LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2021
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 854 F-D
Pourvoi n° C 20-20.000
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2021
La société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Grange BEL O, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 20-20.000 contre l'arrêt rendu le 10 février 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [X] [G]-[C], domiciliée chez Mme [P] [N], [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Grange BEL O, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [G]-[C], après débats en l'audience publique du 3 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 10 février 2020), le 21 octobre 2005, Mme [G] veuve [C] a vendu au groupement foncier agricole Grange Bel O (le GFA) trois terrains et les constructions y édifiées pour le prix de 914 000 euros, payé comptant à hauteur de 100 000 euros, le solde devant l'être par le versement d'une rente viagère annuelle et révisable de 60 000 euros, payable par mensualités de 5 000 euros.
2. L'acquéreur est devenu propriétaire des biens et en a reçu la jouissance à la signature de l'acte, à l'exception du premier étage de la maison principale pour lequel le vendeur s'était réservé un droit d'usage et d'habitation.
3. Le 6 mai 2014, Mme [G] a fait délivrer au GFA un commandement de payer les mensualités échues, visant la clause résolutoire insérée au contrat.
4. Le 23 juin 2014, elle a assigné le GFA en résolution de plein droit du contrat de vente, en expulsion et en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le GFA fait grief à l'arrêt de constater la résolution de la vente avec rente viagère et d'ordonner son expulsion, alors :
« 1°/ que le crédirentier qui, après avoir fait délivrer un premier commandement de payer demeuré infructueux, en délivre un second pour une période postérieure, après avoir accepté le règlement des arriérés de rente, manifeste sans équivoque sa volonté de poursuivre le contrat ; qu'en ayant jugé que la seule acceptation de paiement d'arrérages plus d'un an après le commandement du 6 mai 2014, sans toutefois assurer le règlement à leurs échéances des rentes mensuelles ayant couru depuis lors, ne permettait pas d'établir que Mme [G] avait manifesté sa volonté de renoncer à se prévaloir des effets de la clause résolutoire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que le crédirentier qui, après avoir fait délivrer un premier commandement de payer demeuré infructueux, en délivre un second pour une période postérieure, après avoir accepté le règlement des arriérés de rente, ainsi que le paiement d'échéances postérieures au premier commandement, manifeste sans équivoque sa volonté de poursuivre le contrat ; qu'en ayant jugé qu'il n'était pas possible de considérer que Mme [G] avait renoncé à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire visée dans le premier commandement du 6 mai 2014, au motif que le GFA Grange Bel O n'avait pas assuré le règlement des échéances postérieures, quand il résultait des propres constatations de la cour d'appel que l'exposant avait payé une somme d'au moins 45 000 € à ce titre et que la crédirentière en avait accepté le paiement après l'avoir réclamé dans un second commandement du 13 janvier 2016, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ le crédirentier qui, après avoir fait délivrer un premier commandement de payer demeuré infructueux, en délivre un second pour une période postérieure, après avoir accepté le règlement des arriérés de rente, ainsi que le paiement d'échéances postérieures au premier commandement, manifeste sans équivoque sa volonté de poursuivre le contrat ; qu'en ayant jugé qu'il n'était pas possible de considérer que Mme [G] avait renoncé à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire visée dans le premier commandement du 6 mai 2014, au motif que le GFA Grange Bel O n'avait pas assuré le règlement des échéances postérieures, quand il résultait des propres constatations de la cour d'appel que l'exposant avait payé une somme d'au moins 45 000 € à ce titre et que la crédirentière en avait accepté le paiement après l'avoir réclamé dans un second commandement du 13 janvier 2016, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que la renonciation à un droit, qui ne peut résulter du seul écoulement du temps, peut être tacite à condition d'être dépourvue de tout caractère équivoque.
7. Elle a relevé que le second commandement de payer du 13 janvier 2016, pour des rentes échues en 2014, 2015 et 2016, qui visait à nouveau la clause résolutoire du contrat de vente, avait été délivré durant la procédure de première instance en résolution de plein droit de la vente.
8. Elle en a souverainement déduit, d'une part, que la seule acceptation, plus d'un an après l'échéance fixée par le premier commandement de payer du 6 mai 2014, de deux versements à ce titre, sans que soit assuré le règlement à leurs échéances des rentes ayant couru depuis lors, ne permettait pas d'établir que Mme [G] avait manifesté la volonté de renoncer à se prévaloir des effets de la clause résolutoire, d'autre part, que la délivrance du second commandement de payer établissait au contraire sa volonté de poursuivre la procédure.
