LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 mars 2022
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 325 F-D
Pourvoi n° Q 20-16.055
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 31 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 MARS 2022
La société Groupement ambulancier du Grand Est, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Ambulances de la Hardt, a formé le pourvoi n° Q 20-16.055 contre l'arrêt rendu le 10 décembre 2019 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [B] [M], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société Groupement ambulancier du Grand Est, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 26 janvier 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 décembre 2019), M. [M] a été engagé le 1er janvier 2014 en qualité d'auxiliaire ambulancier par la société Ambulances de la Hardt aux droits de laquelle vient le Groupement ambulancier du Grand Est.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre congés payés afférents, de dommages-intérêts pour non respect de la contrepartie obligatoire en repos, des heures supplémentaires accomplies au delà du contingent annuel outre congés payés afférents.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de sommes au titre des heures supplémentaires et d'une indemnité pour défaut d'information du droit au repos, outre congés payés afférents, alors « que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en cause d'appel, la société Groupement ambulancier Grand Est a versé aux débats des fiches de salaires et des décomptes d'heures établis à partir de données renseignées par M. [M] et a exposé dans ses conclusions qu'elle avait calculé le temps effectif de travail à prendre en considération pour déterminer le temps de travail du salarié et le dépassement de la durée hebdomadaire de 48 heures à partir de ces documents ; que le salarié n'a nullement contesté la valeur probante de ces décomptes ni le nombre d'heures et de temps de pause y figurant ; qu'il a seulement soutenu que le temps de travail à prendre en considération devait prendre en compte la totalité des temps de pause et qu'aucun coefficient ne devait être affecté à l'amplitude hebdomadaire de travail ; que les parties se sont fondées sur les mêmes documents, et n'ont nullement remis en cause leur valeur probante ni l'amplitude ou le nombre et le calcul des temps de pause ; que la cour d'appel qui a fait droit à la demande du salarié au motif que l'employeur ne démontrait pas l'amplitude et le caractère effectif du temps de pause, a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
5. Pour condamner l'employeur au paiement de sommes au titre d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre congés payés afférents, d'une indemnité pour défaut d'information du droit au repos, outre congés payés afférents, l'arrêt retient que les parties s'accordent sur le décompte des heures supplémentaires à la quatorzaine à la double condition, en l'absence d'accord d'entreprise, du bénéfice pour le salarié de trois jours de repos toutes les deux semaines et du non dépassement de la durée maximale hebdomadaire de quarante-huit heures.
6. Après avoir constaté que les parties ne contestaient pas que la première condition avait été respectée, l'arrêt ajoute qu'elles ne s'opposent pas sur le nombre d'heures mais sur les modalités de décompte pour le déclenchement du droit aux majorations et les dépassements du contingent pour l'information du droit au repos.
7. Il poursuit en relevant que l'employeur ne s'explique pas sur les exemples de dépassement de l'amplitude de quarante-huit heures hebdomadaires que le salarié cite précisément dans ses écritures alors qu'en matière d'amplitude c'est exclusivement sur l'employeur que pèse la charge de la preuve. Il ajoute qu'il en est de même de la preuve du caractère effectif des temps de pause sans laquelle le décompte par équivalence n'est pas valable.
8. Estimant que les affirmations de l'employeur ainsi que les relevés informatiques horaires incomplets étaient dépourvus de toute valeur probante, l'arrêt en déduit que l'employeur doit être condamné à un rappel au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents ainsi qu'à indemniser le salarié pour défaut d'information du droit au repos pour les heures ayant dépassé le contingent.
