LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 février 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 189 F-D
Pourvoi n° C 20-19.356
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 FÉVRIER 2022
1°/ M. [J] [E],
2°/ Mme [L] [H], épouse [E],
3°/ Mme [U] [E],
4°/ M. [G] [E],
tous quatre domiciliés [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° C 20-19.356 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [F] [O], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la société MMA Iard assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [J] [E], Mme [L] [H], épouse [E], Mme [U] [E] et M. [G] [E], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O] et de la société MMA Iard assurances mutuelles, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [L] [E], Mme [U] [E] et M. [G] [E] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [O], la société MMA Iard assurances mutuelles et la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 juin 2020), le 30 septembre 2009, M. [E] a été victime d'un accident de la circulation alors que, circulant à vélo, il a été heurté par le véhicule conduit par Mme [O], assuré auprès de la société MMA Iard assurances mutuelles (la société MMA).
3. Les 10 et 19 décembre 2012, M. [E] a assigné Mme [O] et son assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, en réparation de son préjudice corporel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
4. M. [E] fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 383 097,06 euros son préjudice corporel fixé sur les postes de perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et assistance par tierce personne, de limiter à 383 097,06 euros l'indemnité lui revenant et de limiter à cette somme la condamnation de Mme [O], responsable de l'accident, et de la société MMA, assureur de celle-ci, provisions à déduire, alors :
« 1°/ qu'en énonçant que le retour de monsieur [C] [V], client de monsieur [E] agissant en qualité de courtier, sur sa décision de ne pas donner suite à son projet d'acquisition des intérêts détenus par les sociétés Le Touquet Syndicate Limited et International Golf et Leisure Limited dans un golf situé à Opio, ayant fait l'objet d'une convention du 18 février 2008 par laquelle la commission au profit des deux courtiers était fixée à 4 % – dont 75 % à revenir à M. [E] – sur une transaction évaluée à 35 millions d'euros, était « très improbable », la cour d'appel, qui a statué par un motif hypothétique, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en énonçant qu'il était « plausible » que l'échéance au 30 juin 2010 des accords conclus les 18 février 2008 et 12 juin 2008 permettait d'envisager une concrétisation différée du projet d'acquisition du golf d'Opio dans un environnement économique de nouveau stabilisé, mais qu'il n'était pas établi ni allégué qu'une fois la situation financière mondiale revenue à meilleure santé, M. [V] aurait concrétisé ce projet ultérieurement par l'entremise d'autres courtiers, la cour d'appel, qui a de nouveau statué par des motifs hypothétiques, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Sous couvert du grief non fondé de violation de l'article 455 du code de procédure civile, abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, critiqués en ses deux branches, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par la cour d'appel de la valeur et portée des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et dont elle a déduit que M. [E] ne démontrait pas l'existence d'un préjudice de perte de gains professionnels futurs.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
7. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que la perte d'une chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ; que la cour d'appel a constaté qu'au cours de la période comprise entre le mois de juin 2004 et le mois de septembre 2009, monsieur [E] avait oeuvré dans l'élaboration de projets d'acquisitions par monsieur [V] de terrains de golf et d'hôtels et sur un projet personnel de développement d'une structure similaire en Polynésie, d'où il suivait une probabilité raisonnable que monsieur [E] puisse percevoir des revenus de cette activité ; qu'il en résultait l'existence d'une perte de chance, que l'absence de réalisation de l'événement heureux concerné ne pouvait faire disparaître ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter toute réparation de ce chef, sur la circonstance que ledit événement heureux ne s'était finalement pas réalisé, la cour d'appel a violé les articles 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et 1240 du code civil ;
