LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Déchéance partielle et cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 401 F-D
Pourvoi n° D 20-22.876
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [E].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 octobre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MAI 2022
Mme [I] [E], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 20-22.876 contre deux arrêts rendus les 4 juin 2019 et 26 novembre 2019 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre B), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Association tutélaire du Ponant, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [V] [E], domicilié [Adresse 4],
3°/ à Mme [J] [E], domiciliée [Adresse 2],
4°/ au procureur général près de la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général, [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [E], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi, examinée d'office, en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 4 juin 2019
1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 978 du même code.
2. Mme [E] s'est pourvue en cassation contre les décisions rendues les 4 juin 2019 et 26 novembre 2019 par la cour d'appel de Rennes.
3. Toutefois, le mémoire remis au greffe de la Cour de cassation ne contient aucun moyen à l'encontre de la première décision.
4. Il y a lieu en conséquence de constater la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt du 4 juin 2019.
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 novembre 2019), un jugement du 16 mai 2018 a placé Mme [E] sous tutelle pour une durée de 120 mois et l'a privée de son droit de vote, l'Association tutélaire du Ponant étant désignée en qualité de tutrice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Mme [E] fait grief à l'arrêt de la placer sous curatelle renforcée pour une durée de dix ans et de désigner l'Association tutélaire du Ponant dans les fonctions de curatrice pour l'assister et la contrôler dans la gestion de ses biens et de sa personne, alors « qu'une personne ne peut être placée sous curatelle renforcée que si elle a besoin d'une assistance pour la perception de ses revenus et l'engagement de ses dépenses ; qu'en se bornant, pour décider de la placer sous curatelle renforcée, à retenir que ses facultés mentales étaient altérées, que ses facultés de jugement étaient compromises et qu'elle devait être assistée et contrôlée dans les actes de la vie civile et la gestion des biens, sans relever si elle était apte ou non à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 472 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 472, alinéa 1er, du code civil :
7. Selon ce texte, le juge peut, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée, auquel cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière et assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l'excédent sur un compte laissé à la disposition de l'intéressé ou le verse entre ses mains.
8. Pour placer Mme [E] sous curatelle renforcée, l'arrêt retient que celle-ci présente un état d'altération de ses facultés mentales ancien, peu susceptible d'amélioration et compromettant ses facultés de jugement, situation pouvant être préjudiciable à ses propres intérêts, d'autant qu'elle présente un déni important de ses troubles et qu'elle doit être assistée et contrôlée dans les actes de la vie civile et la gestion des biens.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si Mme [E] était ou non apte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
10. Mme [E] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le juge fixe la durée de la mesure de protection juridique des majeurs sans que celle-ci puisse excéder cinq ans ; qu'en la plaçant sous curatelle renforcée pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 441, alinéa 1er, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 441 du code civil :
11. Il résulte de ce texte que le juge fixe la durée de la mesure de curatelle sans que celle-ci puisse excéder cinq ans.
12. L'arrêt place Mme [E] sous curatelle renforcée pour une durée de dix ans.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Mme [E] fait grief à l'arrêt d'ordonner la suppression de son droit de vote, alors « que le majeur protégé exerce personnellement son droit de vote ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la suppression de son droit de vote sur le fondement de l'article L. 5 du code électoral, abrogé par la loi du 23 mars 2019, la cour d'appel a violé les articles 11 et 109-IV de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et l'article L. 5 du code électoral dans sa version applicable du 1er janvier 2009 au 25 mars 2019. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 72-1, alinéa 1er, du code électoral :
15. Aux termes de ce texte, le majeur protégé exerce personnellement son droit de vote pour lequel il ne peut être représenté par la personne chargée de la mesure de protection le concernant.
16. L'arrêt supprime le droit de vote de Mme [E].
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est formé contre l'arrêt rendu le 4 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 26 novembre 2019, entre les parties, par la même cour d'appel ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens qu'elle a exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [E] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour Mme [I] [E].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [E] fait grief à l'arrêt attaqué, DE L'AVOIR placée sous curatelle renforcée pour une durée de dix ans à compter du jour de l'arrêt attaqué et d'avoir désigné l'Association Tutélaire du Ponant dans les fonctions de curatrice pour l'assister et la contrôler dans la gestion de ses biens et de sa personne ;
1/ ALORS QU'une personne ne peut être placée sous curatelle renforcée que si elle a besoin d'une assistance pour la perception de ses revenus et l'engagement de ses dépenses ; qu'en se bornant, pour décider de placer Mme [E] sous curatelle renforcée, à retenir que ses facultés mentales étaient altérées, que ses facultés de jugement étaient compromises et qu'elle devait être assistée et contrôlée dans les actes de la vie civile et la gestion des biens, sans relever si elle était apte ou non à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 472 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE le juge fixe la durée de la mesure de protection juridique des majeurs sans que celle-ci puisse excéder cinq ans ; qu'en plaçant Mme [E] sous curatelle renforcée pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 441 alinéa 1er du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [E] fait grief à l'arrêt attaqué, D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a ordonné la suppression de son droit de vote ;
ALORS QUE le majeur protégé exerce personnellement son droit de vote ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la suppression du droit de vote de Mme [E] sur le fondement de l'article 5 du code électoral, abrogé par la loi du 23 mars 2019, la cour d'appel a violé les articles 11 et 109-IV de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et l'article 5 du code électoral dans sa version applicable du 1er janvier 2009 au 25 mars 2019.