LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
MY1
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 13 avril 2022
- Non-lieu à renvoi (QPC n°1)
- Renvoi (QPC n° 2)
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 431 FS-B
Pourvoi n° P 21-23.234
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 AVRIL 2022
Par mémoire spécial présenté le 27 janvier 2022, l'association Addentis, dont le siège est [Adresse 5], a formulé deux questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° P 21-23.234 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 9-A), dans une instance l'opposant :
1°/ au Syndicat des chirurgiens-dentistes de France, dont le siège est [Adresse 4], anciennement dénommée la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD),
2°/ au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (CNOD), dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la Fédération nationale des centres de santé, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ au Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis, dont le siège est [Adresse 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Leduc et Vigand, avocat de l'association Addentis, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Syndicat des chirurgiens-dentistes de France et du Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du Conseil national de l'ordre des chirurgiens dentistes, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. L'Association pour le développement de l'accès aux soins dentaires Addentis (l'association), dont l'objet est la création et la gestion de centres de santé dentaires, a ouvert en Seine-Saint-Denis, à [Localité 8], le centre du [Adresse 9], dont le journal Le Parisien, la revue Reflets et d'autres médias, notamment l'émission Capital, diffusée sur la chaîne de télévision M6, se sont fait l'écho, puis, à [Localité 6], le centre des [Localité 11] et, à [Localité 7], le centre [Adresse 10]. Elle a également créé un site internet et des plaquettes de présentation.
2. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes et la Confédération nationale des syndicats dentaires devenue le Syndicat des chirurgiens-dentistes de France, estimant que l'association avait recouru à des procédés publicitaires pour promouvoir son activité au détriment des cabinets dentaires situés à proximité et ainsi commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre des chirurgiens-dentistes exerçant à titre libéral, l'ont assignée afin d'obtenir le paiement de dommages-intérêts, la publication de la décision et une injonction de cesser immédiatement tout acte publicitaire et tout acte de concurrence déloyale. La Fédération nationale des centres de santé et le Syndicat des chirurgiens-dentistes de Seine-Saint-Denis sont intervenus volontairement à l'instance.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
3. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Paris, l'association a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L'alinéa 2 de l'article L. 6323-1-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018, est-il contraire à la Constitution en ce que, en interdisant de manière absolue et générale toute forme de publicité au profit des centres de santé, il porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, telle que garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ?
2°/ L'alinéa 2 de l'article L. 6323-1-9 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018, est-il contraire à la Constitution en ce que, en interdisant de manière absolue et générale toute forme de publicité au profit des centres de santé, alors même que les professions médicales peuvent désormais recourir à la publicité, il porte une atteinte injustifiée au principe d'égalité garanti par la Constitution ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
Première question prioritaire de constitutionnalité
4. Les dispositions contestées sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
5. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
7. D'autre part, elle ne présente pas un caractère sérieux.
8. En effet, les dispositions contestées, qui interdisent de manière générale et absolue toute forme de publicité au profit des centres de santé, poursuivent l'objectif d'intérêt général de bonne information des patients et, par suite, de protection de la santé publique. De plus, l'article L. 6323-1-9, alinéa 1er, du code de la santé publique prévoit que les centres de santé assurent une identification du lieu de soins à l'extérieur et l'information du public sur les activités et les actions de santé publique ou sociales mises en oeuvre, sur les modalités et les conditions d'accès aux soins, ainsi que sur le statut du gestionnaire, de sorte qu'il ne peut être utilement invoqué que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
9. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
Seconde question prioritaire de constitutionnalité
10. Les dispositions contestées sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
11. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
12. La question posée présente un caractère sérieux, dès lors qu'à la suite de décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, ayant dit pour droit que l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation interdisant de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (CJUE, arrêt du 4 mai 2017, C-339/15 ; CJUE, ordonnance du 23 octobre 2018, C-296/18), et d'un arrêt du Conseil d'Etat annulant en conséquence la décision implicite du ministre des solidarités et de la santé refusant notamment d'abroger l'article R. 4127-215, alinéa 5, du code de la santé publique (CE, 6 novembre 2019, Mme [T], n° 420225), le décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020 a modifié l'article R. 4127-215 du code de la santé publique pour mettre fin à cette interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité par les chirurgiens-dentistes, de sorte que l'interdiction de toute forme de publicité, désormais édictée à l'égard des seuls centres de santé, est susceptible de porter atteinte au principe d'égalité.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité n° 1 ;
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité n° 2.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.