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22/02/2022 | FRANCE | N°21-81183

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 février 2022, 21-81183


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° B 21-81.183 F-D

N° 00241

RB5
22 FÉVRIER 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 FÉVRIER 2022

L'association [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 8 janvier 2021, qui, dans la procédure su

ivie contre elle du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense,...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° B 21-81.183 F-D

N° 00241

RB5
22 FÉVRIER 2022

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 FÉVRIER 2022

L'association [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 8 janvier 2021, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de l'association [2], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [F] [C], épouse [G], de M. [S] [G] et de Mme [E] [G], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 19 février 2016, M. [S] [G], Mme [F] [C], épouse [G] ainsi que leur fille Mme [E] [G] se sont constitués partie civile du chef d'homicide involontaire, à la suite du décès de leur fils et frère [U] [G], né le [Date naissance 1] 1998, lequel a mis fin à ses jours au domicile familial le 20 septembre 2015.

3. Après l'ouverture d'une information judiciaire et la mise en examen de l'association [2] ([3]), celle-ci a été renvoyée devant le tribunal correctionnel, pour avoir le 20 septembre 2015 à Bordeaux, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement en l'espèce en ne gardant pas sous sa protection le mineur [U] [G] alors qu'il lui avait été confié par ses parents dans le cadre de l'accueil pour la journée de rentrée des [2], en le laissant rentrer seul chez lui alors qu'il était moralement fragilisé par l'information selon laquelle un signalement avait été rédigé au procureur de la République et qu'une enquête était en cours concernant des faits supposés d'atteintes sexuelles sur un mineur de 12 ans pour lesquels il était suspecté, et en ne respectant pas l'article 5.2 du règlement général des [2] prévoyant : « qu'en cas de difficultés particulières avec un enfant ou un jeune de moins de 18 ans, la famille ou le représentant légal du mineur est averti dans les meilleurs délais », involontairement causé la mort de [U] [G].

4. Le tribunal a relaxé l'association [3] et débouté les parties civiles de leurs demandes sur l'action civile.

5. Ces dernières ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé les dispositions civiles du jugement entrepris, a dit que l'association [2] avait commis des fautes en lien certain de causalité avec le décès de [U] [G] et a condamné en conséquence celle-ci à payer, en réparation du préjudice moral des parties civiles, la somme de 50 000 euros chacun à M. [S] [G] et Mme [F] [G] et celle de 20 000 euros à Mme [E] [G], alors :

« 1°/ que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation, doit résulter d'une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'en l'espèce, en retenant une faute civile à l'encontre de l'association [3] consistant en des erreurs d'appréciation dans la conception et la mise en oeuvre du « protocole » censé traiter la situation délicate de [U] [G] pour ne pas avoir organisé un entretien mûrement préparé entre celui-ci, ses parents et des responsables de l'association, la cour d'appel a retenu des faits qui n'étaient pas objet de la poursuite, en violation des articles 2 et 497 du code de procédure pénale et du principe susvisé ;

2°/ que l'article 5.2 du règlement général des [2] prévoyait seulement « qu'en cas de difficultés particulières avec un enfant ou un jeune de moins de 18 ans, la famille ou le représentant légal du mineur est averti dans les meilleurs délais » ; que l'association [3] avait respecté ce règlement dès lors qu'il est constant qu'elle avait envoyé un mail d'avertissement aux parents de [U] [G] le 18 septembre 2015 ; qu'en retenant une faute à l'encontre de l'association pour avoir omis de vérifier si ce mail était bien parvenu aux parents de [U] [G], la cour d'appel est allée au-delà de l'obligation d'aviser prévue par le règlement précité en exigeant que l'avis ait été réceptionné et pas seulement envoyé, alors même que dans ses conclusions, l'association contestait toute faute dans l'envoi du mail du 18 septembre et invoquait l'impossibilité de savoir, avant le 23 septembre (soit trois jours après le suicide de [U] [G]), que ce mail n'avait pas été réceptionné ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 2 et 470-1 du code de procédure pénale, 1231-1 du code civil, par refus d'application, et, par fausse application, l'article 1241 du code civil ;

