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08/12/2021 | FRANCE | N°20-11066

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 08 décembre 2021, 20-11066


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 décembre 2021

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1398 F-D

Pourvoi n° S 20-11.066

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

Mme [J] [Y], domiciliée [Adresse 2]

, a formé le pourvoi n° S 20-11.066 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'oppo...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 décembre 2021

Cassation

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1398 F-D

Pourvoi n° S 20-11.066

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 DÉCEMBRE 2021

Mme [J] [Y], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 20-11.066 contre l'arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société Compass Group France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [Y], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Compass Group France, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, Mme Le Lay, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 novembre 2019), Mme [Y] a été engagée le 7 mars 1996 en qualité d'assistante ressources humaines par la société Eurest France. Par suite du rachat de cette société, son contrat de travail a été transféré à la société Compass Group France. Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée occupait les fonctions de directeur des ressources humaines entreprises et administration au sein de la direction opérationnelle Ile-de-France.

2. Le 4 août 2015, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 15 septembre 2015. Puis, par un second courrier du 31 août 2015, elle a été informée que l'entretien préalable était avancé au 10 septembre 2015 et qu'elle était dispensée d'activité jusqu'à cette date. Elle a été licenciée pour faute grave le 15 septembre 2015.

3. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire le licenciement fondé sur une faute grave, de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de la condamner aux entiers dépens, alors « que lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites ; qu'en l'espèce, les faits retenus par la cour d'appel pour considérer que le licenciement pour faute grave était justifié dataient respectivement de décembre 2014, du 6 janvier et de février 2015 (Mme [T]), du 9 mars et du 10 avril 2015 (M. [G]), septembre 2014 (Mme [F]), juillet 2014 (Mme [L]) ; que, dans ses écritures, la salariée faisait expressément valoir que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits puisque la convocation à l'entretien préalable était intervenue en août 2015 et que c'était à l'employeur d'apporter la preuve qu'il avait eu connaissance des faits reprochés moins de deux moins avant l'engagement des poursuites ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si l'employeur avait apporté la preuve qui lui incombait de la date à laquelle il avait eu connaissance des faits invoqués, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1332-4 du code du travail :

5. Selon cet article, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

6. Pour dire bien-fondé le licenciement pour faute grave de la salariée l'arrêt retient que plusieurs salariés témoignent, en des termes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de l'intéressée à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise. L'arrêt énonce ainsi que ses constatations relatives aux attestations relatant un événement de décembre 2014, de Mme [T] qui a changé de poste en février 2015, de M. [G] qui a mis fin à sa période d'essai en avril 2015, de M. [R] s'agissant du comportement toxique de la salariée, de Mmes [F] et [L] concernant la façon dont elles ont été accueillies par la salariée en juillet et septembre 2014, suffisent à caractériser la faute grave et à justifier le licenciement de la salariée pour ce motif.

7. En se déterminant ainsi, sans préciser, comme elle y était invitée, la date à laquelle l'employeur avait eu connaissance des faits fautifs, dont aucune réitération n'était invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes indemnitaires liées aux circonstances brutales et vexatoires de la rupture, alors « que pour débouter la salariée de ses demandes fondées sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture, la cour d'appel a considéré ‘‘qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires'' ; que la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen entraînera, par voie de conséquence et par application de l'article 624 du Code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt ayant refusé de faire droit aux demandes de la salariée fondées sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

9. La cassation prononcée des dispositions de l'arrêt sur le premier moyen, jugeant bien fondé le licenciement pour faute grave de la salariée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le second moyen, déboutant la salariée de ses demandes indemnitaires liées aux circonstances brutales et vexatoires de la rupture, qui s'y rattachent par un lien de dépendance suffisant.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Compass Group France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compass Group France et la condamne à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [Y]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit le licenciement fondé sur une faute grave, d'AVOIR débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes et de l'AVOIR condamnée aux entiers dépens :

