LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 janvier 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 119 F-D
Pourvoi n° Q 20-16.285
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 JANVIER 2022
M. [S] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-16.285 contre l'arrêt n° RG : 19/02570 rendu le 19 mars 2020 par la cour d'appel d'Amiens (2e chambre de la protection sociale), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [D], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 décembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 19 mars 2020), M. [D] (la victime) a effectué le 7 avril 2017 une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial.
2. La caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3] (la caisse) ayant refusé de prendre en charge cette affection au titre du tableau n° 98 des maladies professionnelles, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'un recours.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 141-1 et R. 142-17-1 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue respectivement de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et du décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, applicable au litige :
5. Selon le second de ces textes, lorsque le litige fait apparaître en cours d'instance une difficulté d'ordre médical relative à l'état de l'assuré ou du bénéficiaire ou de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, la juridiction ne peut statuer qu'après mise en oeuvre de la procédure d'expertise médicale prévue au premier.
6. Pour rejeter le recours formé par la victime, l'arrêt retient que le certificat médical initial mentionne une lombalgie droite irradiant dans la fesse droite ainsi qu'une hernie discale L3-L4 et L5-S1, mise en évidence par une IRM, que lors du colloque administratif, le médecin-conseil a considéré que l'assuré ne présentait pas de hernie discale conflictuelle en L3-L4, ni en L5-S1 et que la victime ne produit aucune pièce permettant de remettre en cause les constatations du médecin-conseil.
7. L'arrêt ajoute que l'IRM lombaire réalisée le 12 décembre 2016 a mis en évidence une petite hernie discale sous ligamentaire médiane L2-L3 non conflictuelle ainsi qu'une discopathie légèrement protusive en L4-L5 non conflictuelle, qu'un rhumatologue a relevé, le 3 février 2017, une petite protusion discale aux étages L4-L5, L2-L3, et que la présence d'une hernie discale conflictuelle n'est mentionnée dans aucun de ces documents.
8. En statuant ainsi, alors que la solution du litige dont elle était saisie dépendait de l'appréciation de l'état de la victime au regard des conditions de désignation de la maladie par le tableau n° 98, de sorte qu'il existait une difficulté d'ordre médical qui ne pouvait être tranchée qu'après mise en oeuvre d'une expertise médicale technique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare les demandes de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, du syndrome anxio-dépressif et de la lombalgie avec hernie discale en L2-L3, irrecevables, l'arrêt rendu le 19 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3] et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [D]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes de M. [D] tendant à la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, du syndrome anxio-dépressif et de la lombalgie avec hernie discale en L2-L3 ;
AUX MOTIFS QUE l'article 561 du code de procédure civile dispose que : « l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit dans les conditions et limites déterminées aux livres premier et deuxième du présent code » ; que l'article 564 du même code prévoit qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. [D] a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3] plusieurs demandes de reconnaissance d'accident du travail maladies professionnelles : - maladie professionnelle du 28 décembre 2016 : lombalgie droite avec hernie discale L3-L4 ; - maladie professionnelle du 28 décembre 2016 : lombalgie droite avec hernie discale L5-S1 ; - accident du travail du 8 juin 2016 ; - maladie professionnelle du 10 avril 2017 : syndrome anxio-dépressif ; - maladie professionnelle du 12 décembre 2017 : lombalgie avec hernie discale en L2-L3 ; que le tribunal a valablement été saisi le 13 décembre 2017 d'une contestation à l'encontre des décisions rendues par la commission de recours amiable de la caisse le 22 novembre 2017 confirmant le refus de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, des hernies discales L3-L4 L5-S1 déclarées le 28 décembre 2016 ; que les refus de prise en charge du syndrome anxio-dépressif et de la lombalgie avec hernie discale L2-L3 n'ont pas été soumis au tribunal, ni même avant lui, à la commission de recours amiable ; que la cour n'est donc saisie que du litige relatif au refus de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels des hernies discales L3-L4 L5-S1 déclarées le 28 décembre 2016 ; qu'il convient, dans ces conditions, de déclarer les demandes de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, du syndrome anxio-dépressif et de la lombalgie avec hernie discale en L2-L3, irrecevables ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les pièces de la procédure ; qu'en affirmant que « les refus de prise en charge du syndrome anxio-dépressif et de la lombalgie avec hernie discale L2-L3 n'ont pas été soumis au tribunal » (arrêt attaqué, p. 4, alinéa 5), cependant que le jugement rendu le 21 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Beauvais énonce que « si Monsieur [D] a mentionné la dépression aux termes de sa déclaration de maladie professionnelle, la caisse n'en a pas été saisie en l'absence de certificat médical en attestant » (p. 2, alinéa 7), ce dont il se déduit que la question de la prise en charge du syndrome dépressif présenté par M. [D] avait bien été soumise au premier juge, qui s'était prononcé sur cette question, la cour d'appel a violé le principe ci-dessus rappelé, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tous les points du litige soumis au tribunal sont déférés à la connaissance de la cour d'appel, à laquelle il revient de statuer à nouveau ; que dès lors que le tribunal de grande instance de Beauvais s'était prononcé sur la question du syndrome dépressif présenté par M. [D], en considérant que cette maladie ne pouvait être prise en charge au titre de la législation professionnelle en raison d'une absence de certificat médical joint à la déclaration initiale (jugement entrepris, p. 2, alinéa 7), la cour d'appel d'Amiens devait, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, statuer sur cette question ; qu'en déclarant pourtant irrecevable la demande de M. [D] tendant à la prise en charge de son syndrome dépressif au titre de la législation sur les risques professionnels, la cour d'appel a méconnu le principe de l'effet dévolutif de l'appel et a violé l'article 561 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [S] [D] de son recours et d'avoir dit que la caisse primaire d'assurance maladie de l'[Localité 3] avait refusé à bon droit la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par certificat médical du 28 décembre 2016 ;
AUX MOTIFS QU' aux termes de l'article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions prévues à ce tableau ; que selon l'article L. 461-2, alinéa 3, du même code, des tableaux annexés aux décrets déterminent des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières nécessitées par l'exécution des travaux limitativement énumérées ; que le tableau nº 98 des maladies professionnelles, relatif aux affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelles de charges lourdes, subordonne la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 ou de la radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante dans les deux cas ; que le tableau exige la présence d'une hernie discale et d'un tableau clinique de sciatique ou de radiculalgie crurale avec atteinte radiculaire de topographie concordante, c'est-à-dire une concordance topographique entre le disque, siège de la hernie, et la racine atteinte ; qu'en l'espèce, le certificat médical initial établi le 28 décembre 2016 mentionne une lombalgie droite irradiant dans la fesse droite ainsi qu'une hernie discale L3-L4 et L5-S1, mise en évidence par une IRM ; que lors du colloque médico-administratif en date du 4 juillet 2017, le médecin conseil a considéré que l'assuré ne présentait pas de hernie discale conflictuelle en L3-L4, ni en L5-S1, d'où les décisions de refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle en date du 3 août 2017 ; que M. [D] ne produit aucune pièce permettant de remettre en cause les constatations du médecin conseil ; que la cour constate que l'IRM lombaire réalisée le 12 décembre 2016 a mis en évidence une petite hernie discale sous ligamentaire médiane L2-L3 non conflictuelle ainsi qu'une discopathie légèrement protusive en L4-L5 non conflictuelle ; que le docteur [O], rhumatologue, a relevé, le 3 février 2017, une petite protusion discale aux étages L4-L5 L2-L3 ; que comme l'a relevé à juste titre le tribunal, la présence d'une hernie discale conflictuelle au moment de la déclaration de maladie professionnelle n'est mentionnée dans aucun de ces documents ; qu'il ne peut être tenu compte d'éléments postérieurs au 28 décembre 2016, la condition devant s'apprécier à la date de déclaration de la maladie ;
ALORS, D'UNE PART, QUE constitue une difficulté d'ordre médical relative à l'état de la victime d'une maladie professionnelle qui ne peut être tranchée qu'après mise en oeuvre de la procédure d'expertise médicale technique la question de savoir si la pathologie présentée par l'assuré constitue la maladie désignée par le tableau au titre duquel la demande de reconnaissance de son caractère professionnel est formée ; qu'ayant constaté que le certificat médical initial faisait état d'une « lombalgie droite irradiant dans la fesse droite ainsi qu'une hernie discale L3-L4 et L5-S1, mise en évidence par une IRM » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 3) et que le tableau nº 98 des maladies professionnelles désignait les mêmes affections chroniques du rachis lombaire, sciatique par hernie discale L4-L5 avec atteinte radiculaire de topographie concordante et radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5 avec atteinte radiculaire de topographie concordante (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 1er), la cour d'appel qui a examiné les divers certificats médicaux produits par M. [D] pour en déduire qu'ils ne rendaient pas compte de maladies correspondant à celles visées par ces tableaux, a tranché la difficulté d'ordre médical relative à l'état de la victime dont dépendait la solution du litige et a violé ce faisant l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en tout état de cause, le tableau nº 98 des maladies professionnelles vise la « radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5 avec atteinte radiculaire de topographie concordante » ; qu'en constatant que l'IRM lombaire produit aux débats faisait apparaître une « hernie discale sous ligamentaire médiane L2-L3 », puis en énonçant que cette affection ne pouvait être retenue au titre de la législation professionnelle au motif que cette hernie discale était « petite » et « non conflictuelle » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 6), la cour d'appel, qui a fait application de critères d'exclusion non visés par le texte, a violé l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et le tableau nº 98 des maladies professionnelles.