LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 mars 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 262 F-D
Pourvoi n° H 20-12.161
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [W] [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 mai 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2022
1°/ M. [J] [R],
2°/ Mme [C] [M], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° H 20-12.161 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Montpellier, dans le litige les opposant à Mme [W] [Z], veuve [X], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. et Mme [R], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [Z], veuve [X], et après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 21 novembre 2019), Mme [X] a acquis de M. et Mme [R] une parcelle viticole, voisine de celle leur appartenant. Par arrêt d'une cour d'appel du 3 août 2011, le terrain viticole de Mme [X] a été déclaré enclavé et un droit de passage sur le terrain de M. et Mme [R] lui a été reconnu, ultérieurement assorti d'une astreinte.
2. Après avoir obtenu la liquidation de l'astreinte, Mme [X] a fait signifier à M. et Mme [R] un commandement aux fins de saisie-vente et un procès-verbal de saisie-attribution. Le 10 août 2018, ces derniers ont assigné Mme [X] afin de contester ces mesures d'exécution puis, le 6 février 2019, ils ont saisi la cour d'appel d'un recours en révision de l'arrêt du 3 août 2011.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [R] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur recours en révision, alors « que tout arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable le recours en révision formé par M. et Mme [R], d'une part qu'il résultait de leurs propres demandes présentées devant le juge de l'exécution qu'ils avaient eu connaissance, dès le 10 août 2018, d'éléments nouveaux résultant du rapport d'expertise privé et que ces éléments avaient motivé leur intention exprimée devant le juge de l'exécution d'exercer un recours en révision, tout en constatant d'autre part que le rapport d'expertise privé n'avait été déposé que le 14 décembre 2018, de sorte que les éléments nouveaux n'avaient été portés à la connaissance des époux [R] qu'à la date du dépôt du rapport définitif d'expertise soit le 14 décembre 2018 et non le 10 août 2018, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Mme [X] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est contraire aux écritures d'appel et au comportement procédural de M. et Mme [R], en ce qu'ils exposaient que le rapport d'expertise déposé en décembre 2014 leur avait apporté la preuve, et non la connaissance, d'éléments sus de longue date.
5. Cependant, le moyen, né de la décision attaquée, à laquelle il reproche une contradiction de motifs, ne peut être argué de contrariété, et est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
6. Sous couvert d'un grief de contradiction de motifs, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation le pouvoir souverain d'appréciation, par les juges du fond, de la date de la connaissance, par les requérants, de la cause de révision qu'ils invoquent.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. M. et Mme [R] font grief à l'arrêt de les condamner à payer à Mme [X] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol ; qu'en affirmant, pour condamner M. et Mme [R] à payer à Mme [X] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en dépit de décisions de justice définitives, qui avaient constaté l'état d'enclave du terrain appartenant à Mme [X], condamné les époux [R] à respecter, sous astreinte, la servitude de passage dont celle-ci bénéficiait, et liquidé l'astreinte à la somme de 36 000 euros, M. et Mme [R], qui n'avaient pas payé l'astreinte, avaient exercé un recours en révision manifestement irrecevable pour cause de tardiveté, ce qui caractérisait leur intention dilatoire dans le but d'échapper ou de retarder le paiement de l'astreinte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute des époux [R] dans l'exercice de leur recours en révision, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. Pour condamner M. et Mme [R] à payer à Mme [X] une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'en dépit de décisions définitives jugeant que le terrain de Mme [X] était enclavé, les condamnant à respecter, sous astreinte, la servitude de passage dont bénéficiait celle-ci et liquidant l'astreinte, M. et Mme [R], qui n'ont jamais payé tout ou partie de l'astreinte à laquelle ils ont été définitivement condamnés, ont entendu à nouveau contester ces différentes décisions par la voie d'un recours en révision manifestement irrecevable pour cause de tardiveté, caractérisant leur intention dilatoire d'échapper au paiement de la somme dont ils sont redevables au titre de l'astreinte, ou à tout le moins de le retarder.
10. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire l'existence d'un abus du droit d'agir en justice.
