LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 avril 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 434 F-D
Pourvoi n° U 20-20.314
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 AVRIL 2022
Mme [W] [H], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-20.314 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Cofrigo distribution, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est, [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [H], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cofrigo distribution, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 22 juin 2020), Mme [H], engagée par la société Cofrigo distribution le 22 janvier 2008 en qualité de responsable administratif et comptable, statut cadre supérieur, a été licenciée pour motif personnel le 3 octobre 2014.
2. Contestant cette rupture et estimant avoir fait l'objet d'un harcèlement moral, elle a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de la débouter de ses demandes indemnitaires subséquentes, alors « que les juges doivent motiver leurs décisions ; qu'en s'abstenant d'indiquer, parmi les faits invoqués dans la lettre de licenciement, quelles ‘'erreurs de même nature'‘ que celles relatives aux erreurs de comptabilisation des stocks auraient été commises par la salariée au cours de l'année 2014, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
5. Aux termes de cet article, tout jugement doit être motivé.
6. Pour écarter la prescription des faits reprochés relatifs aux erreurs de comptabilisation des stocks imputées à la salariée au titre de l'exercice 2009,
l'arrêt retient que si l'employeur a eu connaissance de ces faits en 2011, il reproche dans la lettre de licenciement des erreurs de même nature commises en 2014 par la salariée dans les écritures de la société.
7. En statuant ainsi, sans préciser, parmi les faits invoqués dans la lettre de licenciement, quelles erreurs de même nature auraient été commises par la salariée en 2014, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnité en réparation du préjudice subi au titre du harcèlement moral, alors « qu'il appartient au juge devant lequel il est fait état d'une situation de harcèlement moral de rechercher si le salarié établit la réalité de faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; que la cour d'appel a constaté qu'il était établi que la salariée s'était vue adresser des reproches injustifiés, qu'un collaborateur de l'entreprise s'était adressé à elle dans des termes inappropriés et qu'elle avait à plusieurs reprises été placée en arrêt de travail pour état d'anxiété et de stress ; qu'en se livrant à un examen séparé de ces différents faits sans rechercher si, pris dans leur ensemble, ils permettaient de présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ensemble les articles 1103 (anc. art. 1134) et 1224 à 1230 (anc. art. 1184) du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
10. Pour débouter la salariée de sa demande au titre du harcèlement moral, l'arrêt, après avoir constaté l'absence de matérialité de certains des faits invoqués par la salariée, retient qu'elle se prévaut de l'attitude manipulatrice et rancunière de son employeur, en lien en particulier avec les griefs invoqués à l'appui de son licenciement alors que ce dernier est fondé sur une cause réelle et sérieuse et que s'agissant des griefs qui n'ont pas été retenus comme étant établis, il n'est pas justifié de faits de nature manipulatrice ou rancunière de la part de la direction.
11. Il relève ensuite que la lettre de cadrage du 2 février 2009 ne peut constituer un indice de discrimination non plus que le grief infondé contenu dans la lettre de licenciement relatif au défaut de cadrage et que si le courriel adressé à la salariée le 1er février 2012 constitue une remarque discourtoise et peu appropriée, il s'agit d'un fait ancien et isolé, ne pouvant à lui seul permettre de présumer l'existence d'une discrimination.
12. Il ajoute que les propos de son supérieur en mai 2013 la qualifiant de personne "sensible" ne sont pas inappropriés et que la circonstance qu'elle ait été placée plusieurs fois en arrêt de travail pour état d'anxiété et de stress n'est pas de nature à établir à elle seule que ceux-ci présentaient un lien avec ses conditions de travail.
13. En statuant ainsi, en procédant à une analyse séparée de chaque élément invoqué par la salariée, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux attestant de la dégradation de son état de santé, laissaient présumer l'existence d'un harcèlement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
14. La cassation prononcée sur les premier et troisième moyens entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif laissant à chaque partie la charge de ses dépens et déboutant la salariée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, déboute Mme [H] de ses demandes en dommages-intérêts pour rupture abusive et en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral, laisse à chaque partie la charge de ses dépens et déboute Mme [H] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 22 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;
Condamne la société Cofrigo distribution aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cofrigo distribution et la condamne à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [H]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a dit son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a déboutée des demandes indemnitaires subséquentes.
1° ALORS QUE les juges ne doivent pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant, pour dire non prescrit le grief relatif aux erreurs de comptabilisation des stocks imputées à la salariée au titre de l'exercice 2009, qu'il était fait état dans la lettre de licenciement de faits de même nature commis en 2014 quand la lettre de licenciement ne faisait état d'aucune erreur de cette nature au titre de l'année 2014, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement et ainsi violé l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause.
2° ALORS en tout état de cause QUE les juges doivent motiver leurs décisions ; qu'en s'abstenant d'indiquer, parmi les faits invoqués dans la lettre de licenciement, quelles « erreurs de même nature » que celles relatives aux erreurs de comptabilisation des stocks auraient été commises par la salariée au cours de l'année 2014, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS QUE les juges doivent motiver leurs décisions ; qu'en retenant que la salariée pouvait se voir imputer l'envoi d'un chèque non signé à un fournisseur sans répondre au moyen de l'intéressée qui faisait valoir que la signature des chèques n'entrait pas dans ses attributions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité au titre de la mise à pied conservatoire.
1° ALORS QUE ce chef de l'arrêt sera censuré en conséquence de la cassation à intervenir sur le premier moyen par application de l'article 624 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE les juges ne doivent pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que la salariée avait perçu son salaire pendant la période de mise à pied, quand le courrier du 19 septembre 2014 lui notifiant cette mesure indiquait qu'elle était mise à pied sans maintien de rémunération, la cour d'appel a dénaturé le courrier du 19 septembre 2014 et ainsi violé l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Mme [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité en réparation du préjudice subi au titre du harcèlement moral.
1° ALORS QU'il appartient au juge devant lequel il est fait état d'une situation de harcèlement moral de rechercher si le salarié établit la réalité de faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; que la cour d'appel a constaté qu'il était établi que la salariée s'était vue adresser des reproches injustifiés, qu'un collaborateur de l'entreprise s'était adressé à elle dans des termes inappropriés et qu'elle avait à plusieurs reprises été placée en arrêt de travail pour état d'anxiété et de stress ; qu'en se livrant à un examen séparé de ces différents faits sans rechercher si, pris dans leur ensemble, ils permettaient de présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ensemble les articles 1103 (anc. art. 1134) et 1224 à 1230 (anc. art. 1184) du code civil
2° ALORS QU'il appartient au juge devant lequel il est fait état d'une situation de harcèlement moral d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié pour présumer un tel harcèlement ; qu'en s'abstenant de rechercher si la remise tardive des documents de fin de contrat de la salariée, l'absence de transmission de sa carte de mutuelle et l'irrégularité avec laquelle lui était payée sa prime au titre de la clause de non-concurrence, ensemble les autres faits établis, ne permettaient pas de présumer un harcèlement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail et des articles 1103 (anc. art. 1134) et 1224 à 1230 (anc. art. 1184) du code civil