La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/03/2022 | FRANCE | N°20-17133

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 02 mars 2022, 20-17133


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 209 FS-B

Pourvoi n° M 20-17.133

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

1°/ M. [O] [B], domicilié [Adresse 4] (Canada),

2°/ Mme [U] [

B], domiciliée [Adresse 5] (Canada),

3°/ M. [E] [B], domicilié [Adresse 3] (Suisse),

4°/ M. [J] [B], domicilié [Adresse 6] (Canada),

ont formé le po...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mars 2022

Rejet

Mme TEILLER, président

Arrêt n° 209 FS-B

Pourvoi n° M 20-17.133

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022

1°/ M. [O] [B], domicilié [Adresse 4] (Canada),

2°/ Mme [U] [B], domiciliée [Adresse 5] (Canada),

3°/ M. [E] [B], domicilié [Adresse 3] (Suisse),

4°/ M. [J] [B], domicilié [Adresse 6] (Canada),

ont formé le pourvoi n° M 20-17.133 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B, expropriations), dans le litige les opposant :

1°/ à la société publique locale Territoire d'innovation, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la direction départementale des finances publiques de l'Ain, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des consorts [B], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société publique locale Territoire d'innovation, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mmes Abgrall, Grandjean, conseillers, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Désistement partiel

1. Il est donné acte à MM. [O], [E] et [J] [B] et Mme [U] [B] (les consorts [B]) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la direction départementale des finances publiques de l'Ain.

Faits et procédure

2. L'arrêt attaqué (Lyon, 26 mai 2020) fixe les indemnités revenant aux consorts [B] à la suite de l'expropriation, au profit de la société publique locale Territoire d'innovation, de plusieurs parcelles leur appartenant.

Examen du moyen Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. Les consorts [B] font grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité principale d'expropriation et l'indemnité de remploi leur revenant, alors « que le juge de l'expropriation doit toujours s'assurer concrètement que l'expropriation ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ; qu'ainsi le juge de l'expropriation doit désormais toujours procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s'assurer notamment que l'application d'une règle de droit ne porte pas à l'exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété notamment en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien ; que si une indemnisation qui n'est pas intégrale ne rend pas illégitime en soi la mainmise de l'Etat sur les biens expropriés, il en va autrement chaque fois que l'indemnisation accordée, selon les critères de la loi nationale applicable, est largement inférieure à la valeur marchande du bien en question, sans qu'aucun objectif d'utilité publique le justifie et fait peser sur l'exproprié une charge disproportionnée en permettant notamment à l'expropriant de réaliser à son détriment une plus-value très importante lors de la revente du bien exproprié ; que dès lors en affirmant, par des motifs propres et expressément adoptés, qu'il est totalement interdit de prendre en considération la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ce qui prive de tout intérêt la démonstration des consorts [B] relative au calcul du profit que réaliserait la SPL Territoire d'Innovation qui n'a même pas à être examinée ou encore que la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ne doit pas être prise en considération pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce qui ne constitue pas une atteinte excessive au droit au respect des biens protégé par l'article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui a refusé, par principe de procéder à un contrôle concret de proportionnalité et de tenir compte, dans le calcul du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était d'ores et déjà assuré de réaliser en revendant immédiatement les parcelles aux conditions du marché, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, devant qui il n'était pas contesté que les biens expropriés avaient été revendus pour la réalisation du projet déclaré d'utilité publique, a retenu, d'une part, que la plus-value, que devaient générer ces ventes en raison de l'opération d'utilité publique conduite par l'expropriant, n'avait pas à être prise en compte pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce dont il résultait que l'indemnité de « privation de plus-value » revendiquée par les expropriés n'était pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession, qui seul pouvait être indemnisé par le juge de l'expropriation, d'autre part, que l'indemnisation était en rapport avec la valeur du bien exproprié, enfin, que la valorisation de leurs biens avait été faite sur la base d'éléments de comparaison portant sur des biens comparables.

6. Dès lors, elle n'était pas tenue de procéder à un contrôle inopérant relatif à l'atteinte disproportionnée au droit au respect des biens des consorts [B], qui résulterait de la plus-value bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles.