9. En statuant ainsi, alors que n'étaient en débat devant elle, ni le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail, ni le non-respect du temps de pause mais que les parties s'opposaient sur le point de savoir de quelle manière devait être appréciée la durée maximale hebdomadaire de quarante-huit heures permettant un décompte du temps de travail à la quatorzaine, le salarié soutenant que seule l'amplitude horaire devait être prise en compte, tandis que l'employeur affirmait que, dans un système d'équivalence, seul devait être pris en compte le temps de travail effectif déterminé par application d'un coefficient de pondération à l'amplitude horaire, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne le Groupement ambulancier du Grand Est à verser à M. [M] les sommes de 1 2318,08 euros au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents, 6 865,09 euros à titre d'indemnité pour non information du droit au repos outre congés payés afférents, 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter la charge des dépens, l'arrêt rendu le 10 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour la société Groupement ambulancier du Grand Est
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SAS Groupement Ambulancier du Grand Est à payer à Monsieur [M] la somme de 12 318,08 € au titre d'heures supplémentaires et les congés payés afférents, et la somme de 6 865,09 € à titre d'indemnité pour non information du droit au repos outre les congés payés afférents Aux motifs que les parties s'accordent sur le possible régime de décompte des heures supplémentaires « à la quatorzaine » au lieu de à la semaine à la double condition en l'absence d'accord d'entreprise du bénéfice pour le salarié de 3 jours de repos toutes les deux semaines - et il est constant de l'aveu conjoint des parties que cette modalité a été respectée ; et du non dépassement de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures, or c'est sur ce dernier point qu'il y a discussion d'autant qu'en dépend aussi l'application du régime d'équivalence ; que ce n'est donc pas sur le nombre d'heures que s'opposent les parties mais sur les modalités de décompte pour le déclenchement du droit aux majorations et les dépassements du contingent pour l'information du droit au repos ; si la SAS soutient au vu des récapitulatifs des heures résultant des feuilles de route de Monsieur [M] en revanche elle ne s'explique pas sur les exemples de dépassement de l'amplitude de 48 heures hebdomadaires que celui-ci cite précisément dans ses écritures, or en matière d'amplitude, c'est exclusivement sur l'employeur que pèse la charge de la preuve ; il en est de même de la preuve du caractère effectif des temps de pause sans lesquelles le décompte par équivalence n'est pas valable ; sur ces points les seules affirmations de la SAS et des relevés informatiques horaires incomplets se trouvent dépourvues de valeur probante suffisante ; que consécutivement en infirmant le jugement il échet de condamner la SAS outre congés payés à régler les montants réclamés pour heures supplémentaires et indemnisation du défaut d'information du droit au repos pour les heures ayant dépassé le contingent, le tout étant exactement calculé ;
1° Alors que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en cause d'appel, la société Groupement Ambulancier Grand Est a versé aux débats des fiches de salaires et des décomptes d'heures établis à partir de données renseignées par Monsieur [M] et a exposé dans ses conclusions qu'elle avait calculé le temps effectif de travail à prendre en considération pour déterminer le temps de travail du salarié et le dépassement de la durée hebdomadaire de 48 heures à partir de ces documents ; que le salarié n'a nullement contesté la valeur probante de ces décomptes ni le nombre d'heures et de temps de pause y figurant ; qu'il a seulement soutenu que le temps de travail à prendre en considération devait prendre en compte la totalité des temps de pause et qu'aucun coefficient ne devait être affecté à l'amplitude hebdomadaire de travail ; que les parties se sont fondées sur les mêmes documents, et n'ont nullement remis en cause leur valeur probante ni l'amplitude ou le nombre et le calcul des temps de pause ; que la Cour d'appel qui a fait droit à la demande du salarié au motif que l'employeur ne démontrait pas l'amplitude et le caractère effectif du temps de pause, a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile.
2° Alors que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ne fait pas obstacle à l'application des rapports d'équivalence aux durées maximales de travail fixées par le droit national dès lors que sont respectés les seuils et plafonds communautaires pour l'appréciation desquels les périodes de travail effectif doivent être comptabilisés dans leur intégralité sans possibilité de pondération ; qu'aux termes de l'article 2 de l'accord cadre du 4 mai 2000 dans sa rédaction issue de l'avenant n° 3 du janvier 2008 la durée de travail effectif des personnels des entreprises de transport sanitaire ne peut excéder 48 heures hebdomadaires ; que lorsque la contestation du salarié d'une entreprise de transport sanitaire porte non sur le dépassement du plafond de 48 heures de durée moyenne hebdomadaire calculée sur une période de 4 mois fixé par le droit de l'Union, mais sur le dépassement de la durée du travail de 48 heures hebdomadaire fixée par le droit national, les coefficients de pondération du régime d'équivalence doivent s'appliquer pour apprécier le respect de la durée maximale de travail effectif ; que la cour d'appel a constaté que la discussion portait sur le non dépassement de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures et a fait droit à la demande du salarié au motif que l'employeur ne s'expliquait pas sur les dépassements d'amplitude invoqués par le salarié et ne démontrait le caractère effectif des temps de pause sans lequel le décompte par équivalence n'était pas valable ; que la Cour d'appel qui a ainsi considéré que la durée du travail devait être calculée compte tenu de l'amplitude totale du travail sans application du coefficient pondérateur conventionnel, a violé l'article 2 de l'accord-cadre du 4 mai 2000 dans sa rédaction issue de l'avenant n° 3 du janvier 2008, les articles 3 et 4 du décret n° 2009-32 du 9 janvier 2009, l'article D. 3312-7 du code des transports et les articles L. 3121-2 et L. 3121-35 du code du travail.
3° Alors qu'en toute hypothèse en cas d'instauration d'un régime d'équivalence, la vérification concrète de l'existence effective de temps d'inaction est sans objet ; que la Cour d'appel qui a décidé de faire droit à la demande du salarié au motif que l'employeur ne prouvait pas le caractère effectif des temps de pause sans laquelle le décompte par équivalence ne serait pas valable, a violé l'article 2 de l'accord-cadre du 4 mai 2000 dans sa rédaction issue de l'avenant n° 3 du 16 janvier 2008, les articles 3 et 4 du décret n° 2009-32 du 9 janvier 2009, l'article D. 3312-7 du code des transports et les articles L. 3121-2 et L. 3121-35 du code du travail.