LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mars 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 240 FS-B
Pourvoi n° S 20-21.715
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [V].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 septembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MARS 2022
M. [R] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-21.715 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-3), dans le litige l'opposant à l'association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [V], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Capitaine, Lacquemant, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 juin 2019), M. [V] a été engagé le 2 juin 2016 par l‘association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel en qualité d'aide soignant.
2. Le 13 novembre 2018, dans le cadre d'une unique visite de reprise, le médecin du travail l'a déclaré « inapte à son poste de travail d'aide soignant, inapte à tous les postes dans l'entreprise ».
3. Le 29 janvier 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, aux fins de contester l'avis d'inaptitude établi par le médecin du travail et demander l'organisation d'une mesure d'instruction.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes relatives à la contestation de l'avis d'inaptitude et à la mesure d'instruction confiée au médecin inspecteur du travail, alors : « que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après l'avoir examiné au moins une fois, puis avoir échangé avec l'employeur et le salarié afin de leur permettre de faire valoir leurs observations sur l'avis qu'il entend prononcer ; qu'en cas de contestation de l'avis émis par le médecin du travail, le conseil de prud'hommes est saisi dans un délai de quinze jours à compter de sa notification faite sous enveloppe ou pli fermé, soit par la voie postale, soit par la remise au destinataire contre émargement ou récépissé ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable le recours du salarié comme tardif, que « les mots notifications employés tant à l'article R. 4624-42 qu'à l'article R. 4624-45 [du code du travail] ne doivent pas s'entendre au sens de l'article 667 du code de procédure civile comme incluant une nécessité formelle de "décharge ou récépissé" », quand la remise au salarié de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, sans émargement ni récépissé et immédiatement à l'issue d'un premier et unique examen par le médecin du travail, ne valait pas notification de cet avis, mais simple information sur l'avis que le médecin du travail entendait émettre, en sorte que le délai pour le contester n'avait pas commencé à courir lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 29 novembre 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-42 et R. 4624-45 du code du travail dans sa version applicable en la cause, ainsi que l'article 667 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du code du travail dans leurs dispositions applicables au litige, le premier issu du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017et le second issu du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 :
5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.
6. Aux termes du second, l'avis médical d'aptitude ou d'inaptitude émis par le médecin du travail est transmis au salarié ainsi qu'à l'employeur par tout moyen leur conférant une date certaine.
7. Il en résulte que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l'encontre d'un avis d'aptitude ou d'inaptitude, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.
8. Pour dire irrecevable le recours du salarié déposé le 29 novembre 2018, l'arrêt retient que le mot notification employé à l'article R. 4624-45 du code du travail a seulement pour objet l'obligation que soient portés à la connaissance des parties tant la nature de l'avis que les délais de recours et la désignation de la juridiction devant en connaître qui doivent figurer sur le document.
9. L'arrêt relève ensuite qu'à l'égard du salarié, cette prise de connaissance s'est manifestée par la remise qui lui a été faite à l'issue de la visite par le médecin du travail de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, ce fait n'étant pas contesté et constituant une date certaine.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2019 entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne l'association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel et la condamne à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [V]
M. [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance en ce qu'elle avait déclaré irrecevables ses demandes relatives à la contestation de l'avis d'inaptitude et à la mesure d'instruction confiée au médecin inspecteur du travail.
1° ALORS QUE le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après l'avoir examiné au moins une fois, puis avoir échangé avec l'employeur et le salarié afin de leur permettre de faire valoir leurs observations sur l'avis qu'il entend prononcer ; qu'en cas de contestation de l'avis émis par le médecin du travail, le conseil de prud'hommes est saisi dans un délai de quinze jours à compter de sa notification faite sous enveloppe ou pli fermé, soit par la voie postale, soit par la remise au destinataire contre émargement ou récépissé ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable le recours du salarié comme tardif, que « les mots notifications employés tant à l'article R. 4624-42 qu'à l'article R. 4624-45 [du code du travail] ne doivent pas s'entendre au sens de l'article 667 du code de procédure civile comme incluant une nécessité formelle de "décharge ou récépissé" », quand la remise au salarié de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, sans émargement ni récépissé et immédiatement à l'issue d'un premier et unique examen par le médecin du travail, ne valait pas notification de cet avis, mais simple information sur l'avis que le médecin du travail entendait émettre, en sorte que le délai pour le contester n'avait pas commencé à courir lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 29 novembre 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-42 et R. 4624-45 du code du travail dans sa version applicable en la cause, ainsi que l'article 667 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE le délai de quinze jours pour saisir le conseil de prud'hommes d'une contestation de l'avis émis par le médecin du travail se décompte en jours ouvrables ou francs ; qu'en décomptant ce délai en jours calendaires pour considérer que l'exposant était irrecevable à saisir le 29 novembre 2018 le juge en contestation de l'avis d'inaptitude émis le 13 novembre 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-45 du code du travail dans sa version applicable en la cause et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3° ALORS en tout état de cause QU'un recours doit pouvoir être enregistré jusqu'à minuit le jour de l'expiration du délai au greffe de la juridiction, auquel il appartient de mettre en oeuvre les mesures permettant de garantir l'effectivité de ce droit ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable le recours régularisé le 29 novembre 2018, que l'exposant n'établissait pas s'être présenté au greffe le 28 novembre 2018 à une heure où celui-ci était fermé comme il le soutenait, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas en violation des articles 642 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.