LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 302 F-D
Pourvoi n° Q 20-17.895
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
1°/ la société XL Insurance Company SE, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], société de droit étranger, venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance,
2°/ la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ la société Allianz Global Corporate et Speciality, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ la société Watkins Syndicate 457, dont le siège est [Adresse 7] (Royaume-Uni),
ont formé le pourvoi n° Q 20-17.895 contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige les opposant à la société CMA CGM, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance, Generali IARD, Allianz Global Corporate et Speciality et Watkins Syndicate 457, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société CMA CGM, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 janvier 2020) et les productions, la société CMA CGM a chargé suivant un connaissement sans réserve émis le 12 février 2014 à Dakar (Sénégal) un conteneur contenant des cartons de poissons congelés à destination de Cabinda (Angola).
2. Le conteneur a été transbordé puis déchargé sur le port de [Localité 6] (République démocratique du Congo) le 7 mars 2014, puis, rembarqué le 26 mars 2014, il a été débarqué au port de [Localité 5] le 29 mars 2014, avant d'être livré le 2 avril 2014 dans les entrepôts du destinataire, où la marchandise a été dépotée.
Des dommages à la marchandise ayant été alors constatés, une expertise amiable a été effectuée le 7 avril 2014.
3. Par des actes du 1er décembre 2015, les sociétés Axa Corporate Solutions Assurances, aux droits de laquelle vient la société XL Insurance Company SE, Generali IARD, Allianz Global Corporate et Speciality et la société Watkins Syndicate 457, assureurs ad valorem (les assureurs), subrogés dans les droits du chargeur, ont assigné la société CMA CGM en indemnisation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les assureurs font grief à l'arrêt de les débouter de l'intégralité de leurs demandes, alors « qu'en cas de pertes ou dommages non apparents, le destinataire de marchandises délivrées par un transporteur maritime dispose de trois jours pour lui en donner un avis écrit afin de renverser la présomption de conformité des marchandises ; qu'un tel avis peut prendre la forme d'une convocation à expertise relative à l'état des marchandises livrées dès lors que celle-ci mentionne la nature du dommage constaté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les marchandises avaient été livrées le 2 avril 2014 et les représentants de la CMA CGM, le transporteur, convoqués à une expertise amiable par courriel adressé par l'expert dès le 3 avril 2014, lequel mentionnait un "problème de température du poisson surgelé à réception"; qu'elle a pourtant estimé que le transporteur bénéficiait de la présomption de conformité des marchandises instituée par l'article 3-6° de la convention de Bruxelles au motif que "cette convocation [à expertise] ne peut être assimilée à l'avis écrit visé par l'article 3-6° de la convention, les dommages n'étant nullement décrits ni identifiés"; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3-6°, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924. »
Réponse de la Cour
6. L'arrêt, après avoir constaté que le connaissement signé par la société CMA CGM le 12 février 2014 ne mentionne aucune réserve sur la marchandise transportée, relève que celle-ci doit en conséquence être présumée avoir été reçue en bon état par le transporteur, en application de l'article 3-4 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement (la convention).
7. Il rappelle ensuite qu'en cas de pertes ou de dommages non apparents, il appartient au destinataire d'adresser, conformément à l'article 3-6 de la convention, un avis écrit dans les trois jours de la délivrance et qu'à défaut,
la présomption de livraison en l'état conforme au connaissement bénéficie au transporteur.
8. La convocation du transporteur maritime à l'expertise amiable mentionnant, selon ses termes tels que reproduits par le moyen, un « problème de température du poisson surgelé à réception », sans indiquer, même sommairement, de quel problème il s'agissait plus précisément ni quelle importance revêtait l'avarie invoquée, la cour d'appel a pu en déduire que les dommages n'étaient « nullement décrits et identifiés » par la convocation et que celle-ci ne pouvait, dès lors, équivaloir à l'avis écrit exigé par l'article 3-6 de la convention, de sorte que, dans leurs rapports avec le transporteur maritime, les assureurs ne pouvaient se prévaloir de la présomption d'une livraison non conforme au connaissement.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés XL Insurance Company SE, Generali IARD, Allianz Global Corporate et Speciality et la société Watkins Syndicate 457 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés XL Insurance Company SE, Generali IARD, Allianz Global Corporate et Speciality et la société Watkins Syndicate 457 et les condamne à payer à la société CMA CGM la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions Assurance, les sociétés Generali IARD, Allianz Global Corporate et Speciality et Watkins Syndicate 457.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés AXA COPRORATE SOLUTIONS ASSURANCE, GENERALI IARD, ALLIANZ GLOBAL CORPORATE et SPECIALITY et WATKINS SYNDICATE 457 de l'intégralité de leurs demandes ;
AUX MOTIFS QUE " sur la responsabilité de la société CMA CGM :
qu'il n'est pas contesté que le connaissement signé par la société CMA CGM le 12 février 2014 ne mentionne aucune réserve sur la marchandise transportée ; qu'en application de l'article 3-4 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, la marchandise doit en conséquence être présumée avoir été livrée en bon état ;
qu'en cas de pertes ou de dommages non apparents, il appartient au destinataire d'adresser, conformément à l'article 3-6 de la convention de Bruxelles, un avis écrit dans les trois jours de la délivrance ; qu'à défaut, la présomption de livraison en l'état conforme au connaissement bénéficie au transporteur ;
