LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
COUR DE CASSATION
FB
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 13 avril 2022
NON-LIEU A RENVOI
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 361 FS-D
Pourvoi n° N 22-10.380
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2022
Par mémoire spécial présenté le 15 février 2022, M. [D] [I], domicilié [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité (n° 1046) à l'occasion du pourvoi n° N 22-10.380 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2021 par la cour d'appel de Montpellier (RG 21/04354) (chambre commerciale), dans une instance l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Montpellier, domicilié [Adresse 2].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [I], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Vaissette, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Le 26 novembre 2019, M. [I] a fait l'objet d'une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de huit ans en application de l'article L. 653-8 du code de commerce. Le 28 juin 2021, il a demandé que la mention du prononcé de cette mesure soit exclue du bulletin numéro 2 (B2) de son casier judiciaire. La requête a été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 14 décembre 2021.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
2. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre cet arrêt, M. [I] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 775-1 du code de procédure pénale, d'une part, qui permettent au tribunal qui prononce une "condamnation" d'exclure sa mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire, sans viser les "jugements prononçant la faillite personnelle ou l'interdiction prévue par l'article L. 653-8 du code de commerce" qui figurent aussi sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire en application des articles 786 et 775 du code de procédure pénale, et les dispositions de l'article L. 653-11 du code de commerce, d'autre part, qui permettent au tribunal qui prononce "la faillite personnelle ou l'interdiction prévue par l'article L. 653-8 [du code de commerce]" uniquement de relever l'intéressé de cette interdiction, sans lui permettre d'exclure sa seule mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire, portent-elles atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant la justice garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles conduisent à ce qu'une interdiction de gérer peut être exclue du bulletin n° 2 du casier judiciaire, indépendamment de tout relèvement, lorsqu'elle est prononcée par une juridiction pénale, et ne le peut pas lorsqu'elle est prononcée par une juridiction civile ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
3. L'article 775-1 du code de procédure pénale n'est pas applicable au litige, lequel concerne une mesure d'interdiction de gérer prononcée par une juridiction commerciale.
4. L'article L. 653-11 du code de commerce, qui gouverne une telle mesure d'interdiction de gérer, est, quant à lui, applicable au litige. Il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
5. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
6. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle différemment des situations de nature différente ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. La mesure d'interdiction de gérer prononcée par une juridiction civile ou commerciale constitue une mesure préventive de mise à l'écart de la vie des affaires, pendant sa durée, d'un dirigeant incompétent ou malhonnête, sauf décision de relèvement avant le terme fixé si ce dirigeant présente toutes garanties démontrant sa capacité à diriger une entreprise. Ce n'est que lorsque le dirigeant fait cette démonstration qu'il peut, sans danger pour l'ordre public économique, reprendre une activité de direction. L'inscription au casier judiciaire de la mesure, sans possibilité d'exclusion de celle-ci du B2, répond à l'objectif de la loi en mettant en garde les opérateurs économiques sur l'incompétence ou la malhonnêteté de l'intéressé. En revanche, la publicité de la condamnation à la peine d'interdiction de gérer prononcée par une juridiction pénale, réalisée par l'inscription de sa mention au casier judiciaire, s'intègre dans la publicité conférée à la condamnation prononcée dans son ensemble et, eu égard à son retentissement possible sur la situation de la personne condamnée ainsi stigmatisée, peut faire l'objet d'une exclusion du B2 du casier pour adoucir ses effets et favoriser la réinsertion professionnelle de la personne qui reste condamnée. Il en résulte que la différence de traitement réservée au dirigeant frappé d'une interdiction de gérer civile ou commerciale est justifiée par la nature de cette sanction et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
7. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.