LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 366 FS-D
Pourvoi n° N 20-23.390
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ [W] [E], veuve [Z], ayant été domiciliée [Adresse 3], décédée,
2°/ M. [F] [Y], domicilié [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° N 20-23.390 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige les opposant à M. [V] [I], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [Y] invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [Y], de Mmes [M] et [L] [Z] et de M. [T] [Z], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), le 5 juillet 2017, soutenant que des photographies d'une villa lui appartenant et désignée sous le nom de « [Adresse 4] », publiée sur les sites internet accessibles aux adresses www.architectespourtous.fr, www.archiliste.fr, www.architectes-pour-tous.fr, portaient atteinte à l'intimité de sa vie privée, [W] [Z] a assigné M. [I], auteur des pages web litigieuses et se présentant comme maître d'oeuvre de cette villa, en indemnisation de son préjudice et suppression des photographies. M. [Y], revendiquant être l'architecte de la villa, est intervenu volontairement à l'instance sur le fondement de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle. M. [I] a opposé des fins de non-recevoir tirées de la prescription de l'action et de l'irrecevabilité de l'intervention.
2. Il est justifié par une production de la SCP Munier-Apaire qu'[W] [Z] est décédée le 18 décembre 2021. Ses héritiers, Mmes [M] et [L] [Z] et M. [T] [Z] (les consorts [Z]) ont demandé que soit constatée leur reprise de l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen formé par M. [Y] qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les consorts [Z] font grief à l'arrêt de déclarer l'action engagée par [W] [Z] irrecevable comme prescrite, alors :
« 1°/ que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'action engagée par Mme [Z] le 5 juillet 2017 était prescrite, la cour d'appel ne pouvait statuer aux motifs inopérants et infondés que les photographies litigieuses avaient été publiées sur le site internet de M. [I] antérieurement au 2 juin 2009 et que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité civile extracontractuelle courrait à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué, quand elle a elle-même relevé que Mme [Z] avait découvert la publication des photos litigieuses sur internet, en mars 2017, ce qui n'était pas contesté, ce dont il résultait que l'atteinte à la vie privée était constituée, pour la victime, à cette date-là ; la cour d'appel, qui a fait courir la prescription à compter d'une date antérieure à celle à laquelle Mme [Z] avait eu connaissance de la violation de sa vie privée par M. [I], a violé ensemble les articles 9 et 2224 du code civil ;
2°/ que l'action personnelle se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qu'il appartient à la partie qui excipe de la prescription de justifier et au juge de vérifier par un contrôle in concreto ; que le seul fait qu'une photo ait été publiée sur internet ne permet pas d'établir qu'à cette date-là, la victime dont le droit à la vie privée a été atteint, en a eu ou aurait nécessairement dû en avoir connaissance; qu'en l'espèce, en retenant, par motifs adoptés, pour considérer que l'action engagée le 5 juillet 2017 par Mme [Z] à l'encontre de M. [I] était prescrite, que Mme [Z] aurait pu connaître sans difficulté la mise en ligne des photographies litigieuses, intervenue le 2 juin 2009, sans vérifier in concreto ni constater que la preuve de la date de cette connaissance était établie par M. [I] ni que l'exposante avait, ou aurait nécessairement dû en avoir connaissance dès cette date, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensembles les articles 1315 et 2224 du code civil ;
3°/ que, chacun a droit au respect de sa vie privée et peut demander au juge, tant que l'atteinte est constituée, de prescrire toute mesure de nature à la faire cesser ; qu'en l'espèce, il est constant que l'atteinte à la vie privée de l'exposante, constituée par la publication des photos litigieuses de la villa dont Mme [Z] est propriétaire, se poursuivait encore au jour de l'assignation en justice, de sorte que les juges du fond ne pouvaient déclarer prescrite l'action de Mme [Z], en tant que son objet était précisément d'obtenir sous astreinte le retrait desdites photos et des informations attentatoires à la vie privée de Mme [Z] du site internet de M. [I], sans violer ensemble l'article 9 du code civil par refus d'application et l'article 2224 du code civil par fausse application, l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;
4°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, en refusant de mettre fin à l'atteinte, encore actuelle, à un droit de la personnalité de l'exposante, la cour d'appel a commis un déni de justice. »