3°/ qu'après avoir elle-même constaté que M. [W] avait proposé de raccompagner [U] [G] à son domicile et même, à la descente du tramway, de déjeuner avec lui, la cour d'appel ne pouvait retenir une faute à l'encontre de l'association [3] en ce que le jeune garçon s'était retrouvé seul chez lui dans une profonde détresse psychologique, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Mme [L] n'avait pas proposé à [U] [G] d'appeler ses parents, ce qu'il avait refusé, ni si la branche des aînés (16-18 ans) à laquelle [U] [G] appartenait n'était pas régie par le principe d'autonomie selon lequel les aînés rentrent seuls après les activités, de sorte que M. [W], qui n'était pas tenu de raccompagner le jeune garçon jusqu'à son domicile, avait dû, à la demande expresse de ce dernier, le laisser finir seul son chemin de sorte que l'ensemble de ces circonstances établissait qu'il s'était retrouvé seul chez lui sans faute de l'association ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et a ainsi méconnu les articles 2, 470-1 et 593 du code de procédure pénale, 1231-1 du code civil par refus d'application, et, par fausse application, l'article 1241 du code civil ;

4°/ que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'étend à ce qui a été nécessairement décidé par le juge répressif, notamment quant au lien de causalité ; que le tribunal correctionnel avait relaxé l'association [3] du chef d'homicide involontaire en décidant qu'il ne pouvait être retenu de lien de causalité certain entre le suicide de [U] [G] et la faute commise par ses représentants, MM. [A] et [P], consistant en un défaut d'information des parents de [U] [G] par un mode de communication sûr et dans un temps suffisant avant la journée d'accueil à laquelle leur fils avait été convié ; que, partant, la cour d'appel, statuant sur les seuls intérêts civils, ne pouvait juger au contraire que cette même faute avait concouru de façon certaine au suicide de [U] [G] pour retenir la responsabilité civile de l'association ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal ;

5°/ qu'en retenant la responsabilité de l'association [3], pour ne pas avoir mis en place un « entretien mûrement préparé entre [U] [G], ses parents, et, éventuellement, des responsables de l'association [3], entretien qui aurait été paré de toutes les précautions nécessaires pour amortir le choc émotionnel prévisible, le jeune garçon s'était retrouvé seul chez lui dans une profonde détresse psychologique que révèle son dernier message, dont les termes montrent sans ambiguïté le lien direct entre la révélation subite des événements le concernant et sa décision de mettre fin à ses jours », la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques concernant à la fois le comportement de ses parents et celui de [U] [G] dans cette hypothèse ; qu'elle a ainsi méconnu les articles 470-1 et 593 du code de procédure pénale ;

6°/ que l'action civile en réparation du dommage causé par un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; que le suicide de [U] [G] n'était pas une conséquence objectivement prévisible des fautes reprochées aux représentants de l'association consistant à ne pas avoir informé ses parents à temps de ce qu'il ne pouvait pas assister à la journée d'accueil du 20 septembre 2015, et de ne pas avoir organisé un entretien mûrement préparé avec [U] [G] et ses parents et la circonstance qu'il s'était retrouvé seul chez lui le 20 septembre 2015, dans une profonde détresse psychologique, dès lors que les deux événements ne pouvaient avoir lieu concomitamment, qu'aucune pièce du dossier ne permet de caractériser qu'un tel entretien aurait évité le suicide, et enfin, qu'ils n'avaient pas connaissance d'une éventuelle fragilité psychologique antérieure de celui-ci, de sorte qu'il n'existait aucun lien de causalité direct et certain entre ces fautes qui leur étaient reprochées et le dommage dont il était demandé réparation ; qu'en jugeant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1231-1 du code civil, 2 et 470-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour infirmer les dispositions civiles du jugement et dire que l'association [3] a commis des fautes en lien certain de causalité avec le décès de [U] [G], l'arrêt attaqué relève que M. [A], délégué général de l'association, informé depuis le mois d'août 2015 du comportement de [U] [G] à l'égard de [V] [Y], durant le camp d'été de juillet 2015 organisé par les [3] de [Localité 4], ainsi que de la publication des photographies du second par le premier sur un site pédopornographique, expliquant qu'il avait été décidé au niveau national d'un « protocole » consistant en l'information des parents de [U] [G] et l'absence de contact entre ce dernier et les autres jeunes, a adressé un signalement de ces faits au procureur de la République le 18 septembre 2015 tandis qu'à la même date, M. [P] délégué régional de l'association, adressait sur ses instructions, un courriel aux parents de [U] [G] à 22 heures 39, leur indiquant qu'il souhaitait les rencontrer le 28 septembre suivant et que dans l'attente, leur fils ne pourrait être accueilli par l'association ; que ces derniers n'ayant pas reçu ce courriel pour des raisons techniques, déposaient leur fils le dimanche suivant 20 septembre, pour la rentrée des [2], au local de l'association à [Localité 4] en prévoyant de le récupérer à la fin de la journée.

8. L'arrêt relève qu'alors, Mme [L], bénévole responsable du groupe, informée de la situation par sa hiérarchie, avait été surprise de voir arriver [U] [G], que celui-ci lui ayant indiqué qu'il n'avait pas connaissance d'un courriel reçu par ses parents, elle lui avait parlé de la publication des photographies de [V] [Y], et du signalement fait au procureur, raisons pour lesquelles elle ne pouvait le garder au local, lui proposait d'appeler ses parents, ce que le jeune homme refusait, et tentait de le rassurer avant de s'effondrer en pleurs, de sorte que M. [W], autre bénévole, raccompagnait [U] à son domicile devant lequel il le laissait seul, ce dernier ayant refusé sa proposition de déjeuner. Quelques instants plus tard, [U] [G] rédigeait son ultime message sur internet avant de se suicider dans l'appartement familial.

9. Les juges retiennent que M. [A] bien que conscient de la gravité de la situation dont il était informé depuis un mois et de la nécessité impérative d'aviser les représentant légaux de [U] [G], avait pourtant choisi de confier ainsi la mise en oeuvre de ce « protocole » à M. [P] sans directive particulière pour que cette diligence soit accomplie dans les meilleurs délais, celui-ci ayant envoyé un courriel à M. et Mme [G] dans des conditions qui ne lui permettaient pas de s'assurer qu'ils en auraient effectivement connaissance, à une heure tardive de la soirée du vendredi soir, et alors même que les activités du groupe de [Localité 4] auxquelles [U] [G] était convié devaient débuter moins de trente-six heures plus tard.

10. Les juges retiennent encore qu'à la suite de ces erreurs, les parents de [U] [G] avaient amené leur fils au local du groupe scout de [Localité 4] où il s'était retrouvé face aux deux responsables locaux qui avaient dû improviser une réaction en expliquant au jeune homme les raisons de son éviction, celui-ci se trouvant ainsi brutalement confronté à une âpre réalité en apprenant ex abrupto que ses tendances homosexuelles avaient été portées à la connaissance des responsables de l'association [3], que son rôle dans la publication de photos sur un site à caractère pédophile avait été découvert et qu'un signalement avait été adressé au procureur de la République.

11. Ils ajoutent qu'ainsi, aux lieu et place d'un entretien mûrement préparé entre [U] [G], ses parents et, éventuellement, des responsables de l'association [3], entretien qui aurait été paré de toutes les précautions nécessaires pour amortir le choc émotionnel prévisible, le jeune garçon s'était retrouvé seul chez lui dans une profonde détresse psychologique que révèle son dernier message, dont les termes montrent sans ambiguïté le lien direct entre la révélation subite des événements le concernant et sa décision de mettre fin à ses jours.

12. Les juges en déduisent qu'il apparaît donc que MM. [A] et [P], agissant pour le compte de l'association [3], ont commis des négligences et omissions qu'ils avaient le pouvoir d'éviter grâce à des diligences plus judicieuses, et que même s'il n'est pas établi que ces fautes ont été la cause exclusive ou même déterminante du suicide de [U] [G], il est néanmoins avéré qu'elles ont concouru de façon certaine à son décès.

13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, tenue de rechercher l'existence d'une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, l'autorité de la chose jugée ne s'attachant à aucune des dispositions civiles du jugement entrepris, a sans excéder sa saisine et par des motifs dénués de caractère hypothétique procédant de son appréciation souveraine, justifié de la violation de l'obligation qui incombait aux responsables de l'association [3] d'informer sans délai les responsables légaux de [U] [G], telle que visée à la prévention, ainsi que du lien de causalité direct entre les conséquences de cette violation et le suicide du jeune homme.

14. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que l'association [2] devra payer aux consorts [G] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux février deux mille vingt-deux.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-81183
Date de la décision : 22/02/2022
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 08 janvier 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 fév. 2022, pourvoi n°21-81183


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2022:21.81183
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