11. Le grief n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. M. et Mme [R] font le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen, en ce que l'arrêt attaqué a prononcé l'irrecevabilité du recours en révision de M. et Mme [R] pour tardiveté, entraînera par voie de conséquence la cassation sur le second moyen, en ce que l'arrêt a condamné les époux [R] à payer à Mme [X] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
13. Le premier moyen ayant été rejeté, la seconde branche du second moyen, tirée d'une cassation par voie de conséquence, ne peut être accueillie.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [R] et les condamne à payer à la SCP Rousseau-Tapie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [R]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable le recours en révision formé par M. et Mme [R] ;
Aux motifs que : « sur la recevabilité du recours en révision : que l'intimée invoque l'irrecevabilité du recours en révision pour tardiveté, les époux [R] invoquant leur volonté d'exercer un tel recours dès le mois d'août 2018 mais n'ayant exercé leur recours que le 6 février 2019, soit postérieurement au délai de deux mois prévu par l'article 596 du code de procédure civile qui court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque ; que les époux [R] contestent l'irrecevabilité du recours pour tardiveté, faisant valoir que le rapport d'expertise privé, qui amène la preuve de l'élément nouveau, n'est en date que du 14 décembre 2018 ; qu'aux termes de l'article 596 du code de procédure civile : « le délai du recours en révision est de deux mois. Il court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque » ; qu' en l'espèce, dans le cadre de l'assignation devant le juge de l'exécution délivrée le 10 août 2018 à Mme [X], les époux [R] demandaient à ce dernier de « prendre acte de ce que les consorts [R] vont exercer un recours en révision du fait des éléments nouveaux justifiant qu'ils n'ont jamais procédé à l'enclavement de la parcelle [X] qu'ils disposent d'un chemin d'accès au domaine public » ; que par conséquent il résulte des propres demandes présentées par les époux [R] devant le juge de l'exécution que si l'expert privé n'a déposé son rapport que le 14 décembre 2018, M. et Mme [R] avaient incontestablement connaissance dès le 10 août 2018 d'éléments nouveaux résultant de ce rapport d'expertise, ces éléments motivant leur intention exprimée devant le juge de l'exécution d'exercer un recours en révision ; que ce dernier n'a été exercé par les époux [R] que le 6 février 2019 soit bien postérieurement au délai de deux mois prévu par l'article 596 du code de procédure civile ; que la cour ne peut donc que prononcer l'irrecevabilité du recours en révision exercé par M. et Mme [R] pour tardiveté» (arrêt p. 4 et 5) ;
Alors que tout arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable le recours en révision formé par M. et Mme [R], d'une part qu'il résultait de leurs propres demandes présentées devant le juge de l'exécution qu'ils avaient eu connaissance, dès le 10 août 2018, d'éléments nouveaux résultant du rapport d'expertise privé et que ces éléments avaient motivé leur intention exprimée devant le juge de l'exécution d'exercer un recours en révision, tout en constatant d'autre part que le rapport d'expertise privé n'avait été déposé que le 14 décembre 2018, de sorte que les éléments nouveaux n'avaient été portés à la connaissance des époux [R] qu'à la date du dépôt du rapport définitif d'expertise soit le 14 décembre 2018 et non le 10 août 2018, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. et Mme [R] à payer à Mme [X] une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Aux motifs que : « sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive : qu' en l'espèce, nonobstant deux décisions définitives jugeant que le terrain de Mme [X] était enclavé (jugement du tribunal de grande instance de Béziers du 29 mars 2010) et condamnant les époux [R] à respecter, sous astreinte, la servitude de passage dont bénéficiait Mme [X] (jugement du tribunal de grande instance de Béziers du 27 mars 2012) et une décision définitive du juge de l'exécution liquidant l'astreinte à la somme de 36.000 €, M. et Mme [R], qui n'ont jamais payé à Mme [X] tout ou partie de l'astreinte à laquelle ils ont été définitivement condamnés, ont entendu à nouveau contester ces différentes décisions par la voie d'un recours en révision, manifestement irrecevable pour cause de tardiveté, ce qui caractérise leur intention dilatoire dans le but d'échapper, ou du moins de retarder le paiement de la somme de 48.080,93 € dont ils sont redevables au titre de l'astreinte ; que par conséquent, ils seront condamnés à payer à Mme [X] une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive (arrêt p. 5 et 6) »
1°)Alors que l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol ; qu'en affirmant, pour condamner M. et Mme [R] à payer à Mme [X] une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, qu'en dépit de décisions de justice définitives, qui avaient constaté l'état d'enclave du terrain appartenant à Mme [X], condamné les époux [R] à respecter, sous astreinte, la servitude de passage dont celle-ci bénéficiait, et liquidé l'astreinte à la somme de 36.000 €, M. et Mme [R], qui n'avaient pas payé l'astreinte, avaient exercé un recours en révision manifestement irrecevable pour cause de tardiveté, ce qui caractérisait leur intention dilatoire dans le but d'échapper ou de retarder le paiement de l'astreinte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute des époux [R] dans l'exercice de leur recours en révision, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil.
2°)Alors que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen, en ce que l'arrêt attaqué a prononcé l'irrecevabilité du recours en révision de M. et Mme [R] pour tardiveté, entraînera par voie de conséquence la cassation sur le second moyen, en ce que l'arrêt a condamné les époux [R] à payer à Mme [X] une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en application des articles 624 et 625 du code de procédure civile.