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24/11/2021 | FRANCE | N°19-26064

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 24 novembre 2021, 19-26064


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 novembre 2021

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 1312 F-D

Pourvoi n° Y 19-26.064

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 NOVEMBRE 2021

Mme [M] [Z], domiciliée [Adres

se 1], a formé le pourvoi n° Y 19-26.064 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2019 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le li...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 novembre 2021

Cassation partielle

Mme MARIETTE, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 1312 F-D

Pourvoi n° Y 19-26.064

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 24 NOVEMBRE 2021

Mme [M] [Z], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 19-26.064 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2019 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'association Adege Mont Roland - Le Collège Notre-Dame de Mont Roland de Dole, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassations annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller doyen rapporteur, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [Z], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'association Adege Mont Roland - Le Collège Notre-Dame de Mont Roland de Dole, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2021 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, MM. Barincou, Seguy, conseillers, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 8 octobre 2019), Mme [Z] a été engagée par l'association déclarée d'enseignement secondaire général du Mont Roland (l'association), organisme de gestion de l'enseignement catholique, suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 1er septembre 2012 et lettre de mission de l'autorité de tutelle du même jour, en qualité de chef d'établissement d'un collège et de coordinatrice du groupe scolaire [3].

2. Par courrier du 7 mars 2015, elle a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement, fixé au 18 mars 2015.

3. Après que l'association a obtenu, le 24 mars 2015, de l'autorité de tutelle, l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute grave, elle a été licenciée par lettre du 26 mars 2015.

4. Elle a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et subsidiairement à son caractère infondé et au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice résultant du licenciement nul ou, à tout le moins injustifié, à titre d'indemnité de licenciement, de rappel de salaire de la date du licenciement au 31 août 2016 en application de l'article 3.5.3 du statut du chef d'établissement de l'enseignement catholique, de congés payés, de dommages-intérêts en application de l'article 3.5.2 du statut, de dommages-intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement, d'indemnité de préavis, outre les congés payés et au titre des frais irrépétibles, alors :

« 1°/ que licenciement d'un chef d'établissement de l'enseignement catholique ne peut intervenir sans que l'autorité de tutelle, après avis du conseil de tutelle, ait préalablement prononcé et motivé la fin de la mission du chef d'établissement ; qu'en jugeant que le licenciement pour faute grave ne nécessitait pas le retrait préalable de sa mission de chef d'établissement par l'autorité de tutelle, la cour d'appel a violé les articles 166, 167 et 168 du statut de l'enseignement catholique en France du 1er juin 2013 ;

2°/ que le licenciement pour faute grave d'un chef d'établissement d'enseignement catholique est subordonné à l'avis motivé de l'autorité de tutelle qui doit précéder son accord donné au licenciement ; qu'en jugeant que la procédure de licenciement avait été respectée au prétexte que l'autorité de tutelle avait donné son accord le 24 mars 2015 sans avoir recherché si elle avait préalablement émis un avis motivé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 166, 167 et 168 du statut de l'enseignement catholique en France entré en vigueur le 1er juin 2013. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 166 du statut de l'enseignement catholique adopté par l'assemblée plénière de la conférence des évêques de France le 18 avril 2013 et publié le 1er juin 2013, si le chef d'établissement ne remplit pas, de manière avérée et habituelle, la mission qui lui a été confiée ou si le ou les rappels à la mission sont restés sans effet, l'autorité de tutelle, après avis du conseil de tutelle compétent, ayant entendu au préalable le chef d'établissement, et de l'instance compétente de l'organisme de gestion qui l'emploie, prononce et motive la fin de la mission du chef d'établissement. Le retrait de la mission du chef d'établissement déclenche une procédure de licenciement par l'organisme de gestion, selon les modalités prévues par la loi française. La lettre de licenciement doit comporter les faits qui ont motivé le retrait de mission.

7. Selon l'article 167 de ce statut, si l'organisme de gestion, employeur du chef d'établissement, estime que ce dernier a commis des fautes professionnelles ou qu'il se révèle incapable d'exercer sa fonction, l'instance compétente sollicite l'accord de l'autorité de tutelle pour licencier. Cette dernière entend le chef d'établissement et donne à l'organisme de gestion un avis motivé. Le licenciement du chef d'établissement est subordonné à l'accord de l'autorité de tutelle.

8. Enfin, l'article 168 dispose qu'en cas de faute grave ou lourde, le président de l'organisme de gestion, de sa propre initiative ou sur celle de l'autorité de tutelle, peut prononcer une mise à pied conservatoire du chef d'établissement. Il procède au licenciement, avec l'accord de l'autorité de tutelle, dans le respect des statuts et des dispositions légales et réglementaires.

