LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 403 FS-B
Pourvoi n° M 21-15.389
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La société L'R du Lac, enseigne La Perle du Lac, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2] à [Localité 5], [Localité 4], a formé le pourvoi n° M 21-15.389 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Y] [Z], épouse [F],
2°/ à M. [O] [F],
tous deux domiciliés [Adresse 1], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société L'R du Lac, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [F], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 30 octobre 2020), M. et Mme [F] (les bailleurs), propriétaires d'une parcelle de terrain sur laquelle sont édifiés une maison et deux chalets meublés, ont consenti à la société L'R du Lac (la locataire) une location commerciale, dérogatoire au statut des baux commerciaux, pour une durée d'un an à compter du 1er juillet 2015, renouvelable tacitement pour la même durée dans la limite de trois années au total.
2. Les bailleurs ont signifié à la locataire, le 28 juin 2017, un congé à effet du 30 juin 2017, puis l'ont assignée en libération des lieux et en paiement d'une indemnité d'occupation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de la déclarer occupante sans droit ni titre depuis le terme du bail, le 30 juin 2017, d'ordonner sous astreinte la libération des locaux occupés, au besoin par voie d'expulsion et de fixer l'indemnité d'occupation due aux bailleurs, alors « qu'il résulte des articles L. 145-5 et L. 145-9 du code de commerce et 1738 du code civil que, quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, le congé alors donné par le bailleur est régi par les dispositions des articles L.145-1 et suivants du code de commerce, peu important l'existence d'une tacite reconduction qui n'est pas une prorogation du terme du bail principal ; qu'au cas présent, un bail dérogatoire était consenti par les consorts [F] à la Sarl L'R du Lac pour une durée d'une année, avec tacite reconduction, commençant à courir du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et la Sarl L'R du Lac ayant après ce terme contractuel continué à exploiter son fonds de commerce, le congé donné par le bailleur le 28 juin 2017 devait être annulé faute de respecter les formalités prévues pour les baux commerciaux régis par le statut découlant des articles L.145-1 et suivants du code de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
5. Un congé, délivré antérieurement au terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale, et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d'occupation à l'échéance de ce bail.
6. La cour d'appel, qui a relevé, par motifs adoptés, que le contrat de bail dérogatoire prévoyait qu'il était « consenti et accepté pour une durée d'une année qui a commencé à courir rétroactivement du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et qu'il sera renouvelé tacitement à l'issue de la première année et ainsi chaque année, sans dépasser une durée maximum de trois ans » et qu'aucun délai de prévenance, hormis l'antériorité du congé au regard de la date d'expiration du bail, n'était imposé au bailleur, et qui a retenu, par motifs propres, que les bailleurs avaient fait connaître, par acte d'huissier du 28 juin 2017 antérieur au terme normal du bail, leur volonté de ne pas poursuivre celui-ci, en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir d'un défaut de respect des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, applicables aux seuls baux commerciaux statutaires.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société L'R du Lac aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société L'R du Lac et la condamne à payer à M. et Mme [F] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société L'R du Lac
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la société L'R du Lac occupant sans droit ni titre depuis l'arrivée du terme du bail le 30 juin 2017, d'avoir ordonné sous astreinte la libération par la société et toute personne introduite de son chef des locaux occupés [Adresse 2] à [Localité 5] [Localité 4], au besoin par voie d'expulsion et d'avoir fixé à 2.500 € par mois l'indemnité d'occupation due aux bailleurs ;
aux motifs propres qu' « aux termes de l'article 145-5 du code de commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger au statut des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration du délai prescrit, le bail dérogatoire prend fin automatiquement. Il est donc sans portée d'invoquer les conditions prescrites à l'article L.145-41 du code de commerce, afférant aux congés en matière de baux commerciaux, pour contester le congé délivré au titre d'un bail dérogatoire souscrit par application de l'article L.145-5 susvisé. En l'espèce, le bail litigieux conclu entre les époux [F] et la société L'R du Lac par acte authentique le 7 décembre 2015 pour une durée d'un an a commencé à courir rétroactivement au 1er juillet 2015 pour s'achever au 30 juin 2016, stipulant expressément son caractère dérogatoire aux baux commerciaux. Le bail a été reconduit tacitement pour une durée d'un an, repoussant son terme au 30 juin 2017. Avant ce terme, les bailleurs ont déclaré de manière claire leur volonté de ne pas poursuivre celui-ci par acte d'huissier du 28 juin 2017. Le bail dérogatoire a donc pris fin le 30 juin 2017. Si l'appelant soutient qu'un nouveau bail commercial est né après la date du 30 juin 2017 à raison de son occupation des lieux, l'encaissement des loyers après la fin du bail dérogatoire, n'étant que la contre-partie de l'occupation et non la volonté de poursuivre un nouveau contrat, ne permet pas à lui seul de caractériser l'existence d'un bail verbal. Par conséquent, il doit être constaté que depuis le 30 juin 2017, la société L'R du Lac est devenue occupante sans droit ni titre. C'est donc à bon droit que le tribunal de grande instance de Saint-Pierre a ordonné la libération et l'expulsion de la société L'R du Lac et de tout occupant introduit de son chef, des immeubles sis [Adresse 2] à [Localité 5] à [Localité 4].» (arrêt p. 4, § 3 et s.) ;
