LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 décembre 2021
Rejet
M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 887 F-D
Pourvoi n° J 20-15.107
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 DÉCEMBRE 2021
1°/ M. [N] [X], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Les Jardins de Mazarine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° J 20-15.107 contre l'arrêt rendu le 26 avril 2018 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [X] et de la société Les Jardins de Mazarine, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 26 avril 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-12.324), la société Les Jardins de Mazarine (la société), titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la société Fortis, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas (la banque), ainsi que son gérant, M. [X], ont recherché la responsabilité de la banque pour avoir payé plusieurs chèques, tirés sur ce compte, qui n'étaient pas signés par une personne habilitée.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [X] et la société Les Jardins de Mazarine font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que si l'établissement d'un ordre de paiement n'ayant pas la qualité légale de chèque a été rendu possible à la suite d'une faute du titulaire du compte, ou de l'un de ses préposés, le banquier est tenu envers lui s'il a lui-même commis une négligence, en ne décelant pas une signature apparemment différente de celle du titulaire du compte, et ce, pour la part de responsabilité en découlant ; que commet une négligence, qui l'oblige à réparer le dommage subi par le client, serait-il lui-même fautif, la banque qui s'abstient de vérifier la signature portée sur le chèque falsifiée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que "la banque ne conteste pas en son principe la faute qui lui est reprochée, la non-conformité de la signature des chèques avec celle du titulaire du compte étant établie" ; qu'il en résultait que la banque, en omettant de vérifier la conformité de la signature, avait commis une faute ayant concouru aux détournements dommageables ; qu'en retenant pourtant que M. [X] aurait "commis une négligence grave de nature à exonérer totalement la banque de sa responsabilité et constituant la cause exclusive des dommages invoqués", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, en sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1937 du même code. »
Réponse de la Cour
3. Après avoir relevé que la banque ne contestait pas, en son principe, la faute qu'elle avait commise en ne décelant pas que les chèques litigieux portaient une signature différente de celle du titulaire du compte, l'arrêt retient que M. [X] n'a formé opposition au paiement des chèques que quatre mois après leur remise au paiement alors qu'il recevait les relevés de compte mensuels, qu'il ne démontre pas avoir signalé à la banque que les chèques ne comportaient pas sa signature et n'explique pas comment M. [C], son associé au sein d'une autre société, avait pu disposer de trente-sept formules de chèques du compte de la société, tout comme de la carte bancaire et de son code. Il ajoute que M. [X], s'il a, en première instance, invoqué un oubli de son chéquier dans le bureau de son associé, il n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles il se serait abstenu de le récupérer s'il ne s'agissait pas d'une remise volontaire. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que M. [X], gérant de la société Les Jardins de Mazarine, avait ainsi commis une négligence grave, qui constituait la cause exclusive des dommages invoqués, et en déduire que cette négligence était de nature à exonérer la banque de sa responsabilité.
4. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [X] et la société Les Jardins de Mazarine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [X] et la société Les Jardins de Mazarine et les condamne à payer à la société BNP Paribas la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze décembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. [X] et la société Les Jardins de Mazarine.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [N] [X] et la SARL Les Jardins de Mazarine de toutes leurs demandes ;
