LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, Président
Arrêt n° 354 F-D
Pourvoi n° B 20-16.940
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
1°/ M. [N] [I],
2°/ Mme [O] [M], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° B 20-16.940 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2020 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BNP paribas personal finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [H] [Z], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. et Mme [I], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP paribas personal finance, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents, Monsieur Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [I] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [Z].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 24 mars 2020), par acte du 28 mai 2009, M. et Mme [I] (les emprunteurs) ont acquis à des fins d'investissement un appartement en l'état futur d'achèvement financé par un prêt immobilier, dénommé Helvet immo, consenti par la société BNP Paribas Personal Finance (la banque), libellé en francs suisses et remboursable en euros.
3. Invoquant, d'une part, l'existence d'un vice du consentement et l'illicéité d'une clause d'indexation monétaire, d'autre part, des manquements de la banque à ses devoirs d'information, de conseil et de mise en garde, les emprunteurs ont assigné celle-ci en nullité du prêt, en constat du caractère abusif de la clause de monnaie de compte et en responsabilité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de ne pas infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leur demande d'annulation de la clause de monnaie de compte et de la voir juger abusive, alors :
« 1°/ que les époux [I] sollicitaient à titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à leur demande de confirmation du jugement, que soit prononcée la nullité du prêt à raison du caractère abusif de certaines de ses clauses ; qu'en retenant pourtant qu'aucune des parties n'avait relevé appel du jugement en ce qu'il avait débouté les époux [I] de leur demande d'annulation de la clause de monnaie de compte stipulée dans le contrat de prêt Helvet immo ou de la voir déclarée abusive, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que, en tout état de cause, le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, la cour d'appel qui, nonobstant l'absence d'appel incident sur ce point, s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
5. Dans le dispositif de leurs conclusions, les emprunteurs ont sollicité la confirmation du jugement, ce dont il résulte qu'il n'ont pas formé appel incident.
6. Il s'en déduit que la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige et n'était pas saisie de prétentions relatives à la clause de monnaie de compte, n'était pas tenue d'examiner d'office son caractère éventuellement abusif.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en paiement de dommages-intérêts au titre du manquement de la banque à son devoir d'information, alors « que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que les stipulations du prêt faisaient clairement apparaître que celui-ci était en francs suisses alors que les paiements sont en euros, ce qui induisait nécessairement des opérations de conversion avec un risque de change supporté par l'une ou l'autre des parties, sans s'assurer de ce que l'information délivrée répondait aux critères ci-dessus exprimés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.
10. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt retient que les stipulations du contrat de crédit font clairement apparaître que le prêt est en francs suisses alors que les paiements sont en euros et que cela induit nécessairement des opérations de conversion avec un risque de change supporté par l'une ou l'autre des parties selon les modalités de la variation du taux de conversion, et que le risque de change est décrit dans des paragraphes de l'offre et de son annexe intitulés « opérations de change », « amortissement du capital » et « informations relatives aux opérations de change ». Il ajoute que l'offre précise le taux d'intérêt et que l'emprunteur accepte les opérations de change nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, qu'elle fait référence à plusieurs reprises à la possible variation du taux de change appliqué aux règlement mensuels et qu'elle est assortie d'une notice présentant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêts du crédit, ainsi que d'une information sur les opérations de change et notamment sur les variations éventuelles du taux de change qui pourraient avoir un impact sur le plan de remboursement. Elle en déduit que la banque a rempli son devoir d'information à l'égard des emprunteurs.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 24 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société BNP Paribas Personal Finance et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. et Mme [I] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I],
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les époux [I] font grief à l'arrêt attaqué de n'avoir pas infirmé le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'annulation de la clause de monnaie de compte et de la voir juger abusive ;
1°) ALORS QUE les époux [I] sollicitaient à titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à leur demande de confirmation du jugement, que soit prononcée la nullité du prêt à raison du caractère abusif de certaines de ses clauses ; qu'en retenant pourtant qu'aucune des parties n'avait relevé appel du jugement en ce qu'il avait débouté les époux [I] de leur demande d'annulation de la clause de monnaie de compte stipulée dans le contrat de prêt Helvet Immo ou de la voir déclarée abusive, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, en tout état de cause, le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, la cour d'appel qui, nonobstant l'absence d'appel incident sur ce point, s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Les époux [I] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande indemnitaire au titre du manquement de la banque à son devoir d'information ;
ALORS QUE le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'Etat membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour statuer comme elle l'a fait, que les stipulations du prêt faisaient clairement apparaître que celui-ci était en francs suisses alors que les paiements sont en euros, ce qui induisait nécessairement des opérations de conversion avec un risque de change supporté par l'une ou l'autre des parties, sans s'assurer de ce que l'information délivrée répondait aux critères ci-dessus exprimés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.