LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 mars 2022
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 205 F-D
Pourvoi n° H 19-24.025
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 MARS 2022
La Banque calédonienne d'investissement, société anonyme d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 19-24.025 contre l'arrêt rendu le 18 octobre 2018 par la cour d'appel de Nouméa (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [S], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Mary-Laure Gastaud, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire liquidateur de M. [P] [S],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Nouméa, domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Banque calédonienne d'investissement, de la SCP Lesourd, avocat de la société Mary-Laure Gastaud, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er février 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 18 octobre 2018), par un jugement du 9 novembre 2015 M. [S] a été mis en liquidation judiciaire, la société Mary-Laure Gastaud étant désignée en qualité de liquidateur.
2. La société Banque calédonienne d'investissement (la banque) a déclaré sa créance qui a été contestée par le débiteur. Par une ordonnance du 15 décembre 2015, le juge-commissaire a constaté son absence de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation, sursis à statuer et renvoyé les parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois.
3. Par une ordonnance du 8 juin 2016, le juge-commissaire a constaté l'absence de saisine de la juridiction compétente dans le délai d'un mois et rejeté la créance de la banque qui a interjeté appel de la décision le 23 juin 2016.
4. Selon une quittance du 27 octobre 2017, la banque, après avoir reçu de la Société d'acconage et de transport (la société SAT) le paiement de sa créance pour le compte de M. [S], a subrogé cette société dans ses droits et actions. La société SAT s'est ensuite désistée de la déclaration de créance qui avait été effectuée par la banque.
5. Par un jugement du 7 janvier 2019, le tribunal de la procédure collective a annulé le paiement réalisé par la société SAT et condamné la banque à restituer les fonds à la liquidation judiciaire de M. [S].
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
6. Le liquidateur conteste la recevabilité du pourvoi formé par la banque au motif que celle-ci a cédé à la société SAT sa créance et tous les droits qui y étaient attachés.
7. Néanmoins, la banque a intérêt à se pourvoir en cassation contre l'arrêt qui a déclaré son appel irrecevable et l'a condamnée aux dépens.
8. Le pourvoi est donc recevable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en son appel, alors « que l'intérêt d'une partie à interjeter appel doit être apprécié au jour de l'appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la BCI a interjeté appel par requête d'appel en date du 23 juin 2016 ; qu'elle a encore relevé que c'est par quittance subrogative, concomitante au paiement du 27 octobre 2017, que la BCI a transmis à la société SAT les droits qu'elle détenait sur M. [S] ; que cette subrogation, postérieure à l'acte d'appel, ne pouvait priver l'exposante de l'intérêt à interjeter appel ; que la cour d'appel a pourtant retenu que "La Banque calédonienne d'investissement, en vertu de la subrogation expresse et concomitante au paiement donné à la société SAT, ne justifie pas d'un intérêt actuel à agir du chef de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 8 juin 2016, ayant rejeté la totalité de la créance en vertu du cautionnement donné à la SARL Transnor par M. [P] [S]" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 31 et 546 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 546 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie :
10. Selon ce texte, le droit d'appel appartient à toute personne qui y a intérêt si elle n'y a pas renoncé. L'existence de cet intérêt doit être appréciée au jour de l'appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet.
11. Pour déclarer la banque irrecevable en son appel, l'arrêt retient que celle-ci, du fait de la subrogation expresse et concomitante au paiement du 27 octobre 2017 donnée à la société SAT, ne justifie pas d'un intérêt actuel à agir du chef de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 8 juillet 2016 rejetant sa déclaration de créance.
12. En statuant ainsi, sans se placer à la date de l'appel, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée ;
Condamne la société Mary-Laure Gastaud, en sa qualité de liquidateur de M. [S], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Banque calédonienne d'investissement.
Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir déclaré la société Banque Calédonienne d'Investissement irrecevable en son appel ;
aux motifs que « en vertu des dispositions des articles 1249 et 1250 du code civil applicables en Nouvelle-Calédonie la subrogation conventionnelle dans les droits du créancier au profit d'une tierce personne qui le paie s'exerce lorsque le créancier, recevant son paiement d'une tierce personne, la subroge expressément en même temps que le paiement, dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur ; qu'en l'espèce, il résulte de la quittance subrogative produite par M. [P] [S] que la Banque Calédonienne d'investissement : « Donne bonne et valable quittance à la SARL société d'Aconage et de Transport dite SAT de la somme de 45 000 0000 F CFP reçue ce jour au règlement de toutes sommes que pourrait lui devoir M. [P] [S] au titre (d'une part) du cautionnement solidaire que M. [P] [S] a donné à la société Transnor par un contrat de prêt du 22 juillet 2005 d'un montant de 20 000 000 F CFP à l'origine qui a donné lieu à un jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 18 juillet 2012 minute 12/528 (?) » ; qu'il en résulte que la Banque Calédonienne d'Investissement, en vertu de la subrogation expresse et concomitante au paiement donné à la SARL SAT ne justifie pas d'un intérêt actuel à agir du chef de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 8 juillet 2016 ayant rejeté la totalité de la créance en vertu du cautionnement donné à la SARL Transnor par M. [P] [S] ; qu'il y a lieu en conséquence de déclarer la Banque Calédonienne d'Investissement irrecevable en son appel » ;
alors 1°/ que l'intérêt d'une partie à interjeter appel doit être apprécié au jour de l'appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la BCI a interjeté appel par requête d'appel en date du 23 juin 2016 ; qu'elle a encore relevé que c'est par quittance subrogative, concomitante au paiement du 27 octobre 2017, que la BCI a transmis à la société SAT les droits qu'elle détenait sur M. [S] ; que cette subrogation, postérieure à l'acte d'appel, ne pouvait priver l'exposante de l'intérêt à interjeter appel ; que la cour d'appel a pourtant retenu que « La Banque Calédonienne d'Investissement, en vertu de la subrogation expresse et concomitante au paiement donné à la SARL SAT, ne justifie pas d'un intérêt actuel à agir du chef de l'ordonnance du juge-commissaire en date du 8 juin 2016, ayant rejeté la totalité de la créance en vertu du cautionnement donné à la SARL Transnor par M. [P] [S] » (arrêt, p. 5, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 31 et 546 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
alors et subsidiairement 2°/ que si le paiement subrogatoire transfère la créance et ses accessoires au subrogé, il ne prive pas le subrogeant de son intérêt à voir constater l'existence de la créance cédée ; qu'en effet, si postérieurement au paiement subrogatoire, il est constaté en justice l'inexistence de la créance cédée, le subrogeant s'expose à un recours en restitution fondé sur la répétition de l'indu ; qu'en l'espèce la BCI avait intérêt à soutenir son appel tendant à la réformation de l'ordonnance ayant rejeté sa déclaration de créance, malgré le paiement subrogatoire, et ce afin d'éviter l'extinction de ladite créance, et l'exercice d'un recours de la société SAT, subrogée, sur le fondement de la répétition de l'indu ; qu'en retenant au contraire que la subrogation conventionnelle consentie le 27 octobre 2017 aurait privé l'exposante de tout intérêt à interjeter appel de l'ordonnance du juge-commissaire du 8 juin 2016 ayant rejeté sa créance, la cour d'appel a violé les articles 1250 et 1376 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause.