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02/03/2022 | FRANCE | N°20-19076

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 02 mars 2022, 20-19076


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 195 F-D

Pourvoi n° Y 20-19.076

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

M. [Z] [M], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 20-19.076

contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-4), dans le litige l'opposant à Mme [S] [R], domicilié...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 195 F-D

Pourvoi n° Y 20-19.076

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

M. [Z] [M], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 20-19.076 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-4), dans le litige l'opposant à Mme [S] [R], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [M], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [R], après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 décembre 2019), M. [M] et Mme [R], qui ont vécu en concubinage de 1997 au 5 septembre 2011, ont contracté un prêt destiné à financer la construction d'une maison d'habitation sur un terrain appartenant à Mme [R].

2. A la suite de la séparation du couple, M. [M] a assigné Mme [R] en indemnisation des dépenses qu'il avait exposées lors de cette opération.

3. Un arrêt mixte du 30 novembre 2016 a déclaré recevable et fondée la demande de M. [M] au titre de l'enrichissement sans cause et, avant dire droit sur l'indemnité due à ce dernier, ordonné une mesure d'expertise.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de condamner Mme [R] à lui verser la seule somme de 999,45 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause, alors « que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; qu'en l'espèce, par son précédent arrêt du 30 novembre 2016, devenu irrévocable, la cour d'appel a déclaré "recevable et bien fondée la demande de M. [M] fondée sur l'enrichissement sans cause" ; que pour statuer ainsi elle avait jugé "qu'il est établi (?) que M. [M] a financé la moitié des échéances de la première année de remboursement soit 2 496 euros, aucune somme la deuxième année, puis la totalité des mensualités de juin 2005 à septembre 2011 : 36 196 euros, soit au total : 38 688 euros. Il en ressort que Mme [R] s'est enrichie au détriment de M. [M], sans cause dès lors qu'il ne peut jouir d'un droit d'habitation dans la maison qu'il a, en partie, financée. Il convient en conséquence, réformant partiellement le jugement déféré, de dire que M. [M] est fondé à solliciter une indemnité résultant de son appauvrissement corrélatif à l'enrichissement de Mme [R]" ; qu'il en résultait nécessairement qu'avait été définitivement tranchée la question de savoir si M. [M] était fondé à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause pendant la période de vie commune, seul restant à déterminer le montant de l'indemnité due par son ex-concubine ; qu'en retenant cependant, pour condamner Mme [R] à verser à M. [M] la seule somme de 999,45 euros correspondant à un règlement effectué par ce dernier après la rupture du concubinage le 5 septembre 2011, que l'enrichissement sans cause ne pouvait être invoqué par M. [M] pendant les années d'occupation de la maison, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile :

5. Aux termes du premier de ces textes, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

6. Aux termes du second, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

7. Pour limiter à une certaine somme, correspondant à une échéance du prêt réglée postérieurement à la séparation du couple, l'indemnité due à M. [M] au titre de l'enrichissement sans cause et rejeter le surplus de ses demandes, l'arrêt retient que tous les paiements effectués par lui au titre de l'édification ou de l'occupation de la maison pendant la durée de la vie commune ont été réalisés dans son intérêt personnel, dès lors que cette maison constituait le logement de la famille et qu'il y a consenti à ses risques et périls, puisqu'il ne pouvait ignorer que Mme [R] était seule propriétaire de l'immeuble et qu'il n'avait aucun droit sur celui-ci.

8. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'arrêt du 30 novembre 2016 avait tranché dans son dispositif la question du bien fondé de la demande de M. [M] au titre de l'enrichissement sans cause, la cour d'appel, qui a méconnu l'autorité de chose jugée attachée à cette décision, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux et signé par lui, par le conseiller rapporteur, et par Mme Berthomier, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. [M]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mme [R] à verser à M. [M] la seule somme de 999,45 € sur le fondement de l'enrichissement sans cause, correspondant aux règlements effectués par M. [M] après la rupture du concubinage le 5 septembre 2011, et d'avoir débouté M. [M] du surplus de ses demandes ;

AUX MOTIFS QU'« à titre liminaire, il convient de relever que l'arrêt du 30 novembre 2016 ayant d'ores et déjà tranché la question de la recevabilité et du bien-fondé de l'action diligentée par M. [Z] [M] sur le fondement de l'enrichissement sans cause, l'infirmation du jugement entrepris est aujourd'hui définitive sur ce point. Il n'y a donc pas lieu à statuer à nouveau sur le bien-fondé de l'action, seule demeurant en litige la question de l'indemnisation ;
que par ailleurs, le fait que Mme [R] n'ait formulé aucune observation sur le rapport de M. [X] pendant les opérations d'expertise, ne saurait emporter acquiescement de sa part aux conclusions de l'expert ou aux prétentions développées par M. [M], et ce d'autant que l'intimée affirme, depuis le début de la procédure, et maintient, aux termes de ses dernières écritures, que l'enrichissement dont elle a bénéficié était causé ;
que Mme [R] invoque ainsi le fait que son enrichissement découlerait de l'intention libérale de M. [Z] [M] qui aurait souhaité l'aider ponctuellement dans la construction de la maison afin d'y vivre lui-même et de lui permettre, ainsi qu'aux enfants du couple, d'y vivre également. Dans une même phrase, l'intimée soulève, à la fois, l'existence d'une cause à cet enrichissement, ce qui a déjà été tranché dans le cadre de l'arrêt mixte, l'intention libérale de son ex-concubin, qu'il lui appartient de démontrer, et l'intérêt que ce dernier pouvait trouver dans cette participation financière en ce que cette villa constituait le domicile de la famille ;
qu'en application des dispositions de l'article 1303-2 du code civil, il n'y a pas lieu à indemnisation si l'appauvrissement procède d'un acte accompli par l'appauvri en vue d'un profit personnel ;
que dans la mesure où la villa en cause constituait le logement de la famille, il convient de constater que tous les paiements opérés par M. [M] au titre de son édification ou de son occupation ont été réalisés dans son intérêt personnel jusqu'à la séparation du couple qu'il formait avec Mme [R], le 5 septembre 2011 ;
que la circonstance, relevée par l'appelant dans ses écritures, que Mme [R] ait réglé seule les mensualités du crédit immobilier à compter de la séparation vient confirmer le fait que cet appauvrissement a été consenti par M. [M] dans son intérêt personnel, à ses risques et périls, puisqu'il ne pouvait ignorer que Mme [R] était propriétaire de l'immeuble et qu'il n'avait donc aucun droit sur celui-ci ;

que M. [M] fait valoir avoir réglé deux échéances du prêt immobilier, impayées par son ex-compagne, pour un montant de 999,45 € et de 1.002,91 € le 4 juillet 2017. Il convient d'observer que l'arrêt mixte précité, rendu le 30 novembre 2016, n'a pas eu à se pencher sur cette demande de remboursement d'échéances impayées, formée par M. [M] au titre de l'année 2017, également présentée sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;
qu'au soutien de cette demande, M. [M] produit un relevé de comptes à son nom faisant état du débit de ces deux chèques qu'il produit en photocopie mais sans communiquer l'endos. Le chèque de 999,45 € correspond manifestement à une échéance impayée en ce que son montant est celui figurant dans un courrier du Crédit Foncier en date du 28/06/2017 et apparaît également sur une situation de compte comme avec mention d'un rejet pour provision insuffisante le 6 juin 2017. En revanche, le chèque d'un montant de 1.002,91 € ne correspond pas au montant de l'arriéré mentionné dans le courrier du Crédit Foncier du 28 juin 2017 qui évoque une somme de 1.006,36 € à régler par TIP. En conséquence, seule sera retenue l'échéance d'un montant de 999,45 € ;
que la solidarité instituée entre les co-emprunteurs dans le cadre d'un prêt n'a d'égard que dans les rapports avec le créancier, à savoir la banque, mais ne saurait contraindre le co-emprunteur à financer son co-obligé sans contrepartie finale. Le règlement par M. [M] de l'échéance du prêt d'un montant de 999,45 € dans le seul intérêt de Mme [R], puisque l'appelant n'occupe plus le bien objet du prêt, constitue un enrichissement sans cause au bénéfice de l'intimée et au préjudice de l'appelant ;
qu'en application de l'article 1303-4 du code civil, l'appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l'enrichissement, tel qu'il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. L'action de in rem verso tend à procurer à la personne appauvrie une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l'une de l'enrichissement, l'autre de l'appauvrissement. Dans la mesure où le paiement de l'échéance de 999,45 € par M. [M] en lieu et place de Mme [R], défaillante, a permis à celle-ci d'éviter d'éventuelles poursuites de la banque pouvant aller jusqu'à porter atteinte à son droit de propriété sur le bien, il convient de considérer que son enrichissement est nécessairement plus important que l'appauvrissement de M. [M] qui doit être évalué au nominal, soit la somme de 999,45 € ;
que Mme [R] sera donc condamnée à verser à M. [M] la somme de 999,45 € sur le fondement de l'enrichissement sans cause » ;

1) ALORS QUE le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; qu'en l'espèce, par son précédent arrêt du 30 novembre 2016, devenu irrévocable, la Cour d'appel a déclaré « recevable et bien fondée la demande de Monsieur [Z] [M] fondée sur l'enrichissement sans cause » ; que pour statuer ainsi elle avait jugé « qu'il est établi (?) que M. [M] a financé la moitié des échéances de la première année de remboursement soit 2.496 euros, aucune somme la deuxième année, puis la totalité des mensualités de juin 2005 à septembre 2011 : 36.196 euros, soit au total : 38.688 euros. Il en ressort que Mme [S] [R] s'est enrichie au détriment de M. [M], sans cause dès lors qu'il ne peut jouir d'un droit d'habitation dans la maison qu'il a, en partie, financée. Il convient en conséquence, réformant partiellement le jugement déféré, de dire que monsieur [M] est fondé à solliciter une indemnité résultant de son appauvrissement corrélatif à l'enrichissement de madame [R] » (arrêt mixte, p. 5 § 3-5) ; qu'il en résultait nécessairement qu'avait été définitivement tranchée la question de savoir si M. [M] était fondé à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause pendant la période de vie commune, seul restant à déterminer le montant de l'indemnité due par son ex-concubine ; qu'en retenant cependant, pour condamner Mme [R] à verser à M. [M] la seule somme de 999,45 € correspondant à un règlement effectué par ce dernier après la rupture du concubinage le 5 septembre 2011, que l'enrichissement sans cause ne pouvait être invoqué par M. [M] pendant les années d'occupation de la maison, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile ;

2) ALORS, A TITRE SUBSIDIAIRE, QUE nul ne peut s'enrichir injustement aux dépens d'autrui ; que les versements effectués par un concubin pendant la durée de la vie commune qui excèdent par leur ampleur la simple participation aux dépenses du ménage doivent lui être remboursées lors de la séparation ; qu'en se bornant à affirmer que les règlements litigieux effectués par M. [M] auraient été réalisés dans « son intérêt personnel jusqu'à la séparation du couple du couple qu'il formait avec Mme [R], le 5 septembre 2011 » (arrêt, p. 7 § 4), sans rechercher si la participation financière et en industrie de M. [M] ne dépassait pas, par son ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, sans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 20-19076
Date de la décision : 02/03/2022
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11 décembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 02 mar. 2022, pourvoi n°20-19076


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.19076
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