9. Il en résulte que, dans les hypothèses de faute grave ou lourde, le licenciement disciplinaire prononcé à l'initiative de l'organisme de gestion, employeur du chef d'établissement, est seulement subordonné à l'accord de l'autorité de tutelle et ne nécessite ni le retrait préalable de la mission, ni un avis motivé de l'autorité de tutelle.

10. Ayant relevé que le licenciement pour faute grave de la salariée avait été précédé de l'accord de l'autorité de tutelle, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. La salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir dénoncé des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la conscience qu'il avait de la fausseté des faits dénoncés ; qu'en jugeant que le licenciement pour avoir dénoncé auprès des services de police des actes délictueux commis au sein de l'établissement était justifié par une faute grave quand elle avait constaté que l'un au moins des faits dénoncés était établi et avait débouché sur la condamnation de l'une des salariées de l'établissement à une amende pour détournement de l'argent résultant de la vente de brioches, ce dont il résultait que la dénonciation faite était exclusive de toute mauvaise foi et ne pouvait justifier son licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-3-3, L. 1132-4 et L. 1161-1 du code du travail et 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 :

13. Selon ce texte, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Il s'en déduit que le salarié ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

14. Pour rejeter les demandes de la salariée au titre de son licenciement nul, l'arrêt, après avoir constaté qu'elle avait été licenciée notamment pour avoir déposé une plainte le 23 décembre 2014 pour des faits susceptibles, s'ils étaient avérés, d'être pénalement sanctionnés, sans en avoir averti préalablement sa hiérarchie et portant préjudice à l'employeur, retient que malgré la gravité des faits dénoncés, l'intéressée ne fait état que de suspicions qui ont débouché uniquement sur la condamnation de l'une des salariées à une amende pour partie avec sursis, pour détournement de l'argent résultant de la vente de brioches. Il ajoute que ce dépôt de plainte est contemporain des difficultés rencontrées par la salariée à la suite de la visite de l'autorité de tutelle en janvier 2014, de l'audit réalisé entre mai et juillet 2014, ainsi que des préconisations notifiées au mois de septembre 2014 pour remédier aux difficultés constatées.

15. Il en déduit qu'il résulte de ce contexte que la salariée a dénoncé de mauvaise foi des faits imaginaires d'une particulière gravité et ne peut donc se prévaloir des dispositions de l'article L. 1132-3 du code du travail.

16. En statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi de la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute Mme [Z] de sa demande pour préjudice moral au titre de la violation des dispositions des articles L. 1222-1 et L. 1222-2 du code du travail dans le cadre de l'audit [Y] et de sa demande tendant à constater que son licenciement a été prononcé pour insuffisance professionnelle, l'arrêt rendu le 8 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne l'association déclarée d'enseignement secondaire général du Mont Roland aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association déclarée d'enseignement secondaire général du Mont Roland et la condamne à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [Z]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [Z] de sa demande visant à ce que son licenciement soit jugé nul, à titre principal, et injustifié, à titre subsidiaire, et que lui soient accordées les sommes de 142.000 euros en réparation du préjudice résultant du licenciement nul ou, à tout le moins, injustifié, 10.272,50 euros à titre d'indemnité de licenciement, 33.752,50 euros à titre de rappel de salaire de la date du licenciement au 31 août 2016 en application de l'article 3.5.3 du statut de chef d'établissement de l'enseignement catholique, 4.304,67 euros à titre de rappels de congés payés, 5.870 euros à titre de dommages-intérêts en application de l'article 3.5.2 du statut précité, 60.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement, 11.740 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents et 6.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE " Le statut de l'enseignement catholique en France, dans sa version applicable, comporte deux dispositions relatives au licenciement du chef d'établissement :
Article 166 : Si le chef d'établissement ne remplit pas, de manière avérée et habituelle, la mission qui lui a été confiée ou si le ou les rappels à la mission sont restés sans effet, l'autorité de tutelle, après avis du conseil de tutelle compétent, ayant entendu au préalable le chef d'établissement, et l'instance compétente de l'organisme de gestion qui l'emploie, prononce et motive la fin de la mission du chef d'établissement. Le retrait de la mission du chef d'établissement déclenche une procédure de licenciement par l'organisme de gestion, selon les modalités prévues par la loi française. La lettre de licenciement doit comporter les faits qui ont motivé le retrait de mission. Article 168 : En cas de faute grave ou lourde, le président de l'organisme de gestion, de sa propre initiative ou sur celle de l'autorité de tutelle, peut prononcer une mise à pied conservatoire du chef d'établissement. Il procède au licenciement, avec l'accord de l'autorité de tutelle, dans le respect des statuts et des dispositions légales et réglementaires.
En l'espèce, Mme [M] [Z] a été licenciée pour faute grave et il y a donc lieu d'appliquer l'article 168, dont les garanties ne se cumulent pas avec celles visées à l'article précédent. Mme [M] [Z] ne peut donc soutenir que la fin de mission devait être prononcée par l'autorité de tutelle préalablement au licenciement. Par ailleurs, la procédure a été précédée par l'accord de l'autorité de tutelle du 24 mars 2015 dont le contenu intégral a été repris par le premier juge. C'est donc à juste titre que ce dernier a rejeté le moyen tiré de la violation des statuts de l'enseignement catholique " ;

