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24/11/2021 | FRANCE | N°21-80968

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 novembre 2021, 21-80968


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 21-80.968 F-D

N° 01423

SM12
24 NOVEMBRE 2021

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 NOVEMBRE 2021

M. [R] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 9e chambre, en date du 25 janvier 2021, qui, pour agressions sexuelles ag

gravées, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, cinq ans d'inéligibilité, lui a r...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 21-80.968 F-D

N° 01423

SM12
24 NOVEMBRE 2021

CASSATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 NOVEMBRE 2021

M. [R] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 9e chambre, en date du 25 janvier 2021, qui, pour agressions sexuelles aggravées, l'a condamné à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis probatoire, cinq ans d'inéligibilité, lui a retiré l'autorité parentale sur sa fille [G] [E], et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [E], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [R] [E] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, courant 2018 et 2019, commis des atteintes sexuelles avec surprise sur sa fille [G] [E], mineure de moins de 15 ans, née le [Date naissance 1] 2005.

3. Par jugement du tribunal correctionnel en date du 3 octobre 2019, il a été déclaré coupable et condamné à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve.

4. Le prévenu et le ministère public ont formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [E] coupable d'atteintes sexuelles par surprise, alors « que la qualification d'agression sexuelle implique que l'atteinte sexuelle a été commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ; que la seule circonstance de la minorité de la victime, même de quinze ans, ne suffit pas à établir que le consentement a été surpris ; la surprise supposant de surcroît que la victime de moins de 15 ans ne dispose pas du discernement nécessaire pour consentir valablement à des actes de nature sexuelle ; qu'en se fondant uniquement sur l'âge de la victime pour conclure à l'existence d'une agression sexuelle commise par surprise, la cour d'appel n'a pas caractérisé celle-ci et a violé les articles 222-22 et 222-22-1 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour déclarer le prévenu coupable d'agressions sexuelles commises sur sa fille, l'arrêt attaqué relève que, pendant une année avant la dénonciation, chaque fois qu'elle se rendait chez son père, la victime a subi un certain nombre d'attouchements sexuels commis par celui-ci.

7. Les juges énoncent que la révélation s'est faite à un âge où ce genre de fait peut classiquement être dénoncé, quand la victime commence à appréhender la sexualité et le caractère illicite de l'inceste qu'elle a subi, et que la jeune fille avait dû faire des recherches sur internet pour comprendre ce qui lui était arrivé.

8. Les juges concluent que le prévenu a commis des attouchements sexuels et a surpris le consentement de sa fille, qui était âgée de 12 à 13 ans et n'avait pas, à cet âge, conscience du caractère sexuel et interdit de ce que son père lui imposait.

9. En l'état de ces motifs qui caractérisent la circonstance de surprise visée à la prévention, en énonçant que l'auteur des faits a abusé de la vulnérabilité de la victime, qui ne disposait pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes, la cour d'appel a justifié sa décision.

10. Le moyen doit, en conséquence, être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé une peine d'inéligibilité de 5 ans de M. [E], alors « que dans le choix de son quantum la peine doit être individualisée et motivée en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; que, si la décision de prononcer une peine complémentaire obligatoire n'a pas à être motivée, le choix du quantum de cette peine doit, quant à lui, l'être ; qu'en appliquant à M. [E] le maximum de la peine d'inéligibilité parce que la commission des infractions retenues est incompatible pendant cette durée avec l'exercice d'une fonction élective, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 et 132-19 du code pénal. »

Réponse de la Cour

12. Reconnu coupable du délit d'agressions sexuelles sur mineure de15 ans par ascendant, prévu par l'article 222-1 du code pénal, M. [E] devait être condamné à la peine complémentaire d'inéligibilité, pendant une durée de cinq ans au plus, par application de l'article 131-26-2 du même code, qui rend obligatoire le prononcé de cette peine complémentaire pour cette infraction.

13. Ce texte permet à la juridiction, par une décision spécialement motivée, lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle, de ne pas prononcer cette peine complémentaire en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur.

14. Il en résulte que la décision de prononcer cette peine complémentaire obligatoire n'a pas à être motivée, seul le refus de l'appliquer devant faire l'objet d'une motivation spéciale.

15. Dès lors, la cour, qui n'avait pas davantage à s'expliquer sur le quantum de la peine prononcée, a justifié sa décision.

