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09/03/2022 | FRANCE | N°20-10678

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 09 mars 2022, 20-10678


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 mars 2022

Cassation

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 158 F-D

Pourvoi n° V 20-10.678

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022

M. [J] [B],

domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-10.678 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre comme...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 mars 2022

Cassation

M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 158 F-D

Pourvoi n° V 20-10.678

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022

M. [J] [B], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-10.678 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Intrum Debt Finance, anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Le Crédit lyonnais (LCL), défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [B], de Me Balat, avocat de la société Intrum Debt Finance, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 5 septembre 2019), par un acte du 17 février 2012, M. [B] s'est rendu caution à concurrence de la somme de 48 500 euros d'un prêt consenti à la société Medley (la société) par la société Le Crédit lyonnais (la banque), aux droits de laquelle est venue la société Intrum Justitia Debt Finance, devenue Intrum Debt Finance. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. [B] fait grief à l'arrêt de dire que son cautionnement n'était pas disproportionné et de le condamner à payer à la banque la somme de 25 513,29 euros, outre intérêts, alors « que la disproportion du cautionnement doit être appréciée en considération de l'endettement global de la caution, et notamment de l'ensemble des charges déclarées au créancier ; qu'en appréciant la proportionnalité de l'engagement de caution de M. [B] au regard des éléments d'actif de son patrimoine, sans tenir compte, comme elle y était invitée, des charges déclarées dans la fiche de renseignement patrimonial fournie à la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 :

3. Aux termes de ce texte, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. La capacité de la caution à faire face à son engagement s'apprécie au regard de l'ensemble des éléments d'actif et de passif composant son patrimoine, et notamment des charges déclarées par la caution au créancier.

4. Pour dire que le cautionnement de M. [B] n'est pas disproportionné,
l'arrêt, après avoir relevé que la fiche patrimoniale renseignée par la caution lors de son engagement mentionne des revenus annuels de 33 000 euros et une assurance-vie de 7 000 euros, retient que, par ailleurs, un acte de donation-partage indique que M. [B] a bénéficié d'une somme de 2 500 euros le 25 août 2011 et d'une somme de 28 000 euros en octobre 2011, soit un montant total de 30 500 euros, reçu avant la conclusion de l'engagement de caution consenti à hauteur de la somme de 48 500 euros.

5. En se déterminant ainsi, sans examiner, comme elle y était invitée, si les charges déclarées dans la fiche patrimoniale de renseignements fournie à la banque n'étaient pas de nature à conférer à l'engagement de caution un caractère manifestement disproportionné, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. M. [B] fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'était pas justifié d'une perte de chance consécutive au manquement par la banque à son obligation de mise en garde, de rejeter sa demande d'indemnisation et de le condamner à payer à la banque la somme de 29 513,29 euros, outre intérêts, alors « que toute perte de chance, même minime, ouvre droit à réparation ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter la responsabilité de la banque après avoir jugé qu'elle avait manqué à son devoir de mise en garde, que le prêt était conditionné par l'octroi d'un cautionnement et affecté au financement du droit au bail de la société emprunteuse, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dûment mis en garde, M. [B], dirigeant de la société emprunteuse, n'aurait pas renoncé à l'opération garantie, et par conséquent au cautionnement litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

7. Il résulte de ce texte qu'un établissement de crédit est tenu, lors de la conclusion d'un contrat de prêt, à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti, au regard des capacités financières de celui-ci et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt. Le préjudice de la caution consécutif au manquement d'un établissement de crédit à son devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti consiste dans la perte de la chance que l'emprunteur renonce au prêt et qu'elle ne s'engage donc pas comme caution, évitant ainsi le risque qu'on lui demande de payer la dette garantie.

8. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts de M. [B] pour manquement par la banque à son obligation de mise en garde à l'égard de l'emprunteur, l'arrêt, après avoir relevé le manquement de la banque à son obligation de mise en garde de la caution, retient que ce manquement a fait perdre à M. [B] une chance de ne pas s'engager en qualité de caution du prêt litigieux, mais que l'octroi du prêt étant conditionné par l'engagement de caution du dirigeant de la société et ce crédit étant affecté au financement de l'acquisition du droit au bail, en vue de l'obtention d'un local pour l'exercice de l'activité de cette société nouvellement immatriculée, M. [B], en sa qualité de dirigeant, ne pouvait pas ne pas cautionner ce prêt. L'arrêt en déduit que la perte de chance est nulle.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si, dûment mis en garde, M. [B], en sa qualité de dirigeant de la société emprunteuse, n'aurait pas renoncé à l'opération garantie et, par conséquent, si, en sa qualité de caution, il n'avait pas perdu une chance d'éviter, en ne se rendant pas caution, le risque qu'on lui demande de payer la dette garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne la société Intrum Debt Finance, anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance, venant aux droits de la société Le Crédit lyonnais, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Intrum Debt Finance, anciennement dénommée Intrum Justitia Debt Finance, venant aux droits de la société Le Crédit lyonnais, et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [B].

