LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 février 2022
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 74 F-D
Pourvoi n° M 20-19.157
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 FÉVRIER 2022
M. [J] [I], domicilié [Adresse 5], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société New Lexel Cosmetics, a formé le pourvoi n° M 20-19.157 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2020 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ au responsable du pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4], comptable public, agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques des [Localité 4] et du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société New Lexel Cosmetics, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à M. [P] [T], domicilié [Adresse 3], pris en qualité d'administrateur judiciaire et de mandataire ad hoc de la société New Lexel Cosmetics,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. [I], ès qualités, de la SCP Foussard et Froger, avocat du responsable du pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4], comptable public, agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques des [Localité 4] et du directeur général des finances publiques, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 23 juin 2020), la société New Lexel Cosmetics a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 12 février 2018, publié le 23 février suivant. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 29 juin 2018, M. [I] étant désigné en qualité de liquidateur.
2. Après avoir, le 27 mars 2018, déclaré à titre provisionnel une créance d'un montant de 1 465 206 euros correspondant à une estimation de la TVA et de la cotisation foncière des entreprises due pour la période du 10 septembre 2010 au 31 décembre 2018, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4] (le comptable public) a, le 3 août suivant, saisi le juge-commissaire d'une demande de relevé de la forclusion pour la déclaration d'une créance de 12 867 323 euros résultant de deux propositions de rectification en date des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017 émanant de la direction spécialisée de contrôle fiscal sud Pyrénées, relatives, l'une à des rappels de TVA et d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2013, l'autre à des rappels de TVA et d'impôt sur les sociétés des années 2014, 2015 et 2016 (jusqu'au 31 mai 2016).
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de relever le comptable public de la forclusion encourue et de l'autoriser à déclarer la créance fiscale née des propositions de rectification, alors « que le relevé de forclusion du créancier suppose une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste des créanciers ; que l'article R. 622-5 du Code de commerce précise que "la liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie" ; qu'il résulte de ce texte que le débiteur ne doit indiquer sur cette liste que les créanciers dont les créances sont certaines et liquides, exigibles ou à échoir ; qu'il n'est en conséquence pas tenu d'indiquer les créances qui ne sont pas certaines ou liquides ; que l'article R*61 A-1 du Livre des procédures fiscales prévoit que le montant de l'impôt exigible à la suite d'une procédure de rectification est calculé sur la base acceptée par le contribuable si celui-ci a donné son accord dans le délai prescrit ou s'il a présenté dans ce même délai des observations qui ont été reconnues fondées, et donne lieu à l'établissement d'un rôle ou à l'émission d'un avis de mise en recouvrement ; qu'en conséquence, tant que la procédure de rectification est en cours, le montant de l'impôt ne peut être calculé et la créance de l'administration fiscale n'est alors pas encore liquide ; qu'en l'espèce, il résultait des pièces de la procédure que les procédures de rectification engagées par l'administration fiscale à l'encontre de la société New Lexel Cosmetics étaient en cours au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, la première ayant répondu aux observations formulées par la seconde à la suite des propositions de rectification des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017, respectivement les 28 septembre et 11 juillet 2018, soit postérieurement au redressement judiciaire intervenu par jugement du 12 février 2018 ; que le montant de l'impôt exigible à la suite de ces procédures de rectification ne pouvant être calculé antérieurement à ces dates, la créance de l'administration fiscale n'était pas liquide à la date du jugement d'ouverture de la procédure et n'avait donc pas à figurer sur la liste prévue à l'article L. 622-6 du code de commerce ; qu'en retenant cependant, pour relever de sa forclusion le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4], que la société New Lexel Cosmetics avait omis de faire figurer cette créance sur ladite liste, la Cour d'appel a violé les articles L. 622-26, L. 622-6 et R. 622-5 du Code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article L. 622-26 du code de commerce que le créancier qui n'a pas déclaré sa créance dans le délai légal peut demander à être relevé de la forclusion qu'il a encourue, en faisant valoir notamment que le débiteur a omis de mentionner cette créance lors de l'établissement de la liste prévue par l'article L. 622-6 du même code. Ce dernier texte, ainsi que l'article R. 622-5 qui le complète, impose au débiteur de remettre à l'administrateur et au mandataire judiciaire une liste qui comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Ce dernier texte ne distinguant pas entre les créances certaines et exigibles ou non, rend obligatoire pour le débiteur l'information sur toute créance, serait-elle incertaine dans son montant.
6. Après avoir relevé que les propositions de rectification des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017 ne pouvaient être ignorées de la société débitrice, son dirigeant y ayant répondu les 27 décembre 2016 et 4 janvier 2018, avant l'ouverture de la procédure collective le 12 février 2018, l'arrêt relève aussi que les créances objets de ces propositions n'avaient donné lieu à aucune information par le débiteur au mandataire judiciaire. De ces seules constatations la cour d'appel a exactement déduit que le débiteur avait omis de mentionner sur sa liste des créances qui devaient l'être.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [I], en qualité de liquidateur de la société New Lexel Cosmetics aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le liquidateur.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour M. [I], agissant en qualité de liquidateur de la société New Lexel Cosmetics.