9. Elle a retenu, à juste titre, que la clause résolutoire, acquise le 7 juin 2014, avait produit ses pleins effets.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le GFA fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en restitution de la somme de 100 000 euros versée comptant le jour de la vente, alors :
« 1°/ que la somme versée comptant lors de la signature d'une vente en viager ensuite résolue, doit être restituée à l'acquéreur, sauf à ce que soit caractérisé un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation, au profit du vendeur, des échéances de la rente acquittées jusqu'au jour de la résolution de la vente ; qu'en ayant dispensé la venderesse de restituer, en sus des échéances de rente conservées par Mme [G] jusqu'au jour de la résolution de la vente, le 7 juin 2014, la somme de 100 000 € versée comptant le jour de la vente, sans qu'un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation des arrérages antérieurs à la résolution de la vente, ne soit caractérisé, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et 1978 du code civil ;
2°/ que si le contrat de vente en viager stipule que les arrérages de la rente réglés avant la résolution de la vente resteront acquis au vendeur, à titre de clause pénale, et que la restitution de la somme versée comptant au jour de la vente sera à l'appréciation des juges, la venderesse crédirentière ne peut être dispensée de restitution sans qu'un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation des arrérages réglés ne soit caractérisé ; qu'en ayant dispensé Mme [G] de la restitution de la somme de 100 000 € versée comptant au jour de la vente, sans caractériser de préjudice distinct de la privation de la rente viagère objet du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a relevé qu'en cas de résolution de plein droit de la vente, le contrat stipulait que « la partie du prix payée comptant sera, quant à sa destination, laissée à l'appréciation souveraine des tribunaux ».
13. Ayant retenu que le temps écoulé révélait les manquements anciens et réitérés du GFA ayant contraint Mme [G], privée des ressources de la rente viagère et des biens, objet du contrat, à initier une instance en référé et à délivrer deux commandements de payer, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé un préjudice distinct de celui réparé par la clause pénale relative à l'acquisition des arrérages échus, a souverainement fixé à la somme de 100 000 euros l'indemnisation complémentaire due à Mme [G].
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le groupement foncier agricole Grange Bel O aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le groupement foncier agricole Grange Bel O et le condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Grange BEL O
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:- Le GFA Grange Bel O FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement, en ce qu'il avait constaté la résolution de la vente avec rente viagère conclue entre lui et Mme [G], veuve [C], crédirentière, et ordonné son expulsion des lieux acquis ;
1°) ALORS QUE le crédirentier qui, après avoir fait délivrer un premier commandement de payer demeuré infructueux, en délivre un second pour une période postérieure, après avoir accepté le règlement des arriérés de rente, manifeste sans équivoque sa volonté de poursuivre le contrat ; qu'en ayant jugé que la seule acceptation de paiement d'arrérages plus d'un an après le commandement du 6 mai 2014, sans toutefois assurer le règlement à leurs échéances des rentes mensuelles ayant couru depuis lors, ne permettait pas d'établir que Mme [G] avait manifesté sa volonté de renoncer à se prévaloir des effets de la clause résolutoire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE le crédirentier qui, après avoir fait délivrer un premier commandement de payer demeuré infructueux, en délivre un second pour une période postérieure, après avoir accepté le règlement des arriérés de rente, ainsi que le paiement d'échéances postérieures au premier commandement, manifeste sans équivoque sa volonté de poursuivre le contrat ; qu'en ayant jugé qu'il n'était pas possible de considérer que Mme [G] avait renoncé à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire visée dans le premier commandement du 6 mai 2014, au motif que le GFA Grange Bel O n'avait pas assuré le règlement des échéances postérieures, quand il résultait des propres constatations de la cour d'appel que l'exposant avait payé une somme d'au moins 45.000 € à ce titre et que la crédirentière en avait accepté le paiement après l'avoir réclamé dans un second commandement du 13 janvier 2016, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE la volonté d'un crédirentier de ne pas renoncer à l'acquisition de la clause résolutoire visée dans un premier commandement ne se peut déduire de la délivrance d'un second commandement, qui traduit au contraire la volonté du créancier de poursuivre le contrat ; qu'en ayant déduit la volonté de Mme [G] de ne pas renoncer à l'acquisition de la condition résolutoire visée dans un premier commandement du 6 mai 2014, de la délivrance postérieure d'un second commandement le 13 janvier 2016, qui, pourtant, concrétisait au contraire la volonté de Mme [G] de poursuivre l'exécution du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1338 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:- Le GFA Grange Bel O FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de remboursement de la somme de 100.000 € versée comptant au jour du contrat, cette dernière demeurant acquise à titre indemnitaire à Mme [G], veuve [C], en s'ajoutant aux dommages et intérêts contractuellement prévus ;
1°) ALORS QUE la somme versée comptant lors de la signature d'une vente en viager ensuite résolue, doit être restituée à l'acquéreur, sauf à ce que soit caractérisé un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation, au profit du vendeur, des échéances de la rente acquittées jusqu'au jour de la résolution de la vente ; qu'en ayant dispensé la venderesse de restituer, en sus des échéances de rente conservées par Mme [G] jusqu'au jour de la résolution de la vente, le 7 juin 2014, la somme de 100.000 € versée comptant le jour de la vente, sans qu'un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation des arrérages antérieurs à la résolution de la vente, ne soit caractérisé, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et 1978 du code civil ;
2°) ALORS QUE si le contrat de vente en viager stipule que les arrérages de la rente réglés avant la résolution de la vente resteront acquis au vendeur, à titre de clause pénale, et que la restitution de la somme versée comptant au jour de la vente sera à l'appréciation des juges, la venderesse crédirentière ne peut être dispensée de restitution sans qu'un préjudice distinct de celui déjà réparé par la conservation des arrérages réglés ne soit caractérisé ; qu'en ayant dispensé Mme [G] de la restitution de la somme de 100.000 € versée comptant au jour de la vente, sans caractériser de préjudice distinct de la privation de la rente viagère objet du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.