LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 décembre 2021
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 799 F-D
Pourvoi n° S 20-18.058
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 DÉCEMBRE 2021
M. [J] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 20-18.058 contre l'arrêt rendu le 3 mars 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre de la famille), dans le litige l'opposant à Mme [B] [T], divorcée [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [P], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 3 mars 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 6 mars 2019, pourvoi n° G 18-11.326 ), un jugement du 5 octobre 1992 a prononcé le divorce de M. [P] et de Mme [T] et accordé à celle-ci une prestation compensatoire sous forme de rente viagère.
2. Le 3 septembre 2015, M. [P], invoquant un changement important dans ses ressources et l'avantage manifestement excessif procuré à Mme [T] par le maintien de la rente, en a sollicité la suppression.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de suppression de la prestation compensatoire mise à sa charge par jugement de divorce du 5 octobre 1992, de fixer à la somme mensuelle de 1 200 euros le montant de la rente due au titre de la prestation compensatoire et de le condamner en tant que de besoin à payer cette somme à Mme [T], alors « que les juges du fond doivent, pour apprécier l'existence et l'étendue de l'avantage manifestement excessif procuré au crédirentier par le maintien d'une prestation compensatoire fixée avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 sous forme de rente viagère et, partant, pour décider de sa suppression ou de sa révision, prendre en compte les ressources et les besoins du crédirentier comme du débirentier et prendre en considération à ce titre l'ensemble des charges de ce dernier ; qu'en se bornant à retenir, pour juger qu'au vu de la situation actuelle du créancier et du débiteur, le maintien en l'état de la rente aurait procuré à Mme [T] un avantage manifestement excessif et qu'il y avait lieu de réviser cette rente (et non de la supprimer) en fixant son montant à hauteur de 1 200 euros par mois, que s'agissant des charges de M. [P], celui-ci était redevable de taxes foncières et de taxe d'habitation à hauteur de 881 euros et 641 euros en 2018, soit une moyenne mensuelle totale de 126,83 euros, et qu'il supportait par ailleurs les charges habituelles de la vie courante qu'il partageait avec sa compagne, sans tenir compte, alors qu'elle y était invitée, des charges qui lui incombaient au titre de l'impôt sur le revenu, soit la somme de 8 979 euros par an ou 748,25 euros par mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 33, VI, de loi du 26 mai 2004 et des articles 271 et 276 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 33, VI, de la loi du 26 mai 2004, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, et les articles 271 et 276 du code civil :
4. Selon le premier de ces textes, une prestation compensatoire fixée sous la forme d'une rente viagère, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000, peut être révisée lorsque le maintien de son versement procure au crédirentier un avantage manifestement excessif, au regard notamment de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé.
5. Selon les deux derniers, le juge doit, dans cette appréciation, prendre notamment en compte le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu.
6. Pour rejeter la demande de M. [P] en suppression de la rente et fixer le montant de celle-ci à 1 200 euros, l'arrêt retient, au titre des revenus de l'intéressé, le montant imposable des pensions qu'il perçoit, ainsi que celui de son indemnité de départ à la retraite et, au titre des charges, les taxes foncière et d'habitation pour le logement dont il est propriétaire, ainsi que les charges habituelles de la vie courante qu'il partage avec sa compagne.
7. En se déterminant ainsi, sans tenir compte, comme il le lui était demandé, du montant de l'impôt sur le revenu supporté par M. [P], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. M. [P] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la prestation compensatoire judiciairement révisée prend effet à la date de la demande de révision ; qu'en jugeant qu'il y avait lieu de réviser le montant de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère mise à la charge de M. [P] par le jugement rendu le 5 octobre 1992 pour la fixer à la somme mensuelle de 1 200 euros à compter de son arrêt, soit le 3 mars 2020, et non à compter de la requête de M. [P] datée du 3 septembre 2015, la cour d'appel a violé l'article 33, VI, de loi du 26 mai 2004. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 33-VI, alinéa 1, de la loi du 26 mai 2004 :
9. La suppression de la prestation compensatoire fixée sous la forme d'une rente viagère avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000, lorsque le maintien de son versement procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères de l'article 276 du code civil, prend effet à la date de la demande.
10. Après avoir retenu que le maintien de la prestation compensatoire procurerait à Mme [T] un avantage manifestement excessif, l'arrêt en fixe le montant à 1 200 euros et condamne M. [P] en tant que de besoin à payer cette somme.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans autrement composée ;
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour M. [P]
M. [J] [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de suppression de la prestation compensatoire mise à sa charge par jugement de divorce du 5 octobre 1992, de s'être contenté de fixer à la somme mensuelle de 1.200 euros le montant de la rente due au titre de la prestation compensatoire et de l'avoir condamné en tant que de besoin de payer cette somme à Mme [B] [T] ;
1°) ALORS QUE les juges du fond doivent, pour apprécier l'existence et l'étendue de l'avantage manifestement excessif procuré au crédirentier par le maintien d'une prestation compensatoire fixée avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 sous forme de rente viagère et, partant, pour décider de sa suppression ou de sa révision, prendre en compte les ressources et les besoins du crédirentier comme du débirentier et prendre en considération à ce titre l'ensemble des charges de ce dernier ; qu'en se bornant à retenir, pour juger qu'au vu de la situation actuelle du créancier et du débiteur, le maintien en l'état de la rente aurait procuré à Mme [B] [T] un avantage manifestement excessif et qu'il y avait lieu de réviser cette rente (et non de la supprimer) en fixant son montant à hauteur de 1.200 euros par mois, que s'agissant des charges de M. [P], celui-ci était redevable de taxes foncières et de taxe d'habitation à hauteur de 881 euros et 641 euros en 2018, soit une moyenne mensuelle totale de 126,83 euros, et qu'il supportait par ailleurs les charges habituelles de la vie courante qu'il partageait avec sa compagne, sans tenir compte, alors qu'elle y était invitée, des charges qui lui incombaient au titre de l'impôt sur le revenu, soit la somme de 8.979 euros par an ou 748,25 euros par mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 33, VI, de loi du 26 mai 2004 et des articles 271 et 276 du code civil ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, la prestation compensatoire judiciairement révisée prend effet à la date de la demande de révision ; qu'en jugeant qu'il y avait lieu de réviser le montant de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère mise à la charge de M. [P] par le jugement rendu le 5 octobre 1992 pour la fixer à la somme mensuelle de 1.200 euros à compter de son arrêt, soit le 3 mars 2020, et non à compter de la requête de M. [P] datée du 3 septembre 2015, la cour d'appel a violé l'article 33, VI, de loi du 26 mai 2004.