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le cautionnement de M. [B] n'était pas disproportionné et de l'AVOIR condamné à payer à la SA Crédit Lyonnais la somme de 29 513,29 euros outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014 ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L. 343-4 du Code de la Consommation : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. » ; qu'en l'espèce, la fiche patrimoniale renseignée par la caution lors de son engagement mentionne des revenus annuels à hauteur de la somme de 33 000 euros outre une assurance vie de 7 000 euros ; que par ailleurs, l'acte de donation partage en date du 11 juin 2012 soit postérieur à l'engagement de caution mentionne en page 6 que [J] [B] a bénéficié de la somme de 2 500 euros le 25 août 2011 et de la somme de 28 000 euros en octobre 2011, soit la somme totale de 30 500 euros et avant la conclusion de l'engagement de caution susvisé à hauteur de la somme de 48 500 euros ; que cette garantie et à hauteur de cette somme n'est pas par conséquent disproportionnée aux biens et revenus de [J] [B] ; que le jugement contesté ayant retenu le caractère disproportionné de cet engagement de caution et le retour à meilleure fortune de [J] [B] sera par conséquent infirmé de ce chef ; que la banque peut donc se prévaloir du cautionnement de [J] [B] de 48 500 euros ;

ALORS QUE la disproportion du cautionnement doit être appréciée en considération de l'endettement global de la caution, et notamment de l'ensemble des charges déclarées au créancier ; qu'en appréciant la proportionnalité de l'engagement de caution de M. [B] au regard des éléments d'actif de son patrimoine, sans tenir compte, comme elle y était invitée, des charges déclarées dans la fiche de renseignement patrimonial fournie à la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il n'était pas justifié d'une perte de chance consécutive au manquement, par la banque, à son obligation de mise en garde, d'AVOIR rejeté la demande d'indemnisation consécutive formée par [J] [B] et de l'AVOIR condamné à payer à la SA Crédit Lyonnais la somme de 29 513,29 euros outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014 ;

AUX MOTIFS QUE si [J] [B] lors de son engagement en qualité de caution a la qualité de dirigeant de la société cautionnée, il est cependant dirigeant de cette société depuis 5 mois, ne permettant pas dès lors pour ce seul motif de présumer de sa qualité de caution avertie ; que l'environnement familial rompu aux affaires comme affirmé par la banque ne peut justifier d'une connaissance particulière de [J] [B] concernant la gestion et en particulier le crédit ; que la qualité de responsable de formation de la société ODCO de [J] [B] avant la création de la société MEDLEY n'est pas non plus de nature à justifier de sa qualité de caution avertie ; que la banque avait par conséquent une obligation de mise en garde et ce indépendamment de l'existence d'un endettement excessif consécutif ce dont elle ne justifie pas ; qu'il est par conséquent démontré le manquement de la banque à son obligation de mise en garde ; que ce manquement a fait perdre à [J] [B] une chance de ne pas s'engager en qualité de caution du prêt susvisé ; que par contre, l'octroi du prêt étant conditionné par l'engagement de caution du dirigeant de la société et ce crédit étant affecté au financement de l'acquisition du droit au bail, en vue de l'obtention d'un local pour l'exercice de l'activité de cette société nouvellement immatriculée, la caution en sa qualité de dirigeant ne pouvait pas ne pas cautionner ce prêt ; que la perte de chance est par conséquent nulle ; la demande d'indemnisation de la caution à ce titre sera rejetée ; que le jugement contesté condamnant la banque à ce titre au paiement de dommages et intérêts sera infirmé de ce chef ;

1° ALORS QUE toute perte de chance, même minime, ouvre droit à réparation ; qu'en retenant, pour écarter la responsabilité de la banque après avoir jugé qu'elle avait manqué à son devoir de mise en garde, que le prêt était conditionné par l'octroi d'un cautionnement, de sorte que M. [B] « ne pouvait pas ne pas cautionner ce prêt », quand un crédit, même subordonné à l'octroi de sûretés, peut être garanti autrement que par le cautionnement du dirigeant social, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif d'ordre général, sans rechercher, in concreto, si le crédit garanti et l'engagement de caution litigieux auraient été souscrits en l'absence de manquement de la banque, a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;

2° ALORS QUE toute perte de chance, même minime, ouvre droit à réparation ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter la responsabilité de la banque après avoir jugé qu'elle avait manqué à son devoir de mise en garde, que le prêt était conditionné par l'octroi d'un cautionnement et affecté au financement du droit au bail de la société emprunteuse, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, dûment mis en garde, M. [B], dirigeant de la société emprunteuse, n'aurait pas renoncé à l'opération garantie, et par conséquent au cautionnement litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20-10678
Date de la décision : 09/03/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 05 septembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 09 mar. 2022, pourvoi n°20-10678


Composition du Tribunal
Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Balat, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.10678
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