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Sur le bien-fondé du licenciement : Mme [Y] estime surréaliste qu'elle ait brutalement fait l'objet d'un licenciement pour faute grave, compte tenu de son ancienneté de 19 ans au sein de la société, de l'absence de tout reproche préalable, de son comportement exemplaire au sein de la société et des nombreux témoignages de félicitation de son employeur. Elle prétend que M. [P], le directeur des affaires sociales auquel elle a été hiérarchiquement rattachée à partir de mars 2015, a voulu réorganiser le service et se débarrasser d'elle. S'agissant du grief de harcèlement moral, elle soutient que l'attestation de Mme [T] est un faux rédigé pour les besoins de la cause ; que la société n'est pas crédible lorsqu'elle prétend avoir découvert les prétendus agissements de Mme [Y] en août 2015 ; que les faits visés par Mme [T] sont nécessairement prescrits ; qu'au demeurant les allégations de Mme [T] sont inexactes ; que Mme [Y] avait sous sa responsabilité une équipe de six personnes (quatre RRH et deux ARH) et qu'aucune d'elle n'atteste d'un harcèlement à l'encontre de Mme [T] ; qu'elle n'a jamais adressé à celle-ci que des remarques d'ordre professionnel. S'agissant des faits d'abus d'autorité, qu'elle conteste également, la salariée soutient que l'attestation dont se prévaut l'employeur au soutien de ce grief n'a pas été librement et spontanément établie par M. [G], puisqu'il lui a été proposé en échange de cette attestation de lui établir une lettre de références pour ses recherches d'emploi. S'agissant des conflits récurrents et des difficultés relationnelles avec d'autres services de l'entreprise, elle affirme qu'aucun manquement ne saurait lui être imputé, concernant notamment le processus des revalorisations salariales visé par l'employeur, et dit n'avoir fait qu'appliquer les règles en vigueur dans l'entreprise. Elle considère que la lettre de M. [R], ancien salarié et représentant syndical au sein de la société Compass Group France, porte atteinte à sa réputation professionnelle. S'agissant des imputations irrégulières de coûts, elle précise que l'écriture comptable qui lui est reprochée n'a eu aucun impact pour l'entreprise et que la consigne qu'elle n'aurait prétendument pas respectée valait en réalité pour l'exercice suivant. Elle conteste le grief d'absence de réponse, de refus d'exécuter les consignes et de réticence déloyale, soutenant que l'employeur n'en apporte pas la preuve. S'agissant des critiques et du dénigrement de la DRH Groupe, elle considère que l'attestation de Mme [U] dont se prévaut l'employeur au soutien de ce grief est non seulement imprécise et inexacte mais aussi dépourvue de valeur probante, n'étant en outre corroborée par aucun autre témoignage. Mme [Y] réfute toute attitude déloyale de sa part, indiquant que la salariée à laquelle elle aurait soi-disant conseillé de contester une décision de la direction est allée d'elle-même voir la hiérarchie pour obtenir des explications. S'agissant du comportement inadapté avec certains partenaires sociaux, elle soutient que cette allégation n'est justifiée par aucun fait précis ni matériellement vérifiable et que bien au contraire, elle avait toute la confiance du président, qui l'a à de nombreuses reprises laissée animer seule des réunions de CHSCT. S'agissant enfin du grief d'accueil et d'intégration méprisants de jeunes recrues, elle conteste le contenu des deux attestations produites et relève que dans le cadre du parcours d'intégration, l'employeur aurait nécessairement eu connaissance des difficultés rencontrées par les deux salariées si elle avait eu le comportement qui lui est reproché. Elle observe que Mme [L], jeune diplômée moins rémunérée, a été aussitôt promue à son poste après son licenciement, ce qui a permis à l'entreprise de faire des économies dans un contexte de réduction des frais de personnels. La société Compass Group France réplique que la salariée avait mis en place au sein de l'entreprise un "harcèlement moral d'ambiance"; que le conseil de prud'hommes a fait une mauvaise appréciation de la situation en écartant les nombreuses attestations produites par l'employeur au motif qu'elles étaient sujettes à caution pour avoir été établies par des salariés de la société alors que ces pièces, qui ne pouvaient émaner que de salariés ou anciens salariés, démontrent pourtant bien que le comportement de Mme [Y] n'était plus supportable au sein de l'entreprise et justifiait pleinement son licenciement. En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. La faute grave s'entend d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. Le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. En l'espèce, la cour relève que les éléments du dossier permettent d'établir le comportement inadapté adopté par Mme [Y] à l'égard de ses collègues et des personnes placées sous son autorité, alors que ses fonctions de directeur des ressources humaines supposaient au