4°/ que doit faire l'objet d'une réparation la perte d'une chance d'exercer une activité professionnelle, dès lors que l'inaptitude de la victime à exercer sa profession ne préexistait pas à l'accident ; qu'en déboutant monsieur [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, sans constater que 'son inaptitude à exercer une profession aurait préexisté à l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
5°/ que doit faire l'objet d'une réparation la perte d'une chance d'exercer une activité professionnelle, dès lors que l'inaptitude de la victime à exercer sa profession ne préexistait pas à l'accident, peu important que cette dernière n'ait pas perçu de rémunération au titre d'une activité professionnelle au cours de la période précédant l'accident ; qu'en déboutant M. [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, par la considération, d'une part, que les projets auxquels M. [E] avait participé entre les mois de juin 2004 et septembre 2009 n'avaient pas abouti et qu'il ne justifiait d'aucune rémunération effective pendant cette période, d'autre part, qu'il n'apportait pas la preuve de projets professionnels rémunérateurs pour la période comprise entre le mois de juin 2010 et le 30 septembre 2012, date de la consolidation, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure une perte de chance de gains professionnels actuels, a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
6°/ que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; qu'en déboutant M. [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, après avoir constaté que ce dernier percevait avant l'accident des indemnités de l'assurance chômage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe susmentionné ;
7°/ qu'en déboutant de M. [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre des gains professionnels actuels, sans répondre au moyen clair et opérant par lequel celui-ci faisait valoir, preuves à l'appui, qu'il bénéficiait avec Pôle Emploi du dispositif de projet d'action personnalisé visant à la création d'une entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment motivé sa décision, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, sans encourir les griefs du moyen en ses quatrième et sixième branches, et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la cour d'appel, par une décision motivée, a estimé que M. [E] ne démontrait pas avoir perdu, du fait de l'accident, une chance de percevoir une rémunération entre la date de l'accident et la date de consolidation de ses blessures.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
10. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la victime n'est pas tenue de pas tenue de minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à indemnisation ; qu'en se déterminant, pour limiter à 20 % le pourcentage de perte de chance de la victime de retrouver un emploi à la mesure de celui qui était le sien jusqu'au mois de juin 2004, en considération du fait que M. [E] n'avait pas pris l'initiative d'occuper un emploi en relation avec sa formation de géomètre-expert spécialisé en matière d'urbanisme, donc en considération de ce que la victime n'avait pas agi pour minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à réparation, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
2°/ qu'en tout état de cause, qu'en affirmant que la victime aurait été en mesure d'occuper un emploi en relation avec sa formation de géomètre-expert foncier spécialisé en matière d'urbanisme, sans répondre aux conclusions opérantes par lesquelles M. [E] avait fait valoir que l'exercice d'une profession dans le secteur de l'immobilier impliquait des déplacements fréquents et supposait donc la conduite automobile, laquelle lui était désormais impossible du fait de l'accident, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. L'arrêt constate que l'expert a retenu la réalité d'une incidence professionnelle de l'accident sur l'exercice de la profession de M. [E] en indiquant qu'il n'est plus capable de l'exercer comme auparavant en raison des séquelles de son traumatisme crânien, et qu'il n'est pas inapte à toute profession et conserve une aptitude à s'intégrer dans des activités immobilières classiques territoriales.
12. L'arrêt relève que M. [E] est détenteur de plusieurs diplômes en urbanisme, construction et aménagement territorial et qu'il se présente comme géomètre expert foncier, sa profession antérieure à l'accident consistant à préparer l'investissement de capitaux étrangers importants sous la forme d'opérations immobilières de haut niveau, notamment sur la Côte d'Azur.
13. L'arrêt en déduit qu'il n'est pas sérieusement contestable que M. [E] dispose d'une capacité à s'intégrer dans un autre emploi et qu'il est à même d'occuper un emploi en relation avec sa formation de géomètre-expert foncier spécialisé en matière d'urbanisme et qu'il convient de fixer sa perte de chance de retrouver un emploi à la mesure de celui qui était le sien en juin 2004 à 20 %.
14. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, et qui n'a pas considéré que la victime devait minorer son préjudice, a fixé comme elle l'a fait le pourcentage de la perte de chance qu'elle retenait.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
16. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ qu'en appliquant, pour calculer l'incidence de la perte de gains professionnels sur les droits à la retraite de monsieur [E], un taux de remplacement de 50 % au revenu actualisé de ce dernier, sans expliquer ni justifier l'application d'un tel taux, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment motivé sa décision, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en retenant, au soutien du calcul de la perte de gains professionnels futurs de la victime, que l'âge prévisible de son accession à la retraite était de 62 ans, sans répondre aux conclusions par lesquelles monsieur [E] avait fait valoir que l'une des conséquences de l'accident avait été de ne pas lui permettre de se constituer le moindre droit à la retraite depuis l'âge de 51 ans et que l'âge auquel il pourrait prétendre à une retraite à taux plein s'était donc trouvé reporté à 67 ans, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
17. Sous couvert de griefs non fondés de violation de l'article 455 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation le pouvoir souverain d'appréciation par la cour d'appel de l'indemnité propre à réparer intégralement le poste de préjudice de pertes de gains professionnels futurs.
18. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
19. M. [E] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il lui est fait interdiction de statuer en équité sur la réparation du préjudice de la victime d'un accident ; qu'en retenant qu'il apparaissait « équitable » de fixer à trois heures par semaine le besoin en aide humaine correspondant à une assistance véhiculée de la victime, donc en se déterminant en équité en non en droit, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en fixant à trois heures hebdomadaires le besoin en aide humaine correspondant à une assistance véhiculée pour les trajets « de la vie quotidienne », sans répondre aux conclusions par lesquelles la victime faisait valoir qu'au-delà des strictes nécessités de la vie quotidienne, il fallait tenir compte des besoins de sa vie sociale, lesquels impliquaient aussi des déplacements rendant indispensable l'assistance d'une tierce personne dès l'instant que la conduite automobile était désormais impossible à la victime du fait de l'accident, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
20. Sous couvert de griefs non fondés de violation des articles 12 et 455 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve par la cour d'appel, qui motivant sa décision en se référant à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser et des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région, en a déduit, compte tenu des besoins de M. [E], que la durée d'assistance par une tierce personne, laquelle comprenait nécessairement les besoins de sa vie sociale, devait être fixée à trois heures hebdomadaires.
21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
22. M. [E] fait grief à l'arrêt de condamner la société MMA, assureur du responsable, au doublement des intérêts au taux légal seulement sur la somme de 32 769,34 euros et seulement du 1er juin 2010 au 9 septembre 2011, alors « que l'assureur est tenu de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne une offre d'indemnité qui comprend tous les éléments réparables du préjudice, dans le délai de huit mois à compter de l'accident et il incombe à l'assureur de requérir de la victime qu'elle lui fournisse l'ensemble des renseignements nécessaires à la présentation d'une telle offre ; qu'en retenant que l'offre faite par l'assureur le 9 septembre 2011 était complète, en dépit de l'absence de proposition chiffrée s'agissant du poste portant sur la perte de gains professionnels actuels, motif pris de ce que monsieur [E] n'avait pas envoyé à l'assureur les pièces permettant à l'assureur de faire une telle proposition, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l'assureur avait effectivement requis de monsieur [E] la communication de renseignements relatifs à sa situation professionnelle et à ses revenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9, L. 211-13 et R. 211-32 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 211-9 et R. 111-37, 5°, du code des assurances :
23. Il résulte du premier de ces textes qu'une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint. L'offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable.
24. Selon le second, la victime est tenue, à la demande de l'assureur, de lui transmettre le montant de ses revenus professionnels avec les justifications utiles.
25. Pour retenir le caractère suffisant et complet de l'offre d'indemnisation faite par l'assureur et condamner la société MMA au doublement du taux de l'intérêt légal sur la somme de 32 769,34 euros du 1er juin 2010 au 9 septembre 2011, l'arrêt énonce que la lecture de la proposition d'indemnisation formulée le 9 septembre 2011 démontre qu'elle contient chacun des postes retenus par l'expert, le poste de perte de gains professionnels actuels, qui est mentionné pour mémoire, n'ayant pas donné lieu de la part de M. [E] à l'envoi de pièces permettant à l'assureur de faire une proposition chiffrée adaptée, et que les montants contenus dans cette offre ne sont pas manifestement insuffisants.
26. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'assureur avait effectivement sollicité auprès de M. [E] la communication de renseignements relatifs à sa situation professionnelle et à ses revenus en vue de l'indemnisation du poste de préjudice de pertes de gains professionnels actuels, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société MMA Iard assurances mutuelles au doublement des intérêts au taux légal sur la somme de 32 769,34 euros du 1er juin 2010 au 9 septembre 2011, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société MMA Iard assurances mutuelles et Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA Iard assurances mutuelles et Mme [O] et les condamne à payer à M. [J] [E] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. [J] [E]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(perte de gains professionnels actuels)
Monsieur [E], victime d'un accident de la circulation, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 383 097,06 euros son préjudice corporel fixé sur les postes de perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et assistance par tierce personne, d'avoir limité à 383 097,06 euros l'indemnité revenant à la victime et d'avoir limité à cette somme la condamnation de madame [O], responsable de l'accident, et de la société MMA, assureur de celle-ci, envers monsieur [E], provisions à déduire ;
1) Alors qu'en énonçant que le retour de monsieur [C] [V], client de monsieur [E] agissant en qualité de courtier, sur sa décision de ne pas donner suite à son projet d'acquisition des intérêts détenus par les sociétés Le Touquet Syndicate Limited et International Golf et Leisure Limited dans un golf situé à Opio, ayant fait l'objet d'une convention du 18 février 2008 par laquelle la commission au profit des deux courtiers était fixée à 4 % – dont 75 % à revenir à monsieur [E] – sur une transaction évaluée à 35 millions d'euros, était « très improbable » (arrêt, p. 19, § 1), la cour d'appel, qui a statué par un motif hypothétique, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2) Alors qu'en énonçant qu'il était « plausible » que l'échéance au 30 juin 2010 des accords conclus les 18 février 2008 et 12 juin 2008 permettait d'envisager une concrétisation différée du projet d'acquisition du golf d'Opio dans un environnement économique de nouveau stabilisé, mais qu'il n'était pas établi ni allégué qu'une fois la situation financière mondiale revenue à meilleure santé, monsieur [V] aurait concrétisé ce projet ultérieurement par l'entremise d'autres courtiers (arrêt, p. 19, § 2), la cour d'appel, qui a de nouveau statué par des motifs hypothétiques, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3) Alors que la perte d'une chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ; que la cour d'appel a constaté qu'au cours de la période comprise entre le mois de juin 2004 et le mois de septembre 2009, monsieur [E] avait oeuvré dans l'élaboration de projets d'acquisitions par monsieur [V] de terrains de golf et d'hôtels et sur un projet personnel de développement d'une structure similaire en Polynésie, d'où il suivait une probabilité raisonnable que monsieur [E] puisse percevoir des revenus de cette activité ; qu'il en résultait l'existence d'une perte de chance, que l'absence de réalisation de l'évènement heureux concerné ne pouvait faire disparaître ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter toute réparation de ce chef, sur la circonstance que ledit évènement heureux ne s'était finalement pas réalisé (arrêt, p. 19, § 4), la cour d'appel a violé les articles 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et 1240 du code civil ;
4) Alors que doit faire l'objet d'une réparation la perte d'une chance d'exercer une activité professionnelle, dès lors que l'inaptitude de la victime à exercer sa profession ne préexistait pas à l'accident ; qu'en déboutant monsieur [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, sans constater que 'son inaptitude à exercer une profession aurait préexisté à l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