et aux motifs adoptés des premiers juges qu'« aux termes de l'article L145-5 du code de commerce : «Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local. Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier. Lorsque le bail est conclu conformément au premier alinéa, un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location. Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire ». En l'espèce, le contrat de bail dérogatoire prévoit que «le preneur déclare avoir pris connaissance des dispositions de l'article L145-5 qui s'applique aux présentes et qui n'ouvre pas droit au bénéfice du statut des baux commerciaux à son profit, à la condition que la durée totale du ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. » S'agissant de sa durée, l'acte prévoit que « le présent bail est consenti et accepté pour une durée d'une année qui a commencé à courir rétroactivement du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016. Le bail sera renouvelé tacitement à l'issue de la première année et ainsi chaque année sans dépasser une durée maximum de trois ans. Si, à l'expiration d'une durée de trois ans, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du statut des baux commerciaux, de même en cas de renouvellement du bail ou de conclusion d'un nouveau bail entre les parties ». Enfin dans le paragraphe « Fin de Bail », il n'est pas prévu de délai de prévenance pour le bailleur afin de signifier sa volonté de ne pas reconduire le bail. Il est précisé que le propriétaire devra manifester dès avant l'expiration du bail auprès du preneur sa volonté de mettre fin aux présentes et ce par exploit d'huissier. En l'espèce, il convient de constater que le bail dérogatoire dont le terme était fixé au 30 juin 2016 a été tacitement reconduit une année conformément aux stipulations de l'acte. Cette reconduction tacite à l'issue de la première année n'a pas pour effet, contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, de soumettre les relations des parties au statut des baux commerciaux, la durée étant inférieure à trois ans et la tacite reconduction prévue dans l'acte. Les demandeurs ont, par acte du 28 juin 2017, signifié leur volonté de ne pas reconduire une nouvelle fois le bail dérogatoire. Le congé rappelle l'article L 145-5 du code de commerce et ne vise pas l'article L 145-1 comme l'affirme la SARL L'R du Lac dans ses écritures. Elle ne peut par ailleurs pas prétendre s'être maintenue dans les lieux avec l'accord du propriétaire dès lors que dès le 28 juin 2017, ce dernier a manifesté sa volonté de ne pas reconduire le bail dérogatoire, qu'il a au surplus adressé un courrier recommandé le 11 août 2017 lui demandant de libérer les lieux et a assigné la société devant le juge des référés en février 2018. Par conséquent, la SARL L'R du Lac ne peut se prévaloir des dispositions relatives au statut des baux commerciaux notamment quant aux conditions de congé pour affirmer qu'il est nul. A l'expiration du bail le 30 juin 2017, la défenderesse s'est maintenue dans les lieux en l'absence d'accord des bailleurs lesquels avaient manifesté une volonté contraire et se trouve donc occupante sans droit ni titre depuis cette date. Par conséquent, il sera ordonné la libération par la SARL L'R du Lac et toute personne introduite de son chef des locaux qu'ils occupent au n°[Adresse 2] à [Localité 5] - [Localité 4], dans un délai de deux mois suivant la signification de la décision et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pendant une durée de 90 jours passé le délai de deux mois suivant la signification de la décision, sans qu'il y ait lieu de se réserver compétence pour la liquidation. L'expulsion sera en outre ordonnée à l'issue du délai de deux mois. L'indemnité d'occupation constitue la contrepartie de la jouissance des locaux dont le bail a pris fin et la compensation du préjudice résultant pour le bailleur de la privation de la libre disposition des lieux. Une indemnité d'occupation d'un montant de 2500 euros par mois sera fixée à compter du 1er juillet 2017 jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux, étant précisé que la défenderesse justifie avoir effectué certains paiements depuis cette date. Il appartiendra aux parties de faire leur compte en fonction de ce qui a déjà été acquitté» (jugement p. 3 et p. 4, § 1 à 7) ;
1°) alors que d'une part, il résulte des articles L.145-5 et L 145-9 du code de commerce et 1738 du code civil que, quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, le congé alors donné par le bailleur est régi par les dispositions des articles. L. 145-1 et suivants du code de commerce, peu important l'existence d'une tacite reconduction qui n'est pas une prorogation du terme du bail principal ; qu'au cas présent, un bail dérogatoire était consenti par les consorts [F] à la Sarl L'R du Lac pour une durée d'une année, avec tacite reconduction, commençant à courir du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et la Sarl L'R du Lac ayant après ce terme contractuel continué à exploiter son fonds de commerce, le congé donné par le bailleur le 28 juin 2017 devait être annulé faute de respecter les formalités prévues pour les baux commerciaux régis par le statut découlant des articles L.145-1 et suivants du code de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°) alors que d'autre part, l'existence d'un bail verbal est établie par les quittances de loyers délivrées par le bailleur ; que les époux [F] ont établi le 24 juillet 2017, une « quittance de loyer » pour le mois de juillet en faisant eux-mêmes état des virements de 1.700 € et de 800 € effectués par la société L'R du Lac , les 10 juillet et 18 juillet précédents ; qu'en considérant que la société L'R du Lac était occupante sans droit ni titre depuis le 30 juin 2017 sans avoir égard aux quittances de loyers établies postérieurement à cette date et qui caractérisaient bien l'existence d'un bail verbal, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L.145-5 du code de commerce.