Réponse de la Cour
5. Le droit d'agir pour le respect de la vie privée s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit.
6. [W] [Z] étant décédée, il s'ensuit que son action se trouve éteinte et que l'instance ne peut être reprise par ses héritiers.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU de statuer sur le pourvoi formé par [W] [Z] ;
REJETTE le pourvoi formé par M. [Y] ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. [Y].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [Z] et M. [Y] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit l'action engagée par Mme [Z] contre M. [I] prescrite ;
1) ALORS QUE les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, pour considérer que l'action engagée par Mme [Z] le 5 juillet 2017 était prescrite, la cour d'appel ne pouvait statuer aux motifs inopérants et infondés que les photographies litigieuses avaient été publiées sur le site internet de M. [I] antérieurement au 2 juin 2009 et que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité civile extracontractuelle courrait à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué, quand elle a elle-même relevé que Mme [Z] avait découvert la publication des photos litigieuses sur internet, en mars 2017, ce qui n'était pas contesté, ce dont il résultait que l'atteinte à la vie privée était constituée, pour la victime, à cette date-là ; la cour d'appel, qui a fait courir la prescription à compter d'une date antérieure à celle à laquelle Mme [Z] avait eu connaissance de la violation de sa vie privée par M. [I], a violé ensemble les articles 9 et 2224 du code civil ;
2) ALORS AUSSI QUE l'action personnelle se prescrit par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qu'il appartient à la partie qui excipe de la prescription de justifier et au juge de vérifier par un contrôle in concreto ; que le seul fait qu'une photo ait été publiée sur internet ne permet pas d'établir qu'à cette date-là, la victime dont le droit à la vie privée a été atteint, en a eu ou aurait nécessairement dû en avoir connaissance; qu'en l'espèce, en retenant, par motifs adoptés, pour considérer que l'action engagée le 5 juillet 2017 par Mme [Z] à l'encontre de M. [I] était prescrite, que Mme [Z] aurait pu connaître sans difficulté la mise en ligne des photographies litigieuses, intervenue le 2 juin 2009, sans vérifier in concreto ni constater que la preuve de la date de cette connaissance était établie par M. [I] ni que l'exposante avait, ou aurait nécessairement dû en avoir connaissance dès cette date, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensembles les articles 1315 et 2224 du code civil ;
3) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE, chacun a droit au respect de sa vie privée et peut demander au juge, tant que l'atteinte est constituée, de prescrire toute mesure de nature à la faire cesser ; qu'en l'espèce, il est constant que l'atteinte à la vie privée de l'exposante, constituée par la publication des photos litigieuses de la villa dont Mme [Z] est propriétaire, se poursuivait encore au jour de l'assignation en justice, de sorte que les juges du fond ne pouvaient déclarer prescrite l'action de Mme [Z], en tant que son objet était précisément d'obtenir sous astreinte le retrait desdites photos et des informations attentatoires à la vie privée de Mme [Z] du site internet de M. [I], sans violer ensemble l'article 9 du code civil par refus d'application et l'article 2224 du code civil par fausse application, l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
4) ALORS, ENFIN, QU'en statuant comme elle l'a fait, en refusant de mettre fin à l'atteinte, encore actuelle, à un droit de la personnalité de l'exposante, la cour d'appel a commis un déni de justice.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [Z] et M. [Y] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré ce dernier irrecevable en son intervention volontaire.
1) ALORS QUE l'intervenant volontaire à titre principal doit être titulaire d'un droit propre à agir, ce qui implique qu'il dispose à la fois de l'intérêt et de la qualité pour engager une action indépendante ; qu'en outre, l'auteur d'une oeuvre de collaboration jouit, tout comme l'auteur d'une oeuvre individuelle, du droit au respect de son oeuvre ; que dès lors, en retenant, pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire de M. [Y], qu'il ne disposait pas d'un droit propre à demander la réparation de la violation de son droit d'auteur puisqu'il ne justifiait pas qu'il était le seul architecte de la villa [Z], tout en constatant qu'il n'était « pas contesté que le book litigieux mis en ligne présent(ait) les architectes de la villa [Z] comme étant « R. [I] et A. [Y] » », ce dont il résultait que M. [Y] avait, à tout le moins, qualité de coauteur de la villa, ce qui suffisait à lui conférer qualité et intérêt pour agir à l'encontre de M. [I] afin de protéger son droit à la paternité de l'oeuvre, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 113-3 et L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble les articles 30 et suivants et 329 du code de procédure civile ;
2) ALORS, en outre, QUE la qualité à agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en se fondant sur la circonstance que M. [Y] n'établissait pas être l'architecte exclusif de la villa pour considérer qu'il n'avait pas qualité à agir, la cour d'appel, qui a subordonné la preuve de sa qualité au bien-fondé de son action, a violé les articles 30 et suivants du code de procédure civile.