LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 décembre 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1256 F-B
Pourvoi n° U 20-15.875
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2021
La société [L], société civile professionnelle, agissant en la personne de M. [X] [M], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-15.875 contre l'ordonnance rendue le 10 mars 2020 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-11 OP), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [H],
2°/ à Mme [E] [I], épouse [H],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de la société [L], de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M. et Mme [H], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 10 mars 2020), M. et Mme [H] ont confié la défense de leurs intérêts à M. [M], avocat exerçant au sein de la société [L] (l'avocat), à l'occasion d'une procédure contentieuse qui les opposait à une société de promotion immobilière et à un syndicat de copropriétaires.
2. M. et Mme [H] ayant refusé de lui régler un honoraire de résultat qu'il indiquait avoir été convenu, l'avocat a saisi le bâtonnier de son ordre afin de les voir condamnés à lui payer cet honoraire complémentaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'avocat fait grief à l'ordonnance de dire que M. et Mme [H] ne sont redevables d'aucun honoraire de résultat envers lui, et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat » est l'attestation rédigée par Maître [P] ; que, pour refuser toutefois à l'attestation de Maître [P] tout caractère probant, la cour d'appel relève que « les époux [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation à l'encontre de Mme [V] [P] et contestent formellement avoir accepté le principe d'un tel honoraire », de sorte « qu'en l'état de cette contestation », l'existence d'un accord des parties sur un honoraire de résultat n'est pas démontrée ; qu'en refusant ainsi toute valeur probante à une attestation dont elle avait pourtant constaté qu'elle permettait de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat, au seul motif, parfaitement inopérant, que les époux [H] avaient déposé une plainte pénale pour fausse attestation et qu'ils contestaient avoir accepté le principe d'un tel honoraire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 202 du code de procédure civile :
5. Il résulte du premier de ces textes que le défaut de signature d'une convention ne prive pas l'avocat du droit de percevoir un honoraire de résultat convenu en son principe, après service rendu.
6. Il résulte du second que, notamment, l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.
7. Le premier président, pour débouter l'avocat de sa demande en paiement d'un honoraire de résultat, énonce d'abord que l'accord du client sur le principe de cet honoraire, s'il peut n'être que tacite, doit toutefois être certain ou à tout le moins, résulter d'actes dont il est raisonnable de déduire une telle acceptation.
8. Il retient ensuite qu'en l'occurrence M. et Mme [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation contre Mme [V] [P] qui est l'auteure de la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat.
9. En statuant ainsi, en déniant toute valeur probante à une attestation, au seul motif qu'elle faisait l'objet d'une plainte pénale déposée par ses clients, le premier président a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 10 mars 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne M. et Mme [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [H] et les condamne à payer à la société [L] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société [L]
Il est fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir dit que M. et Mme [H] n'étaient redevables d'aucun honoraire de résultat envers la société [L] et d'avoir débouté celle-ci de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 y compris dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015, n'exige pas la rédaction d'une convention d'honoraires à peine de déchéance du droit aux honoraires de l'avocat ; que, par ailleurs, conformément à la jurisprudence bien établie de la cour de cassation, un honoraire de résultat est dû à l'avocat dès lors qu'il est établi que le client en a accepté le principe, y compris verbalement ; qu'en l'occurrence, la SCP [L] soutient que, lors d'une réunion s'étant tenue le 29 novembre 2013, en présence de Me [V] [P], avocate, les époux [H] ont accepté le principe du paiement d'un honoraire de résultat au profit de leur conseil, au regard du résultat obtenu ; qu'elle produit à cette fin une attestation établie le 11 février 2019 par Me [P], devenue avocate honoraire, indiquant que les époux [H] ont manifesté, lors d'un entretien s'étant déroulé au sein du cabinet, leur accord sur le principe d'un honoraire exceptionnel pour un montant restant à déterminer par les parties ; qu'elle ajoute que, faisant suite au courrier en date du 2 juin 2015 par lequel Me [M] se référant à la conversation du 29 novembre 2013 sur le solde des honoraires à verser à la fin du dossier, invitait ses clients à prendre rendez-vous afin de clôturer leurs rapports financiers, M. [H] a répondu dès le lendemain pour convenir d'une date et n'a émis aucune contestation, que suite à un nouveau courrier en date du 29 juin 2015 de Me [M] indiquant qu'il avait appelé M. [H] par téléphone afin d 'éclaircir la situation et qu'il lui faisait confiance s'agissant de la fixation du solde de ses frais et honoraires à la clôture du dossier, M. [H] a indiqué, par retour de mail « être en phase » avec l'entretien téléphonique, puis par courriel en date du 23 novembre 2017, qu'il reprendrait contact avec le cabinet à son retour ou au pire en début d'année, ce qu'il n'a pas fait ; que parallèlement, dans le courrier en date du 1er décembre 2018 adressé par les époux [H] à leur conseil, ces derniers expliquent que, lors du rendez-vous en date du 29 novembre 2013 portant sur l'opportunité de faire appel du jugement rendu, Me [M] a sollicité le paiement d'un honoraire complémentaire de résultat que Me [V] [P] a proposé de chiffrer à 10 %, qu'ils ont eu le sentiment d'être tombés dans un traquenard et qu'ils ont dû jouer sur une certaine ambiguïté face à cette demande injustifiée pour inciter leur