16. Le moyen doit en conséquence être rejeté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a privé M. [E] de l'autorité parentale sur sa fille, alors « qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant le retrait de l'autorité parentale de M. [E] sur [G] [E] au seul motif que les faits justifient que M. [E] soit privé de l'autorité parentale sur [G], la cour d'appel a violé l'article 132-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

18. Après avoir déclaré le prévenu coupable de faits d'agressions sexuelles commis sur sa fille [G] l'arrêt retient que les faits justifient que M. [E] soit privé de l'autorité parentale sur elle, et qu'il n'ait plus à intervenir dans les choix importants pour sa vie.

19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a fait qu'user du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article 378 du code civil, a justifié sa décision.

20. Le moyen sera en conséquence écarté.

Mais sur le deuxième moyen,

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [E] à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux avec sursis probatoire de deux ans, d'avoir dit n'y avoir lieu à prononcer un aménagement de la peine par la présente juridiction et d'avoir d'ordonné par conséquent la convocation de M. [E] devant le juge d'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation territorialement compétents, alors :

« 1°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que le tribunal doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en prononçant une peine d'emprisonnement de quatre ans au motif que, nonobstant un casier judiciaire vierge, la particulière gravité des faits et les éléments de personnalité justifie que le prévenu soit condamné à une peine d'emprisonnement ferme, la cour d'appel a violé l'article 132-1 du code pénal ;

2°/ que si la peine prononcée n'est pas supérieure à deux ans ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge qui décide de ne pas l'aménager doit, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu ; qu'en disant n'y avoir lieu pour elle à prononcer un aménagement de la peine d'emprisonnement ferme de deux ans et en renvoyant ce soin au juge de l'application des peines parce qu'elle estimait que la situation de M. [E], pourtant présent à l'audience, devait être examinée par un juge d'application des peines au regard du quantum qu'elle prononçait et pour mettre en place la mesure la plus adaptée au prévenu, la cour d'appel qui a refusé d'aménager la peine sans motiver son refus soit en constatant une impossibilité matérielle de le faire, soit en motivant spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce et de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, a violé l'article 132-19 du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 132-19, dans ses rédactions antérieure et postérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, et 132-25 du code pénal et 464-2 du code de procédure pénale :

22. Il se déduit de ces textes que si la peine d'emprisonnement ferme est supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans au sens de l'article D. 48-1-1 du code de procédure pénale, en répression de faits commis, sans récidive légale, avant le 24 mars 2020, son aménagement est le principe et le juge ne peut l'écarter que s'il constate que la situation ou la personnalité du condamné ne permettent pas son prononcé ou s'il relève une impossibilité matérielle de le faire. Dans ce cas, le juge doit motiver spécialement sa décision, de façon précise et circonstanciée, au regard des faits de l'espèce, de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.

23. Il s'ensuit que le juge ne peut refuser d'aménager la peine au motif qu'il ne serait pas en possession d'éléments lui permettant d'apprécier la mesure d'aménagement adaptée ; dans ce cas, il doit ordonner d'une part l'aménagement de la peine, d'autre part la convocation du prévenu devant le juge de l'application des peines, en application de l'article 464-2, I, 2°, du code de procédure pénale.

24. Pour refuser d'aménager la peine de deux ans d'emprisonnement ferme prononcée, l'arrêt retient qu'il est nécessaire que la situation du prévenu soit étudiée par un juge de l'application des peines, et ce d'autant plus que M. [E] invoque la résidence alternée à l'égard de son fils [H], mais sans pour autant en justifier.

25. Les juges concluent qu'il n'apparaît donc pas en l'état possible de statuer sur l'aménagement de peine le plus adapté au prévenu et que cette question sera vue par le juge de l'application des peines territorialement compétent.

26. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

27. En effet, si elle estimait n'être pas en possession d'éléments suffisants sur la personnalité ou la situation du prévenu, il lui appartenait d'interroger celui-ci, présent à l'audience, afin d'obtenir ces éléments pour apprécier si un aménagement de sa peine, au moins dans son principe, pouvait être prononcé et, le cas échéant, d'ordonner, en application de l'article 132-70-1 du code pénal, des investigations complémentaires.

28. La cassation est, dès lors, encourue de ce chef. Elle interviendra, avec renvoi, dans toutes les dispositions de l'arrêt relatives aux peines.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 25 janvier 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre novembre deux mille vingt et un.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 21-80968
Date de la décision : 24/11/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 25 janvier 2021


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 24 nov. 2021, pourvoi n°21-80968


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:21.80968
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