7. Le moyen n'est donc pas fondé et il n'y a pas lieu d'accueillir la demande aux fins d'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. [O], [E] et [J] [B] et Mme [U] [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les consorts [B]

Les consorts [B] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnité principale d'expropriation leur revenant à la somme de 6.258793 euros et l'indemnité de remploi à la somme de 626.879,30 euros, soit un total de 6.885.672,30 euros.

1°) ALORS QUE les dispositions de l'article L 322-2 alinéas 2 et 4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, imposant, pour fixer le montant des indemnités d'expropriation, d'apprécier la nature et l'usage effectif de l'immeuble un an avant l'ouverture de l'enquête publique et interdisant de tenir compte des changements de valeur depuis cette date, sont contraires à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles ne distinguent pas selon que le bien exproprié a vocation à demeurer dans le patrimoine de l'autorité publique expropriante, ou qu'il a été acquis pour être revendu par celle-ci à brève échéance, au prix du marché, dans des conditions lui permettant de réaliser rapidement une plus-value substantielle au détriment des expropriés ; que la déclaration de non-conformité à la Constitution, par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, en application de l'article 61-1 de la Constitution, de l'article L 322-2 alinéas 2 et 4 du code de l'expropriation en tant qu'il ne procède pas à cette distinction, privera de base légale l'arrêt attaqué ;

2°) ALORS QUE le juge de l'expropriation doit toujours s'assurer concrètement que l'expropriation ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ; qu'ainsi le juge de l'expropriation doit désormais toujours procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s'assurer notamment que l'application d'une règle de droit ne porte pas à l'exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété notamment en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien ; que si une indemnisation qui n'est pas intégrale ne rend pas illégitime en soi la mainmise de l'Etat sur les biens expropriés, il en va autrement chaque fois que l'indemnisation accordée, selon les critères de la loi nationale applicable, est largement inférieure à la valeur marchande du bien en question, sans qu'aucun objectif d'utilité publique le justifie et fait peser sur l'exproprié une charge disproportionnée en permettant notamment à l'expropriant de réaliser à son détriment une plus-value très importante lors de la revente du bien exproprié ; que dès lors en affirmant, par des motifs propres et expressément adoptés, qu'il est totalement interdit de prendre en considération la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ce qui prive de tout intérêt la démonstration des consorts [B] relative au calcul du profit que réaliserait la SPL Territoire d'Innovation qui n'a même pas à être examinée ou encore que la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ne doit pas être prise en considération pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce qui ne constitue pas une atteinte excessive au droit au respect des biens protégé par l'article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui a refusé, par principe de procéder à contrôle concret de proportionnalité et de tenir compte, dans le calcul du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était d'ores et déjà assuré de réaliser en revendant immédiatement les parcelles aux conditions du marché, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) ALORS QUE l'indemnité d'expropriation doit prendre en compte la valeur marchande du terrain ainsi que sa situation et ses caractéristiques réelles, sans se limiter à sa seule classification dans le plan d'urbanisme ; qu'en affirmant au contraire, pour refuser de tenir compte, dans la fixation du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était assuré de réaliser, dès l'acquisition des parcelles, en les revendant aux conditions du marché à un partenaire privé, « qu'il n'y a pas d'atteinte au droit de propriété à déterminer la valeur d'un bien par rapport à son classement » à la date de référence, ce qui empêche pourtant de tenir compte des évolutions du bien et de sa valeur marchande, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 20-17133
Date de la décision : 02/03/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Premier Protocole additionnel - Article 1er - Protection de la propriété - Violation - Défaut - Cas - Privation de la plus-value revendiquée par les expropriés bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles expropriées

Une cour d'appel, qui a constaté que l'indemnité était fixée en rapport avec la valeur des biens expropriés, sur la base d'éléments de comparaison portant sur des biens comparables, n'est pas tenue de procéder à un contrôle relatif à l'atteinte disproportionnée au droit au respect des biens, garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui résulterait de la plus-value bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération d'utilité publique, la privation de plus-value revendiquée par les expropriés n'étant pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession, qui seul peut être indemnisé par le juge de l'expropriation


Références :

Article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 26 mai 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 02 mar. 2022, pourvoi n°20-17133, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Origine de la décision
Date de l'import : 15/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:20.17133
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award