contraire qu'elle participe au bon climat social dans l'entreprise. Plusieurs salariés témoignent en effet, en des tennes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de Mme [Y] à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise. Mme [T] atteste que son quotidien au poste d'assistante ressources humaines était devenu insupportable, qu'elle commençait à douter de ses compétences, que Mme [Y] la dévalorisait, lui disant qu'elle n'était "bonne qu'à faire des photocopies ou des scanners", qu'elle "se faisait plaisir" en lui donnant du travail pour ensuite, une fois la tâche exécutée, lui dire qu'elle n'en avait plus besoin. Elle relate un événement du mois de décembre 2014 au cours duquel la secrétaire du CHSCT, réagissant aux paroles de Mme [Y] à l'attention de Mme [T], s'est levée de son siège en disant "Mme [Y], vous parlez aux gens comme à des chiens. Vous n'avez aucun respect. C'est inadmissible." A tout cela, Mme [Y] se contente de rétorquer que ses remarques étaient strictement d'ordre professionnel. Or, les déclarations de Mme [T] sont corroborées par les éléments de son dossier de médecine du travail. Lors de la visite médicale du 6 janvier 2015, dont il convient d'ailleurs de noter qu'elle a eu lieu avant le rattachement en mars 2015 de Mme [Y] à M. [P], à l'origine selon elle de son licenciement, il a ainsi été mentionné :"Soucis avec responsable : DRH. On me parle mal. On surveille ce que je fais. On me dévalorise. A été sacquée lors de l'entretien annuel. (...) A fait demande de mobilité pour le service achat". La production de l'avenant à son contrat de travail justifie au surplus du changement effectif de poste de Mme [T] au mois de février 2015. M. [G], recruté le 9 mars 2015 en qualité de responsable ressources humaines et placé sous l'autorité de Mme [Y], déclare avoir mis un terme à sa période d'essai le 10 avril 2015 car il lui était "impossible d'envisager de poursuivre [son] travail au quotidien avec [J] [Y]". Il explique que sa supérieure hiérarchique lui interdisait de prendre des décisions mais lui reprochait dans le même temps de ne pas être capable d'en prendre ; qu'elle exerçait sur lui une surveillance constante et excessive ; que le jour de son départ de l'entreprise, elle a tenu à contrôler le contenu de son ordinateur portable, l'accusant de vouloir détruire des documents et de les lui cacher. M. [R], ancien salarié et représentant syndical de la société Compass Group France, témoigne de "la personne pour le moins toxique qu'était Mme [Y]" à l'égard de ses subordonnés et de ses collègues des ressources humaines, de ses comportements inadaptés vis-à-vis des organisations syndicales et des salariés qu'elle recevait en entretien. II indique qu'elle prenait "un malin plaisir à sanctionner, licencier, blesser...". Mme [F], recrutée par la société Compass Group France en septembre 2014, a été amenée à rencontrer Mme [Y] dans le cadre de son parcours d'intégration. Elle déclare que son "accueil a été glacial", qu'après qu'elle ait exposé son parcours professionnel et les missions qui lui étaient dévolues, Mme [Y] lui a indiqué qu'elle n'apporterait "aucune plus-value à son équipe dont chacun des membres était diplômé bac +5" et lui a demandé "à quoi [elle allait] servir". Mme [F] considère que "Mme [Y] a eu un comportement vexatoire, humiliant et très déstabilisant à [son] égard'', que "le mépris dont elle a.fait preuve à [son] encontre [l'a] consternée" alors qu'il s'agissait d'une première rencontre et qu'elle s'attendait à un échange professionnel. Mme [L], jeune diplômée recrutée en juillet 2014, témoigne également du "caractère vexatoire de ses réactions et de son accueil". Lui laissant à peine le temps de se présenter, Mme [Y] lui a dit ''je ne vois pas à quoi vous allez servir", "ça, on le.fait déjà, ça ne sert à rien que vous le.fassiez", ''je ne comprends pas ce que vous.faites là", l'interrompant sans cesse dès qu'elle abordait un nouveau thème par des remarques du type "hum, si vous voulez, mais enfin ça ne va pas nous aider", "vous pensez que vous allez nous servir avec ça ?". Mme [L] indique que le comportement de Mme [Y] a par la suite toujours été "à la limite de l'impolitesse et de l'irrespect". Ces constatations suffisent à caractériser la faute grave et à justifier le licenciement de la salariée pour ce motif. L'employeur n'avait en effet d'autre choix que de se séparer au plus vite de Mme [Y], dont le comportement était incompatible avec la poursuite de ses fonctions de directeur des ressources humaines, afin de mettre immédiatement un terme à ses agissements et de protéger les salariés de l'entreprise. Le jugement entrepris sera infirmé et Mme [Y] sera déboutée de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. La demande de remboursement des sommes versées par l'employeur au titre de l'exécution du jugement est sans objet, dès lors que l'infirmation de cette décision vaut titre exécutoire pour la restitution des sommes versées » ;