avocat à poursuivre son travail jusqu'au terme du recouvrement auprès des parties adverses ; que l'accord du client sur le principe de l'honoraire de résultat, s'il peut n'être que tacite, doit toutefois être certain ou à tout le moins, résulter d'actes dont il est raisonnable de déduire une telle acceptation ; qu'en l'occurrence, l'engagement des époux [H] de prendre rendez-vous, conformément aux demandes de leur conseil, afin de clôturer leurs rapports financiers, ou de fixer le solde de ses frais et honoraires à la clôture du dossier après juin 2015, ne suffisent pas à démontrer leur acceptation d'un honoraire de résultat ; qu'en outre, les époux [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation à l'encontre de Mme [V] [P] et contestent formellement avoir accepté le principe d'un tel honoraire ; qu'en l'état de cette contestation de la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat, il apparaît que celle-ci n'est pas démontrée ;
ALORS, D'UNE PART, QU'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que « la seule pièce permettant de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat » est l'attestation rédigée par Maître [P] (arrêt attaqué, p. 4 al. 8) ; que, pour refuser toutefois à l'attestation de Maître [P] tout caractère probant, la cour d'appel relève que « les époux [H] justifient avoir déposé plainte le 24 janvier 2020 pour fausse attestation à l'encontre de Mme [V] [P] et contestent formellement avoir accepté le principe d'un tel honoraire », de sorte « qu'en l'état de cette contestation », l'existence d'un accord des parties sur un honoraire de résultat n'est pas démontrée (arrêt attaqué, p. 4 al. 8) ; qu'en refusant ainsi toute valeur probante à une attestation dont elle avait pourtant constaté qu'elle permettait de retenir l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat, au seul motif, parfaitement inopérant, que les époux [H] avaient déposé une plainte pénale pour fausse attestation et qu'ils contestaient avoir accepté le principe d'un tel honoraire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 1353 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE sauf vice du consentement avéré, le motif pour lequel un contractant s'engage n'a pas à être pris en considération pour apprécier la validité de cet engagement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans un courrier du 1er décembre 2018, M. et Mme [H] ne contestaient pas avoir donné leur accord sur le principe d'un honoraire de résultat mais qu'ils minoraient la portée de cet accord en indiquant qu'il n'était destiné qu'à instaurer « une certaine ambiguïté » et à « inciter leur avocat à poursuivre son travail jusqu'au terme du recouvrement auprès des parties adverses » (arrêt attaqué, p. 5 al. 5) ; qu'en déduisant de ces éléments l'absence de preuve de l'existence d'un accord des clients sur le principe d'un honoraire de résultat, cependant que, dans la mesure où elle relevait que les époux [H] ne contestaient pas avoir donné leur consentement sur le principe d'un honoraire de résultat, elle devait tirer toutes les conséquences de cet accord sans s'arrêter aux motifs donnés a posteriori par les époux [H] pour tenter d'en minorer la portée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 1134 du code civil, applicable en l'espèce ;
ALORS, DE TROISIEME PART, et en toute hypothèse QUE le juge ne peut prendre en considération des éléments postérieurs à l'engagement litigieux pour modifier la convention conclue par les parties, ce qui le conduirait à substituer des considérations d'équité à la force obligatoire du contrat ; qu'en considérant que l'accord donné le 29 novembre 2013 sur le principe d'un honoraire de résultat, attesté par le témoignage de Maître [P], se trouvait anéanti par la plainte pour fausse attestation déposée par les époux [H] le 24 janvier 2020 et par le courrier du 1er décembre 2018 par lequel les intéressés alléguaient n'avoir consenti à un honoraire de résultat que pour « jouer sur une certaine ambiguïté » et inciter l'avocat à mener à bien sa mission, la cour d'appel, qui s'est déterminée au vu de circonstances postérieures à l'accord émis par les époux [H] et a statué au regard de considération tirées en réalité de l'équité, a violé l'article 1134 du code civil, applicable en l'espèce ;
ALORS, ENFIN, QU' est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en considérant que l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat n'était pas démontré en l'espèce, tout en relevant, d'une part, que par courrier du 29 juin 2015, Maître [M] avait rappelé à M. [H] l'entretien téléphonique qu'ils avaient eu et confirmé qu'il lui « faisait confiance s'agissant de la fixation du solde de ses frais et honoraires à la clôture du dossier », d'autre part, que dans sa réponse du 30 juin suivant, M. [H] indiquait « être en phase » avec cet entretien téléphonique (arrêt attaqué, p. 4 al. 4), et enfin, que dans un courrier du 1er décembre 2018, M. [H] admettait que le règlement d'un honoraire de résultat avait été évoqué au début de l'affaire (arrêt attaqué, p. 4 al. 5), ce dont résulte nécessairement l'existence d'un accord des parties sur le principe d'un honoraire de résultat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 1134 du code civil, applicable en l'espèce ;
ALORS, ENFIN, QU' est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en considérant que l'existence d'un accord sur le principe d'un honoraire de résultat n'était pas démontré en l'espèce, tout en relevant, d'une part, que par courrier du 29 juin 2015, Maître [M] avait rappelé à M. [H] l'entretien téléphonique qu'ils avaient eu et confirmé qu'il lui « faisait confiance s'agissant de la fixation du solde de ses frais et honoraires à la clôture du dossier », d'autre part, que dans sa réponse du 30 juin suivant, M. [H] indiquait « être en phase » avec cet entretien téléphonique (arrêt attaqué, p. 4 al. 4), et enfin, que dans un courrier du 1er décembre 2018, M. [H] admettait que le règlement d'un honoraire de résultat avait été évoqué au début de l'affaire (arrêt attaqué, p. 4 al. 5), ce dont résulte nécessairement l'existence d'un accord des parties sur le principe d'un honoraire de résultat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 1134 du code civil, applicable en l'espèce.