qu'en l'espèce, il résulte du rapport d'expertise rédigé par le CESAM à la demande du courtier EYSSAUTIER PARIS, que la marchandise a été livrée à la société CASA TITI le 2 avril 2014 et que les désordres auraient été constatés le même jour après dépotage ; qu'il résulte de ce même rapport que les représentants de la CMA CGM ont été convoqués à une expertise amiable par courriel adressé par l'expert le 3 avril 2014, soit le lendemain de la découverte des dommages ; que cette convocation ne peut être assimilée à l'avis écrit visé par l'article 3-6 de la convention, les dommages n'étant nullement décrits ni identifiés ; que c'est dès lors à bon droit que la société CMA CGM invoque en l'absence d'avis écrit la présomption de l'article 3-4 de la convention de BRUXELLES ;
que le même rapport d'expertise établit l'existence incontestable des dommages subis par la marchandise le 7 avril 2019, celle-ci étant décrite "en état général de putréfaction" ; que l'expert indique que la cause du sinistre est imputable à une rupture de la chaîne du froid ; qu'il précise que cette rupture est intervenue alors que les marchandises "étaient sous la garde de la compagnie maritime DELMAS", c'est à dire de la société CMA CGM ; que cette affirmation concernant le moment où est intervenue la rupture de la chaîne du froid ne repose cependant sur aucune constatation factuelle ou démonstration de l'expert, dès lors que les relevés des températures du conteneur communiqués ne révèlent aucune anomalie ;
qu'or, ainsi qu'il vient d'être rappelé, en raison de la présomption de livraison conforme prévue par l'article 3-4 de la convention de Bruxelles, il appartient au chargeur ou à ses assureurs subrogés d'établir que le dommage est intervenu durant la période du transport maritime ; que force est de constater qu'au moment de l'examen de la marchandise par l'expert maritime, celle-ci avait été dépotée depuis cinq jours et ne se trouvait plus dans le conteneur litigieux ; que sauf à inverser la charge de la preuve, il apparaît dès lors que même en l'absence de l'intégralité des relevés de température du conteneur, les assureurs n'apportent aucun élément permettant d'affirmer que la rupture de la chaîne du froid est intervenue avant la livraison de la marchandise et son dépotage ; qu'ils n'apparaissent dès lors pas fondés à invoquer une responsabilité du transporteur ; qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer la décision en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES.A et autres assureurs, mais, statuant sur le fond, de débouter les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes " ;
1°/ALORS QU'en cas de pertes ou dommages non apparents, le destinataire de marchandises délivrées par un transporteur maritime dispose de trois jours pour lui en donner un avis écrit afin de renverser la présomption de conformité des marchandises ; qu'un tel avis peut prendre la forme d'une convocation à expertise relative à l'état des marchandises livrées dès lors que celle-ci mentionne la nature du dommage constaté ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les marchandises avaient été livrées le 2 avril 2014 et les représentants de la CMA CGM, le transporteur, convoqués à une expertise amiable par courriel adressé par l'expert dès le 3 avril 2014 (v. arrêt attaqué p. 7, dernier §), lequel mentionnait un "problème de température du poisson surgelé à réception " (v. annexe B du rapport d'expertise - production n° 4) ; qu'elle a pourtant estimé que le transporteur bénéficiait de la présomption de conformité des marchandises instituée par l'article 3 - 6° de la convention de Bruxelles au motif que " cette convocation [à expertise] ne peut être assimilée à l'avis écrit visé par l'article 3 - 6° de la convention, les dommages n'étant nullement décrits ni identifiés " (v. arrêt attaqué p. 8, premier §) ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 - 6°, de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 ;
2°/ ALORS, EN OUTRE, QUE le juge ne peut dénaturer les éléments de preuve clairs et précis soumis à son examen ; qu'en l'espèce, la convocation à expertise adressée dès le 3 avril 2014 à la CMA CGM mentionnait en termes clairs et précis un " problème de température du poisson surgelé à réception " (v. annexe B du rapport d'expertise - production n° 4) ; qu'en retenant néanmoins que " que cette convocation [à expertise] ne peut être assimilée à l'avis écrit visé par l'article 3.6 de la convention, les dommages n'étant nullement décrits ni identifiés " (v. arrêt attaqué p. 8, premier §), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette convocation, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en cas de pertes ou dommages non apparents, le destinataire de marchandises délivrées par un transporteur maritime dispose de trois jours, jours fériés non compris, pour lui en donner un avis écrit afin de renverser la présomption de conformité des marchandises ; qu'en l'espèce, pour retenir qu'aucune réserve n'avait été formulée dans le délai de trois jours suivant la livraison intervenue le 3 avril 2014, la cour d'appel s'est contentée de retenir que la convocation à expertise délivrée le vendredi 4 avril 2014 ne pouvait être assimilée à l'avis écrit exigé par l'article 3 - 6e de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 (v. arrêt attaqué p. 8, §2) ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (v. conclusions d'appel des exposantes pp. 20-21), si l'expertise intervenue le 7 avril 2014, soit cinq jours après la livraison, parmi lesquels deux jours se trouvaient être fériés, n'avait pas été effectuée en temps utile pour renverser la présomption de conformité des marchandises bénéficiant au transporteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3-6° de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 ;
4°/ ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE chaque partie est tenue d'apporter son concours aux mesures d'instruction, sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus sans avoir égard aux règles gouvernant la charge de la preuve ; qu'en l'espèce, après avoir retenu qu'il appartenait au chargeur ou à ses assureurs subrogés d'établir que le dommage était intervenu durant la période du transport maritime, la cour d'appel a estimé que " sauf à inverser la charge de la preuve, il apparaît dès lors que même en l'absence de l'intégralité des relevés de température du conteneur, les assureurs n'apportent aucun élément permettant d'affirmer que la rupture de la chaîne du froid est intervenue avant la livraison de la marchandise et son dépotage " (v. arrêt attaqué p. 8, § 2) ; qu'en refusant ainsi de tenir compte du refus du transporteur de produire l'intégralité des relevés de température du conteneur au motif que la charge de la preuve ne lui incombait pas, la cour d'appel a violé l'article 11 du code de procédure civile ;