ALORS, en premier lieu, lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites ; qu'en l'espèce, les faits retenus par la cour d'appel pour considérer que le licenciement pour faute grave était justifié dataient respectivement de décembre 2014, du 6 janvier et de février 2015 (Mme [T]), du 9 mars et du 10 avril 2015 (M. [G]), septembre 2014 (Mme [F]), juillet 2014 (Mme [L]) ; que, dans ses écritures (écritures d'appel de la salariée p. 12), la salariée faisait expressément valoir que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits puisque la convocation à l'entretien préalable était intervenue en août 2015 et que c'était à l'employeur d'apporter la preuve qu'il avait eu connaissance des faits reprochés moins de deux moins avant l'engagement des poursuites ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si l'employeur avait apporté la preuve qui lui incombait de la date à laquelle il avait eu connaissance des faits invoqués, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

ALORS, en deuxième lieu, QU'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans tirer les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, desquelles il ressortait que les faits reprochés à Mme [Y] dataient respectivement de décembre 2014, du 6 janvier et de février 2015 (Mme [T]), du 9 mars et du 10 avril 2015 (M. [G]), septembre 2014 (Mme [F]), juillet 2014 (Mme [L]), la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail ;

ALORS, en troisième lieu, QU'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que, si ces règles ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, la réitération de faits fautifs dans le délai de deux mois n'était en l'espèce ni soutenue ni établie ; qu'en retenant pourtant l'existence d'une faute grave à partir de faits prétendument commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-4 du code du travail ;

ALORS, en quatrième lieu et en tout état de cause, QU'il appartient aux juges du fond de prendre en considération le contexte dans lequel le licenciement est prononcé et en particulier l'ancienneté du salarié, son passé disciplinaire et ses résultats antérieurs ; qu'en l'espèce, en affirmant que les éléments du dossier permettaient d'établir le comportement inadapté adopté par Mme [Y] à l'égard de ses collègues et des personnes placées sous son autorité, alors que ses fonctions de directeur des ressources humaines supposaient au contraire qu'elle participe au bon climat social dans l'entreprise et que plusieurs salariés témoignaient en effet, en des termes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de Mme [Y] à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise, tout en relevant l'ancienneté de la salariée présente dans l'entreprise depuis 19 ans, le fait que la salariée n'avait fait l'objet d'aucun reproche préalable, et que son comportement avait été exemplaire au sein de la société, comportement attesté par les nombreux témoignages de félicitations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1331-1 et s. du code du travail ;

ALORS en cinquième lieu QU'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre à la salariée qui soutenait précisément qu'elle était présente dans l'entreprise depuis 19 ans, qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'aucun reproche ni sanction, et qu'au contraire elle avait toujours été félicitée pour son travail, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS en sixième lieu QUE la faute grave s'entend d'un comportement particulièrement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail ; que seule la caractérisation de faits d'une particulière gravité, tels la violence, l'injure ou encore la concurrence déloyale constituent des faits justifiant la qualification de faute grave ; que le manquement au ‘bon climat social de l'entreprise' ou encore le ‘comportement inadapté à l'égard des collègues et des personnes placées sous son autorité' ne sont pas des faits, à les supposer établis, constitutifs d'une faute grave ; qu'en retenant, pour considérer la faute grave établie, que les éléments du dossier permettaient d'établir le comportement inadapté adopté par Mme [Y] à l'égard de ses collègues et des personnes placées sous son autorité, alors que ses fonctions de directeur des ressources humaines supposaient au contraire qu'elle participe au bon climat social dans l'entreprise et que plusieurs salariés témoignaient en effet, en des termes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de Mme [Y] à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1331-1 et s. du code du travail ;

ALORS en septième lieu QUE, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; qu'en retenant, pour considérer la faute grave établie, que les éléments du dossier permettaient d'établir le comportement inadapté adopté par Mme [Y] à l'égard de ses collègues et des personnes placées sous son autorité, alors que ses fonctions de directeur des ressources humaines supposaient au contraire qu'elle participe au bon climat social dans l'entreprise et que plusieurs salariés témoignaient en effet, en des termes circonstanciés et concordants, du comportement habituel et intolérable de Mme [Y] à l'égard de nombreux collaborateurs de l'entreprise, quand il était établi, ainsi que la salariée le soutenait dans ses écritures (écritures d'appel de la salariée p. 10) que l'employeur n'avait jamais pris aucune sanction à l'encontre de Mme [Y] pendant une période de 19 ans, période au cours de laquelle la salariée avait été très régulièrement félicitée (Productions 5 et 6 – Entretien annuel 2012/2013 et 2014/2015) et promue pour la qualité de son travail, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1331-1 et s. du code du travail ;

