LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 22-80.032 F-D
N° 00478
SL2
22 MARS 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2022
M. [L] [I] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 23 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'assassinats et tentatives, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [L] [I] [D], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 9 août 1982, un groupe d'hommes a fait irruption dans un restaurant parisien situé [Adresse 1], a fait exploser un engin dans l'établissement et, à l'aide d'armes automatiques, a ouvert le feu sur les personnes présentes et sur des passants, avant de prendre la fuite. Plusieurs personnes ont été tuées et d'autres, en nombre plus élevé, ont été blessées.
3. Le même jour, une information a été ouverte des chefs d'homicides volontaires et tentatives, et infractions à la législation sur les armes.
4. Un mandat d'arrêt international a été délivré le 20 février 2015 par le juge d'instruction contre M. [L] [I] [D].
5. Remis aux autorités françaises, ce dernier a été mis en examen par procès-verbal de première comparution du 5 décembre 2020 et placé en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel.
6. Par ordonnance du 29 novembre 2021, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [I] [D].
7. Ce dernier a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit son appel mal-fondé et confirmé l'ordonnance entreprise ayant rejeté l'exception d'incompétence du parquet national antiterroriste ainsi que du juge d'instruction pour saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande tendant à la prolongation de sa détention provisoire, et par suite ordonné la prolongation de sa détention provisoire avec placement sous mandat de dépôt pour une durée de six mois, alors :
« 1°/ que la personne mise en examen peut invoquer à tout moment l'incompétence du parquet ou du juge d'instruction et en tirer toutes conséquences sur les actes accomplis par ces derniers postérieurement à un arrêt de la chambre de l'instruction saisie sur requête en annulation de pièces déclarant la procédure régulière à date ; qu'en retenant que par arrêt du 14 avril 2021, la chambre de l'instruction saisie de l'intégralité de la procédure avait dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et dit la procédure régulière jusqu'à la cote D 3843 incluse, que la compétence et notamment celle du procureur antiterroriste pour requérir le placement en détention provisoire de M. [I] [D] était un moyen d'ordre public nécessairement examiné et écarté par cette cour, et enfin que M. [I] [D] n'avait pas saisi celle-ci d'un moyen relatif à l'incompétence du parquet et du juge d'instruction du pôle antiterroriste, pour en déduire que les réquisitions du parquet du 22 octobre 2021 et l'ordonnance du juge d'instruction de saisine aux fins de prolongation de la détention provisoire de M. [I] [D] du 2 novembre 2021 étaient exemptes de toute incompétence, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 217-3 du code de l'organisation judiciaire et 145, 145-2, 174, 206, 706-16 et 706-17 du code de procédure pénale ;
2°/ que le procureur de la République antiterroriste et ses substituts n'exercent les fonctions de ministère public que pour la poursuite des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale, lequel vise les actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, ainsi que les infractions connexes, les actes de terrorisme commis à l'étranger lorsque la loi française est applicable, les actes de terrorisme commis hors du territoire de la République par les membres des forces armées françaises ou à l'encontre de celles-ci dans les cas prévus au chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de justice militaire, les infractions prévues à l'article 706-25-7 du code de procédure pénale, les infractions commises en détention par une personne détenue, prévenue, condamnée, recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen ou réclamée dans le cadre d'une extradition pour des actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, les infractions d'évasion incriminées par les articles 434-27 à 434-37 du même code, les infractions d'association de malfaiteurs prévues à l'article 450-1 dudit code lorsqu'elles ont pour objet la préparation de l'une des infractions d'évasion précitées, et enfin les infractions prévues aux articles L. 824-4 à L. 824-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les infractions prévues à l'article L. 224-1 du code de sécurité intérieure, lorsqu'elles sont commises par une personne détenue, prévenue, condamnée, recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen ou réclamée dans le cadre d'une extradition pour des actes de terrorisme incriminés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, et ne vise ni l'assassinat ni la tentative d'assassinat ; que la chambre de l'instruction a retenu, pour dire que le procureur de la République antiterroriste était compétent pour requérir dans le cadre de la prolongation de la détention provisoire de M. [I] [D], que le juge d'instruction était saisi de faits pouvant constituer l'un des éléments des infractions à caractère terroriste entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale ; qu'en statuant ainsi, tandis que M. [I] [D] était mis en examen des seuls chefs d'assassinats et de tentatives d'assassinats, non visés par ce texte, la chambre de l'instruction a méconnu les articles L. 217-3 du code de l'organisation judiciaire, 706-16 et 706-17 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le grief pris de l'incompétence du procureur de la République antiterroriste dans le traitement de la détention provisoire de M. [I] [D], l'arrêt attaqué énonce qu'en premier lieu, la chambre de l'instruction a, par arrêt du 14 avril 2021, dit que la procédure était régulière à cette date, pour en déduire que les réquisitions et l'ordonnance de saisine aux fins de prolongation de la détention apparaissent exemptes de toute incompétence des magistrats concernés.