1°) ALORS QUE le licenciement d'un chef d'établissement de l'enseignement catholique ne peut intervenir sans que l'autorité de tutelle, après avis du conseil de tutelle, ait préalablement prononcé et motivé la fin de la mission du chef d'établissement ; qu'en jugeant que le licenciement pour faute grave de Mme [Z] ne nécessitait pas le retrait préalable de sa mission de chef d'établissement par l'autorité de tutelle, la cour d'appel a violé les articles 166, 167 et 168 du statut de l'enseignement catholique en France du 1er juin 2013 ;

2°) ALORS QUE le licenciement pour faute grave d'un chef d'établissement d'enseignement catholique est subordonné à l'avis motivé de l'autorité de tutelle qui doit précéder son accord donné au licenciement ; qu'en jugeant que la procédure de licenciement de Mme [Z] avait été respectée au prétexte que l'autorité de tutelle avait donné son accord le 24 mars 2015 sans avoir recherché si elle avait préalablement émis un avis motivé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 166, 167 et 168 du statut de l'enseignement catholique en France entré en vigueur le 1er juin 2013.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [Z] de sa demande visant à ce que son licenciement soit jugé nul, à titre principal, et injustifié, à titre subsidiaire, et que lui soient accordées les sommes de 142.000 euros en réparation du préjudice résultant du licenciement nul ou, à tout le moins, injustifié, 10.272,50 euros à titre d'indemnité de licenciement, 33.752,50 euros à titre de rappel de salaire de la date du licenciement au 31 août 2016 en application de l'article 3.5.3 du statut de chef d'établissement de l'enseignement catholique, 4.304,67 euros à titre de rappels de congés payés, 5.870 euros à titre de dommages-intérêts en application de l'article 3.5.2 du statut précité, 60.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison des conditions brutales et vexatoires du licenciement, 11.740 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents et 6.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

AUX MOTIFS QUE " la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient par ailleurs à l'employeur de rapporter la preuve de la faute grave. Il convient de reprendre successivement les différents griefs énoncés par le courrier de licenciement :

3-2-1- "Vous avez détourné l'objet de l'assemblée générale du personnel du 16 janvier 2015, AG qui avait été convoquée par le conseil de direction que vous présidez. L'ordre du jour officiel de cette assemblée était de présenter le résultat du vote sur le maintien des unités, thème pédagogique rentrant effectivement dans le cadre de ce type d'AG auquel sont convoqués les enseignants et les personnels. Or il s'avère que de manière tout à fait inhabituelle et nécessairement orientée vous avez invité également à cette assemblée deux membres du Conseil d'Administration, Mme [I] et M. [U] et vous leur avez donné la parole afin, selon vous, que la communauté éducative soit informée des dossiers au Conseil d'Administration de l'Adège. S'en sont suivies plus de deux heures de dénigrement, de critiques et d'accusations ininterrompus à l'encontre du président de l'Adège et de certains membres de l'association voire de la Direction Interdiocésaine de l'Enseignement Catholique. Dans un tel contexte, vous avez même invité la salle à se manifester par des applaudissements. Vos manoeuvres et manipulations étaient manifestement destinées d'une part à créer des dissensions et des conflits entre le président de l'Adège, les membres du Conseil d'Administration, les membres de la communauté éducative et la Direction Interdiocésaine de l'Enseignement Catholique et d'autre part, à vous dédouaner de vos propres responsabilité dans les dysfonctionnements constatés au sein de notre collège".

Il résulte d'un protocole "relatif au vote consultatif des 15 et 16 janvier 2015", que le résultat serait proclamé par le chef d'établissement lors de l'assemblée générale prévue le vendredi 16 janvier 2015 à 17h00 et il ne s'agissait pas d'une réunion informelle, contrairement à ce que soutient l'appelante, mais d'une réunion officielle sous la présidence du chef d'établissement.