5) Alors que doit faire l'objet d'une réparation la perte d'une chance d'exercer une activité professionnelle, dès lors que l'inaptitude de la victime à exercer sa profession ne préexistait pas à l'accident, peu important que cette dernière n'ait pas perçu de rémunération au titre d'une activité professionnelle au cours de la période précédant l'accident ; qu'en déboutant monsieur [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, par la considération, d'une part, que les projets auxquels monsieur [E] avait participé entre les mois de juin 2004 et septembre 2009 n'avaient pas abouti et qu'il ne justifiait d'aucune rémunération effective pendant cette période (arrêt, p. 19, § 4), d'autre part, qu'il n'apportait pas la preuve de projets professionnels rémunérateurs pour la période comprise entre le mois de juin 2010 et le 30 septembre 2012, date de la consolidation (ibid.), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure une perte de chance de gains professionnels actuels, a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
6) Alors que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit pour la victime ; qu'en déboutant monsieur [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels actuels, après avoir constaté que ce dernier percevait avant l'accident des indemnités de l'assurance chômage (arrêt, p. 17, § 4), la cour d'appel, qui pas tiré conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe susmentionné ;
7) Alors qu'en déboutant de monsieur [E] de sa demande en réparation de son préjudice au titre des gains professionnels actuels, sans répondre au moyen clair et opérant par lequel celui-ci faisait valoir (conclusions, pp. 64 et 65 et p. 69), preuves à l'appui, qu'il bénéficiait avec Pôle Emploi du dispositif de projet d'action personnalisé visant à la création d'une entreprise, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment motivé sa décision, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
(perte de gains professionnels futurs)
Monsieur [E], victime d'un accident de la circulation, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 383 097,06 euros le préjudice corporel fixé sur les postes de perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et assistance par tierce personne, d'avoir limité à 383 097,06 euros l'indemnité revenant à la victime et d'avoir limité à cette somme la condamnation de madame [O], responsable de l'accident, et de la société MMA, assureur de celle-ci, ont envers monsieur [E], provisions à déduire ;
1) Alors que la victime n'est pas tenue de pas tenue de minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à indemnisation ; qu'en se déterminant, pour limiter à 20 % le pourcentage de perte de chance de la victime de retrouver un emploi à la mesure de celui qui était le sien jusqu'au mois de juin 2004, en considération du fait que monsieur [E] n'avait pas pris l'initiative d'occuper un emploi en relation avec sa formation de géomètre-expert spécialisé en matière d'urbanisme (arrêt, p. 20, § 4), donc en considération de ce que la victime n'avait pas agi pour minimiser son préjudice au profit de la personne tenue à réparation, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
2) Alors, en tout état de cause, qu'en affirmant que la victime aurait été en mesure d'occuper un emploi en relation avec sa formation de géomètre-expert foncier spécialisé en matière d'urbanisme (arrêt, p. 20, § 4), sans répondre aux conclusions opérantes (not. pp. 39, 54, 59, 60 et 62) par lesquelles monsieur [E] avait fait valoir que l'exercice d'une profession dans le secteur de l'immobilier impliquait des déplacements fréquents et supposait donc la conduite automobile, laquelle lui était désormais impossible du fait de l'accident, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3) Alors qu'en appliquant, pour calculer l'incidence de la perte de gains professionnels sur les droits à la retraite de monsieur [E], un taux de remplacement de 50 % au revenu actualisé de ce dernier (arrêt, p. 21, § 4), sans expliquer ni justifier l'application d'un tel taux, la cour d'appel, qui n'a pas suffisamment motivé sa décision, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4) Alors qu'en retenant, au soutien du calcul de la perte de gains professionnels futurs de la victime, que l'âge prévisible de son accession à la retraite était de 62 ans (arrêt, p. 21, § 3), sans répondre aux conclusions (p. 87, §§ 4 à 6) par lesquelles monsieur [E] avait fait valoir que l'une des conséquences de l'accident avait été de ne pas lui permettre de se constituer le moindre droit à la retraite depuis l'âge de 51 ans et que l'âge auquel il pourrait prétendre à une retraite à taux plein s'était donc trouvé reporté à 67 ans, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
