LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
DB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 janvier 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 17 F-D
Pourvoi n° U 21-10.497
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JANVIER 2022
1°/ la société [N] bâtisseurs, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par son président en exercice, M. [D] [N],
2°/ la société MLTP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], représentée par la société [Y], en la personne de M. [P] [Y], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société MLTP,
ont formé le pourvoi n° U 21-10.497 contre l'arrêt rendu le 5 janvier 2021 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige les opposant à M. [Z] [T], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société [N] bâtisseurs, et de la société MLTP, ès qualités, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 16 novembre 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 janvier 2021) et les productions, M. [T], gérant de la SARL Ocean Drive, a été assigné le 29 mai 2018 par les sociétés [N] bâtisseurs et MLTP en responsabilité au titre d'une faute détachable de ses fonctions de dirigeant. La société Ocean Drive a été mise redressement puis liquidation judiciaires les 20 novembre 2018 et 14 mai 2019. La société MLTP a été mise en liquidation judiciaire le 28 avril 2020, la société [Y] étant désignée liquidateur. Les sociétés [N] bâtisseurs et MLTP ont déclaré leurs créances au passif de la procédure de la société Ocean Drive.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. La société [N] bâtisseurs et la société [Y], en qualité de liquidateur de la société MLTP, font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action en responsabilité personnelle formée contre M. [T] au titre des fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean Drive, alors « que les causes d'irrecevabilité d'une action s'apprécient au jour de l'introduction de la demande ; que lorsqu'une société fait l'objet d'une procédure collective, l'action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant de cette société suppose la démonstration d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers de la société ; qu'une telle condition n'est pas requise pour une action introduite avant le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société ; qu'en considérant qu'il appartenait aux exposantes "de faire la démonstration d'un préjudice strictement personnel, distinct de celui qui est subi par la collectivité des créanciers" pour déclarer leur demande irrecevable, quand il est constant qu'au 29 mai 2018, jour d'introduction de l'instance, la société Ocean Drive ne faisait l'objet d'aucune procédure collective, la cour d'appel a violé les articles L.622-20 et L. 223-22 alinéa 1 du code de commerce, ensemble les articles 31 et 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 31 et 32 du code de procédure civile et L. 622-20 du code de commerce :
3. Il résulte de ces textes que l'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'appréciant au jour de l'introduction de la demande en justice, la recevabilité de la demande du créancier tendant à voir engager la responsabilité personnelle du dirigeant et introduite avant l'ouverture de la procédure collective de la société que ce dernier dirige n'est pas soumise à la justification par le demandeur d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers.
4. Pour déclarer irrecevable l'action des sociétés [N] bâtisseurs et [Y], celle-ci en qualité de liquidateur de la société MLTP, tendant à engager la responsabilité personnelle de M. [T] au titre de fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean Drive, l'arrêt retient que les intimés ne se prévalent pas d'un préjudice différent du défaut de paiement de leur créance, par ailleurs fixée au passif de la procédure collective de la société Ocean Drive, de sorte qu'ils n'établissent pas l'existence d'un préjudice personnel distinct de celui de la collectivité des créanciers.
5. En statuant ainsi, alors que M. [T] avait été assigné en responsabilité personnelle dès le 29 mai 2018, soit antérieurement à l'ouverture, le 20 novembre 2018, de la procédure collective de la société qu'il dirigeait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déclare irrecevable l'action de la société [N] bâtisseurs et la société [Y], en qualité de liquidateur de la société MLTP, en responsabilité personnelle de M. [T] au titre des fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean Drive, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et fait masse des dépens de première instance et d'appel qu'il partage par moitié, la moitié étant supportée par la société [N] bâtisseurs et l'autre employée en frais privilégiés de la procédure collective de la société MLTP, l'arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet l'affaire et les parties, sur ces points, dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [T] et le condamne à payer à la société [N] bâtisseurs et à la société [Y] en qualité de liquidateur de la société MLTP la somme globale de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour les sociétés [N] bâtisseurs et MLTP.
La société [N] Bâtisseurs et la société [Y] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MLTP font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable leur action en responsabilité personnelle de Monsieur [Z] [T] au titre des fautes détachables de sa fonction de gérant de la société Ocean Drive et en conséquence de les avoir déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts à son encontre ;
Alors que les causes d'irrecevabilité d'une action s'apprécient au jour de l'introduction de la demande ; que lorsqu'une société fait l'objet d'une procédure collective, l'action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant de cette société suppose la démonstration d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers de la société ; qu'une telle condition n'est pas requise pour une action introduite avant le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'encontre de la société ; qu'en considérant qu'il appartenait aux exposantes « de faire la démonstration d'un préjudice strictement personnel, distinct de celui qui est subi par la collectivité des créanciers » pour déclarer leur demande irrecevable, quand il est constant qu'au 29 mai 2018, jour d'introduction de l'instance, la société Océan Drive ne faisait l'objet d'aucune procédure collective, la cour d'appel a violé les articles L.622-20 et L.223-22 alinéa 1 du code de commerce, ensemble les articles 31 et 122 du code de procédure civile.