Me [I] ès-qualités fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir réformé l'ordonnance rendue le 2 avril 2019 par le juge-commissaire chargé de la procédure collective de la société New Lexel Cosmetics et en conséquence autorisé le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4] à déclarer la créance fiscale née des deux propositions de rectification en date des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017 émanant de la Direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Pyrénées, entre les mains de Me [I] ès-qualités, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt ;
1°/ ALORS QUE le relevé de forclusion prévu à l'article L. 622-26 du Code de commerce n'a vocation à jouer qu'en cas de défaillance du créancier qui n'a pu déclarer sa créance dans les délais prévus ; qu'il ne peut en revanche être invoqué par le créancier qui a procédé à une déclaration provisionnelle régulière de sa créance dans les délais, mais a mal évalué le montant de celle-ci, ce créancier n'étant pas défaillant au sens du texte ; qu'en l'espèce, ainsi que la Cour d'appel l'a elle-même constaté, le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des Alpes Maritimes a valablement produit au passif de la société New Lexel Cosmetics une créance fiscale d'un montant provisionnel de 1.465.206 euros par déclaration du 27 mars 2018, reçue le 3 avril suivant par Me [I], ès-qualités ; que la déclaration régulière de cette créance provisionnelle interdisait au comptable de se prétendre défaillant et d'invoquer un éventuel relevé de forclusion pour pallier l'évaluation erronée de sa créance ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une « défaillance du comptable du pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4] à déclarer la créance » liée aux deux propositions de rectification des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017 émanant de la Direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Pyrénées, susceptible de donner lieu à un relevé de forclusion, cependant que la déclaration de créance régulièrement effectuée le 27 mars 2018 interdisait de considérer le comptable public comme défaillant, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 622-26 du Code de commerce ;
2°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE si un créancier peut en principe être relevé de sa forclusion s'il établit que sa défaillance n'est pas due à son fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste des créanciers, il en va cependant autrement pour le créancier qui serait défaillant pour n'avoir déclaré qu'une partie de sa créance, celui-ci ne pouvant par définition prétendre que sa défaillance serait due à une omission du débiteur, laquelle n'a en aucune manière fait obstacle à la déclaration de la créance ; qu'il ne peut en conséquence être admis à établir, pour justifier le relevé de sa forclusion, que l'existence d'une défaillance qui ne serait pas due à son propre fait ; qu'en retenant en l'espèce que la défaillance du comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4] n'était pas sans lien avec l'omission de son nom et de sa créance sur la liste des créanciers, cependant que l'existence d'une déclaration régulière d'une partie de sa créance lui interdisait d'invoquer un relevé de forclusion en raison d'une omission imputable au débiteur, laquelle n'avait en toute hypothèse pas fait obstacle à la déclaration de sa créance, la Cour d'appel a derechef violé l'article L. 622-26 du Code de commerce ;
3°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE, en toute hypothèse, le relevé de forclusion du créancier suppose une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste des créanciers ; que l'article R. 622-5 du Code de commerce précise que « la liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie » ; qu'il résulte de ce texte que le débiteur ne doit indiquer sur cette liste que les créanciers dont les créances sont certaines et liquides, exigibles ou à échoir ; qu'il n'est en conséquence pas tenu d'indiquer les créances qui ne sont pas certaines ou liquides ; que l'article R*61 A-1 du Livre des procédures fiscales prévoit que le montant de l'impôt exigible à la suite d'une procédure de rectification est calculé sur la base acceptée par le contribuable si celui-ci a donné son accord dans le délai prescrit ou s'il a présenté dans ce même délai des observations qui ont été reconnues fondées, et donne lieu à l'établissement d'un rôle ou à l'émission d'un avis de mise en recouvrement ; qu'en conséquence, tant que la procédure de rectification est en cours, le montant de l'impôt ne peut être calculé et la créance de l'administration fiscale n'est alors pas encore liquide ; qu'en l'espèce, il résultait des pièces de la procédure que les procédures de rectification engagées par l'administration fiscale à l'encontre de la société New Lexel Cosmetics étaient en cours au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective, la première ayant répondu aux observations formulées par la seconde à la suite des propositions de rectification des 26 décembre 2016 et 20 décembre 2017, respectivement les 28 septembre et 11 juillet 2018, soit postérieurement au redressement judiciaire intervenu par jugement du 12 février 2018 ; que le montant de l'impôt exigible à la suite de ces procédures de rectification ne pouvant être calculé antérieurement à ces dates, la créance de l'administration fiscale n'était pas liquide à la date du jugement d'ouverture de la procédure et n'avait donc pas à figurer sur la liste prévue à l'article L. 622-6 du Code de commerce ; qu'en retenant cependant, pour relever de sa forclusion le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé des [Localité 4], que la société New Lexel Cosmetics avait omis de faire figurer cette créance sur ladite liste, la Cour d'appel a violé les articles L. 622-26, L. 622-6 et R. 622-5 du Code de commerce.