11. Les juges relèvent qu'en deuxième lieu, le juge d'instruction a été, dès l'origine, saisi de faits qualifiés d'assassinats, de tentatives d'assassinats, d'infractions à la législation sur les armes, et, à la suite d'un réquisitoire supplétif du 27 août 1982, d'attentat contre la paix intérieure, infraction alors définie par l'article 93 de l'ancien code pénal.
12. Ils précisent que la mise en examen de M. [I] [D] porte sur des faits d'assassinats et tentatives commis avant l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, qui ont néanmoins été, selon les termes de l'interrogatoire de première comparution, considérés comme entrant dans le champ d'application des articles 706-16 et suivants du code de procédure pénale dans leurs rédactions initiale comme actuelle, en raison de leur commission intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
13. La chambre de l'instruction, retenant que l'article 93 de l'ancien code pénal, en ce qu'il visait des faits pouvant être assimilés à des actes de nature terroriste, et la nature des chefs de mise en examen, permettent de considérer que le juge d'instruction est bien saisi de faits pouvant constituer l'un des éléments des infractions à caractère terroriste entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale, l'absence de visa de l'article 93 précité, dans la mise en examen de M. [I] [D], étant indifférente et n'altérant pas l'étendue de la saisine du magistrat.
14. La chambre de l'instruction énonce qu'en troisième lieu, l'article 706-16 du code de procédure pénale désigne les infractions qui, lorsqu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, seront poursuivies, instruites et jugées selon les dispositions du titre quinzième de ce code.
15. Elle ajoute que les lois de compétence et de procédure sont, sauf lorsqu'elles en disposent autrement, d'application immédiate et que, le législateur n'ayant pas modifié les éléments constitutifs des infractions considérées, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 instaurant le procureur de la République antiterroriste, constituant une loi de procédure, s'applique à la présente information.
16. C'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que la déclaration de régularité de la procédure, faite par elle dans un précédent arrêt, était de nature à priver d'effet un grief pris de l'irrégularité d'actes réalisés postérieurement à la date de la décision concernée, quelle que soit la nature de ce grief.
17. C'est également à tort que la chambre de l'instruction a retenu, pour justifier l'application des règles de procédure relatives aux infractions terroristes, que le juge d'instruction était saisi notamment de faits prévus par l'article 93 de l'ancien code pénal, alors que ce texte, abrogé à compter du 1er mars 1994, n'a pas été repris dans l'actuel code pénal et n'est ainsi pas au nombre des chefs de mise en examen de M. [I] [D].
18. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors que les modifications apportées tant au code de l'organisation judiciaire qu'au code de procédure pénale par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 instituant le procureur de la République antiterroriste ne remettent pas en cause la compétence de ce dernier dans les procédures en cours portant, comme tel est le cas en l'espèce, sur des faits qui, commis avant le 1er mars 1994, entrent dans les prévisions tant de l'article 706-16 ancien du code de procédure pénale que des articles 421-1 à 421-5 nouveaux du code pénal.
19. Ainsi, le moyen doit être rejeté.
20. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant la forme qu'au regard des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille vingt-deux.