ALORS en huitième lieu subsidiairement QU'en matière disciplinaire, c'est à l'employeur qu'il appartient d'apporter la preuve des éléments constituants les faits fautifs reprochés au salarié ; qu'en se fondant sur les seules attestations fournies par l'employeur, portant sur des faits au demeurant prescrits, sans relever aucun autre élément de fait de nature à confirmer ou à justifier les dires et écrits des salariés ayant attesté en faveur de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1331-1 et s. du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la salariée de ses demandes indemnitaires liées aux circonstances brutales et vexatoires de la rupture ;

AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture : Mme [Y] fait valoir au soutien de sa demande de dommages-intérêts à ce titre que les circonstances de son licenciement ont été très attentatoires puisque son employeur lui a d'abord demandé de réfléchir pendant ses congés à une rupture amiable, que revenant sans explication sur sa proposition initiale, il a brutalement engagé une procédure de licenciement dès le lendemain de son départ en congés, en l'en informant par un laconique sms reçu sur son lieu de congés, qu'elle a dû passer ses congés dans l'attente anxiogène de la perspective d'un entretien préalable de licenciement à son retour et sans savoir ce qui lui était reproché, qu'à son retour de congés elle a été immédiatement évincée de ses responsabilités et privée de ses outils de travail, étant mise en dispense d'activité sans raison objective, qu'elle s'est vue reprocher des faits sans qu'aucune enquête contradictoire n'ait été diligentée, qu'elle a laissé derrière elle une réputation ternie en complet décalage avec ses excellents états de service au sein de la société. La société Compass Group France réplique que bien au contraire, elle a été particulièrement diligente avec la salariée en la rencontrant fin juillet afin de lui faire part des difficultés rencontrées, en l'avisant pas sms de sa convocation à l'entretien préalable. La cour retient qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires. En outre, l'employeur avait la possibilité de prononcer une mise à pied conservatoire, privative de rémunération, mais il a décidé de se limiter à une dispense d'activité et de maintenir intégralement à Mme [Y] sa rémunération jusqu'à la décision de licenciement. Le jugement qui a fait droit à la demande de dommages-intérêts de la salariée à ce titre sera infirmé » ;

ALORS, en premier lieu, QUE pour débouter la salariée de ses demandes fondées sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture, la cour d'appel a considéré « qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires » ; que la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen entrainera, par voie de conséquence et par application de l'article 624 du Code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt ayant refusé de faire droit aux demandes de la salariée fondées sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture ;

ALORS en deuxième lieu QUE, les juges ne peuvent modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties, fixées par l'acte introductif d'instance et les conclusions en défense ; pour débouter la salariée de ses demandes fondées sur les circonstances brutales et vexatoires de la rupture, la cour d'appel a considéré « qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires » et que « l'employeur avait la possibilité de prononcer une mise à pied conservatoire, privative de toute rémunération, mais il a décidé de se limiter à une dispense d'activité et de maintenir intégralement Mme [Y] sa rémunération jusqu'à la décision de licenciement » ; qu'en statuant ainsi, alors que ni l'employeur ni la salariée n'avait jamais soutenu que les risques pour la santé des salariés de l'entreprise et l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur excluait le caractère brutal et vexatoire de la rupture, la cour d'appel a dénaturé l'objet du litige en violation des dispositions des articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;

ALORS en troisième lieu QUE, le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant, d'office, et sans provoquer préalablement les observations des parties à cet égard, que « qu'au regard du comportement de l'intéressée, des risques pour la santé des salariés de l'entreprise et de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur, les circonstances de la rupture n'apparaissent ni brutales, ni vexatoires » et que « l'employeur avait la possibilité de prononcer une mise à pied conservatoire, privative de toute rémunération, mais il a décidé de se limiter à une dispense d'activité et de maintenir intégralement Mme [Y] sa rémunération jusqu'à la décision de licenciement », quand ni l'employeur ni le salarié n'avait jamais soutenu que les risques pour la santé des salariés de l'entreprise et l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur excluait le caractère brutal et vexatoire de la rupture, la cour d'appel, qui a soulevé ce moyen d'office, sans avoir préalablement recueilli les observations des parties à cet égard, a violé l'article 16 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20-11066
Date de la décision : 08/12/2021
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 21 novembre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 08 déc. 2021, pourvoi n°20-11066


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.11066
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