AUX MOTIFS QUE : « sur les fautes commises : qu'aux termes de l'article 1147 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ; qu'en application de cet article, il est considéré : - que le banquier étant tenu de relever toutes les anomalies apparentes du chèque qui lui est présenté, dès lors qu'il s'abstient de ce contrôle, il doit assumer les conséquences du risque qu'il a pris en s'en s'abstenant ; - que le client d'une banque qui s'abstient de se donner les moyens de vérifier personnellement ses relevés de compte, ce qui lui aurait permis de constater rapidement une anomalie, prend un risque dont il doit répondre et qui peut être de nature à exonérer totalement la responsabilité du banquier ; qu'en l'espèce, il est constant : - que M. [N] [X] est le gérant de la SARL Les Jardins de Mazarine dont il est le seul associé et qui exploite une activité de négoce d'objets d'art et d'articles de décoration neufs ou d'occasion, qu'il est également associé et cogérant au sein d'une société SPBM dont le second associé et cogérant est M. [Y] [C] ; - que la SA BNP PARIBAS ne conteste pas le fait qu'à compter du mois de mars 2008 des chèques tirés sur le compte de la SARL Les Jardins de Mazarine revêtus de la signature de M. [Y] [C] dont il n'est pas soutenu qu'il aurait détenu une procuration sur ce compte, ont été payés par la banque Fortis ; - que la banque ne conteste pas en son principe la faute qui lui est reprochée, la non-conformité de la signature des chèques avec celle du titulaire du compte étant établie ; - que la SA BNP Paribas invoque que seule la négligence du gérant de la SARL Les Jardins de Mazarine est à l'origine des préjudices dont il sollicite la réparation ; qu'or, il ressort des pièces produites : - que M. [N] [X] n'a formé opposition au paiement des chèques signés par M. [Y] [C] que dans le courant du mois de juillet 2008, soit quatre mois après la remise au paiement des premiers chèques alors qu'il ne discute pas qu'il recevait des relevés de compte mensuels ; - que M. [N] [X] indique avoir pris contact "en temps voulu" avec sa banque en s'appuyant sur les documents émanant de sa banque d'où il ressort que des chèques émis à compter du 22 mai 2008 ont été rejeté pour signature non conforme ; - que cependant ces documents ne sont pas datés et ne démontrent pas que le rejet de la banque des chèques en question est intervenu à la demande de M. [N] [X] ; - que ces documents qui ne concernent aucun des chèques litigieux sont impropres à démontrer que M. [N] [X] aurait signalé à sa banque les chèques en question comme ne comportant pas sa signature ; -que surtout M. [N] [X] n'explique pas comment M. [Y] [C] a pu disposer de pas moins de 37 formules de chèques provenant de son propre chéquier ; - qu'en première instance, il avait invoqué un oubli de son chéquier dans le bureau de son associé sans expliquer pour quelles raisons il se serait abstenu de le récupérer s'il s'agissait d'un simple oubli et non d'une remise volontaire ; - que s'il justifie avoir déposé plainte contre M. [Y] [C], cette plainte qui a été classée sans suite n'a été déposée que le 21 juillet 2008 ; - que même, si aujourd'hui, il le conteste, le récépissé de dépôt de plainte concerne bien l'usage frauduleux de chèques mais aussi de la carte bleue laquelle n'a pu être utilisée qu'au moyen du code ; - qu'en outre, certains des chèques ont été émis à l'ordre de sociétés de ventes volontaires pour des ventes antérieures au mois de mars 2008 et rien ne démontre que la SARL Les Jardins de Mazarine n'était pas l'acquéreur et le bénéficiaire des produits payés au moyen des chèques tirés sur son compte ; qu'il résulte de ces éléments : - que M. [N] [X] a manifestement permis à M. [Y] [C] d'utiliser à une certaine époque son chéquier et sa carte bancaire et que ce faisant, il a commis une négligence grave de nature à exonérer totalement la banque de sa responsabilité et constituant la cause exclusive des dommages invoqués ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné un partage de responsabilité ainsi qu'en ce qu'il a fait droit partiellement aux demandes de dommages et intérêts formées tant par M. [N] [X] que la SARL Les Jardins de Mazarine qui seront déboutés de leurs demandes tendant à ce que la responsabilité de la SA BNP Paribas soit reconnue et en leurs demandes de dommages et intérêts subséquentes» ;
ALORS QUE si l'établissement d'un ordre de paiement n'ayant pas la qualité légale de chèque a été rendu possible à la suite d'une faute du titulaire du compte, ou de l'un de ses préposés, le banquier est tenu envers lui s'il a lui-même commis une négligence, en ne décelant pas une signature apparemment différente de celle du titulaire du compte, et ce, pour la part de responsabilité en découlant ; que commet une négligence, qui l'oblige à réparer le dommage subi par le client, serait-il lui-même fautif, la banque qui s'abstient de vérifier la signature portée sur le chèque falsifiée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que « la banque ne conteste pas en son principe la faute qui lui est reprochée, la non-conformité de la signature des chèques avec celle du titulaire du compte étant établie » (arrêt, p. 5, alinéa 7) ; qu'il en résultait que la banque, en omettant de vérifier la conformité de la signature, avait commis une faute ayant concouru aux détournements dommageables ; qu'en retenant pourtant que M. [X] aurait « commis une négligence grave de nature à exonérer totalement la banque de sa responsabilité et constituant la cause exclusive des dommages invoqués » (arrêt, p. 5, alinéa 2), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, en sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 1937 du même code.