(assistance par tierce personne)
Monsieur [E], victime d'un accident de la circulation, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité à la somme de 383 097,06 euros le préjudice corporel fixé sur les postes de perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et assistance par tierce personne, d'avoir limité à 383 097,06 euros l'indemnité revenant à la victime et d'avoir limité à cette somme la condamnation de madame [O], responsable de l'accident, et de la société MMA, assureur de celle-ci, ont envers monsieur [E], provisions à déduire ;
1) Alors que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et il lui est fait interdiction de statuer en équité sur la réparation du préjudice de la victime d'un accident ; qu'en retenant qu'il apparaissait « équitable » de fixer à trois heures par semaine le besoin en aide humaine correspondant à une assistance véhiculée de la victime (arrêt, p. 22, § 2), donc en se déterminant en équité en non en droit, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
2) Alors qu'en fixant à trois heures hebdomadaires le besoin en aide humaine correspondant à une assistance véhiculée pour les trajets « de la vie quotidienne » (arrêt, p. 22, § 2), sans répondre aux conclusions (pp. 100 à 107) par lesquelles la victime faisait valoir qu'au-delà des strictes nécessités de la vie quotidienne, il fallait tenir compte des besoins de sa vie sociale, lesquels impliquaient aussi des déplacements rendant indispensable l'assistance d'une tierce personne dès l'instant que la conduite automobile était désormais impossible à la victime du fait de l'accident, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(doublement des intérêts au taux légal)
Monsieur [E], victime d'un accident de la circulation, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société MMA, assureur du responsable, au doublement des intérêts au taux légal seulement sur la somme de 32 769,34 euros et seulement du 1er juin 2010 au 9 septembre 2011 ;
1) Alors que l'assureur est tenu de présenter à la victime qui a subi une atteinte à sa personne une offre d'indemnité qui comprend tous les éléments réparables du préjudice, dans le délai de huit mois à compter de l'accident et il incombe à l'assureur de requérir de la victime qu'elle lui fournisse l'ensemble des renseignements nécessaires à la présentation d'une telle offre ; qu'en retenant que l'offre faite par l'assureur le 9 septembre 2011 était complète, en dépit de l'absence de proposition chiffrée s'agissant du poste portant sur la perte de gains professionnels actuels, motif pris de ce que monsieur [E] n'avait pas envoyé à l'assureur les pièces permettant à l'assureur de faire une telle proposition (arrêt, p. 24, § 6), sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (conclusions, p. 110 et pp. 112-113), si l'assureur avait effectivement requis de monsieur [E] la communication de renseignements relatifs à sa situation professionnelle et à ses revenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9, L. 211-13 et R. 211-32 du code des assurances ;
2) Alors que l'assureur est tenu, dans le délai de huit mois à compter de l'accident, de présenter, à la victime ayant subi une atteinte à sa personne, une offre d'indemnité qui comprend tous les éléments réparables du préjudice et n'est pas manifestement insuffisante ; que la caractère suffisant de l'offre doit être apprécié par le juge, la loi ne fixant aucun seuil à cet égard ; qu'en retenant néanmoins (arrêt, p. 24, § 5) qu'une offre ne pourrait être déclarée manifestement insuffisante que si elle représente moins du tiers des montants judiciairement alloués, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances, par fausse interprétation ;
3) Alors qu'à supposer que seule offre représentant moins du tiers des montants alloués puisse être regardée comme manifestement insuffisante, la cour d'appel, qui a considéré comme suffisante l'offre faite par l'assureur le 9 septembre 2011 (arrêt, p. 24, § 6), dont il était pourtant constaté qu'elle était d'un montant de 31 474,20 euros (arrêt, p. 24, § 9), bien inférieur au tiers de la somme de 383 097,06 euros allouée au titre du préjudice sur les postes encore en litige en cause d'appel (arrêt, p. 22, § 4), n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances.