso facto contestable, qu'il ne saurait être déduit du seul montant négocié dans le cadre de la rupture conventionnelle un concert frauduleux entre la salariée et le représentant de l'association, alors investi de tous pouvoirs pour mener une telle procédure, quand bien même les organes de l'association ont estimé a posteriori que la convention a été conclue au préjudice de l'institution et, enfin, que la circonstance que le délégué exécutif de l'association ait indiqué au service comptable qu'il se chargerait personnellement d'informer les organes de l'association de la formalisation de la convention de rupture n'est pas de nature à susciter quelque interrogation, s'agissant d'une information relative à la gestion sociale qui relève des prérogatives de la direction, et que la circonstance alléguée que l'intéressé se soit par la suite abstenu d'aviser les organes de l'association de l'existence des pourparlers avec la salariée ne saurait être retenue comme grief personnellement imputable à cette dernière.
7. L'arrêt en conclut en l'état des pièces versées aux débats, que l'employeur ne justifie d'aucun élément probant permettant de mettre en évidence l'apparence d'un concert frauduleux entre la salariée et le directeur exécutif de nature à rendre inexécutable la convention de rupture, l'employeur ne rapportant pas la preuve, ainsi qu'il en a la charge, de ce que la demande en exécution forcée introduite par sa salariée se heurte à une contestation sérieuse.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur avait saisi la juridiction du fond pour contester la validité de la convention de rupture, qu'il avait déposé une plainte entre les mains du procureur de la République et qu'il justifiait de plusieurs éléments de fait au soutien du moyen tiré de la nullité de la convention de rupture, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire l'existence d'une contestation sérieuse portant sur la validité de la convention dont dépendait l'existence de l'obligation à paiement, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. En application de l'article R. 1455-7 du code du travail, l'existence d'une contestation sérieuse s'oppose à ce qu'il puisse être statué en référé. Il convient en conséquence de dire n'y avoir lieu à référé sur la demande de versement d'une provision au titre de l'indemnité de rupture.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à référé sur la demande de versement d'une provision au titre de l'indemnité de rupture ;
Condamne Mme [C] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Grenoble ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour l'association dauphinoise pour la formation dans l'industrie
L'association Dauphinoise pour la Formation dans l'Industrie fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à verser à Mme [C] la somme provisionnelle de 46 000 euros bruts à valoir sur l'indemnité de rupture, les intérêts au taux légal courant à compter de la saisine de la formation de référé du conseil de prud'hommes de Grenoble, soit le 11 mai 2020, et d'avoir ordonné la remise d'un bulletin de salaire tenant compte de la présente condamnation, d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi portant mention de la rupture conventionnelle, d'un solde de tout compte et des documents relatifs à la portabilité des droits de santé et prévoyance ;
1°) ALORS QUE constitue une contestation sérieuse, celle qui porte sur la validité d'une convention de rupture dont dépend l'existence d'une créance ; que dès lors en affirmant, pour exclure l'existence d'une contestation sérieuse, que la circonstance que l'employeur conteste la validité de la convention de rupture dont Mme [C] entend de son côté obtenir l'exécution forcée, ne permet pas de caractériser l'existence d'une contestation sérieuse quant à la créance qui en résulte pour l'employeur, la cour d'appel a violé les articles R 1455-5 et R 1455-7 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, le défaut de réponse à un moyen opérant constitue un défaut de motifs ; que dans ses écritures (p. 19-20), l'association Dauphinoise pour la Formation dans l'Industrie qui soutenait que la rupture conventionnelle de Mme [C], sa responsable des ressources humaines, avait été signée frauduleusement avec M. [W], délégué exécutif de l'association, faisait valoir que ce dernier lui avait consenti une indemnité de rupture dont le montant de 46 000 euros, en sus d'être démesuré par rapport à l'indemnité de rupture à laquelle elle aurait pu prétendre avec ses 5 ans d'ancienneté en cas de contentieux, oscillant entre 3 et 6 mois de salaires, soit entre 13 000 et 25 00 euros, était sans aucune proportion avec les indemnités de rupture conventionnelle qu'il négociait habituellement avec les salariés de l'association ayant une ancienneté similaire, et convenu avec Mme [C] de différer sans aucune explication la fin de son contrat de travail de plus de deux mois, soit pour le 31 janvier 2020 ; qu'en se bornant à énoncer qu'un concert frauduleux entre Mme [C] et M. [W], alors représentant de l'association Dauphinoise pour la Formation dans l'Industrie investi de tous pouvoirs pour mener une telle procédure, ne saurait être déduit du seul montant négocié dans le cadre de la rupture conventionnelle, la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen qui était pourtant de nature à établir la connivence ayant existé entre M. [W], délégué exécutif de l'association et Mme [C], sa responsable des ressources humaines, au moment de la négociation de sa rupture conventionnelle et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE la formation de référé ne peut, pour accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit de l'obligation de faire, procéder par voie de simples affirmations quant au caractère non sérieusement contestable de l'existence de l'obligation ; qu'en se bornant, pour condamner l'association Dauphinoise pour la Formation dans l'Industrie à payer à Mme [C] la somme provisionnelle de 46 000 euros bruts à valoir sur l'indemnité de rupture et ordonner la remise la remise d'un bulletin de salaire tenant compte de la présente condamnation, d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle Emploi portant mention de la rupture conventionnelle, d'un solde de tout compte et des documents relatifs à la portabilité des droits de santé et prévoyance, à affirmer de manière péremptoire que la créance sollicitée par Mme [C] n'est sérieusement contestable en l'état, sans expliciter en quoi l'obligation n'était pas sérieusement contestable, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article R. 1455-7 du code du travail ;
4°) ALORS QU'en tout état de cause, le juge des référés excède ses pouvoirs lorsqu'il empiète sur ceux du juge du fond en se prononçant sur la validité d'une rupture conventionnelle ; qu'en énonçant qu'en l'absence de contestation sérieuse, le recours juridictionnel qu'entend exercer l'association Dauphinoise pour la Formation dans l'Industrie subsidiairement aux fins de statuer à bref délai sur la question de validité de la convention de rupture sur le fondement des articles L. 1237-11 et L. 1237-14 du code du travail ne peut, a fortiori, pas prospérer, la cour d'appel qui s'est prononcée au fond sur le sort d'un recours juridictionnel et par suite sur la validité de la rupture conventionnelle, a excédé ses pouvoirs et violé les articles R 1455-5 suivants du code du travail.