L'employeur produit divers courriers et courriels, qui reprennent les faits exposés par la lettre de licenciement, notamment une liste des accusations proférées à l'égard de diverses personnes, font état de "mensonges et manipulations", leurs auteurs se disant choqués par la méthode employée et les accusations portées, qualifiant la réunion de pugilat et de règlement de compte.
Les attestations produites par Mme [M] [Z] elle-même établissent que la réunion s'est écartée de son objet, Mme [D] [A] et Mme [F] [N] attestant que "deux membres du CA se sont exprimés et ont mis au jour des choses politiquement incorrectes car cachées de longue date", M. [S] [U] indiquant quant à lui qu'après la proclamation des résultats Mme [M] [Z] a "donné la parole à Mme [I]" et qu'à aucun moment elle n'a mené les débats, tout en étant présente, démontrant ainsi que les interventions ont été faites avec son assentiment et qu'elle est restée passive alors qu'en tant que chef d'établissement elle assurait la présidence de la réunion et aurait du veiller à son bon déroulement.

Il en résulte que le grief est établi et présentait un caractère de gravité certain, dès lors que la réunion s'inscrivait dans un climat social déjà détérioré.

3-2-2 - "Courant janvier 2015, l'Adège a été informée d'une plainte pénale que vous avez déposée sur des faits qualifiés d'escroquerie, de détournement de fonds, d'abus de confiance. S'il n'est nullement question de préjuger du contenu des faits que vous avez rapportés et/ou de l'issue de l'enquête pénale engagée, ce sont vos manquements à l'égard de l'Adège qui vous sont reprochés. En effet, si vous soupçonniez des agissements- aussi graves- voire la commission d'infractions pénales, vous auriez dû informer préalablement et de manière officielle, votre employeur, l'Adège et son Conseil d'Administration de votre dépôt de plainte. Une telle dissimulation caractérise bien, comme précédemment, la violation de votre obligation contractuelle de loyauté à l'égard de votre employeur. En effet, pour tenter de préserver vos propres intérêts, vous vous êtes affranchie de vos obligations contractuelles et avez dissimulé votre démarche qui a de surcroît porté un préjudice considérable à l'Adège de par les nombreux échos véhiculés par la presse locale"
(?)
Sur l'application au grief des dispositions des articles L. 1132-3-3, L.1132-4 et L. 1161-1 du code du travail
Selon ces dispositions, l'article L 1132-3 du code du travail aucune personne ne peut être licenciée pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. En cas de litige dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Mme [M] [Z] soutient qu'elle n'a pas procédé à un dépôt de plainte mais à un simple signalement dans le cadre de sa mission de chef d'établissement. Le procès-verbal de six pages, signé par Mme [M] [Z], débute par la mention selon laquelle "se présente la personne ci-dessous dénommée, qui sous forme de plainte nous déclare...", pour se terminer par la mention "je dépose donc plainte pour les faits désignés ci-dessus", Mme [M] [Z] précisant (p.2) qu'elle a la capacité juridique de déposer plainte. Par ailleurs, même si Mme [M] [Z] était accompagnée de M. [T], directeur adjoint qui a également signé le procès-verbal, la seule identité du plaignant est celle de Mme [M] [Z], la plainte étant uniquement retranscrite à la première personne du singulier, l'appelante ne pouvant donc soutenir qu'il n'est pas possible de distinguer les propos tenus par elle et par son adjoint. Mme [M] [Z] a donc de manière claire procédé à un dépôt de plainte en sa qualité de chef d'établissement. Cette plainte dénonce des faits de détournement d'argent dans deux associations au sein de l'établissement et une association en lien avec l'Adège, des infractions à la législation du travail, la gestion des travaux, en citant pour chacun des faits les personnes dont elle soupçonne qu'ils ont commis des infractions et en indiquant qu'il existe un "système mafieux". Elle impute à un cadre éducatif un "chantage à l'emploi", le recrutement parmi les personnels éducatifs de "pervers sexuels" qu'il laissait volontairement et en connaissance de cause avec les enfants, d'avoir "été au courant d'abus d'enfants", indique qu'un ancien directeur "organisait des partouzes", lui impute des faits de "violences, alcoolisme, abandon de poste, manipulation, harcèlement, chantage, enregistrement illicite". Un autre cadre est accusé de faire regarder à ses élèves des films et images pédophiles. Elle indique ensuite qu'elle a "peur que cette enquête débouche sur des faits de viols sur enfants, c'est même certain que nous venons de découvrir des faits de viols sur des enfants", pour terminer par "des affaires financières sont donc étouffées mais surtout des affaires de m?urs" et enfin assurer qu'elle en aurait pour des "dizaines d'heures" pour révéler l'ensemble des faits. Le premier juge a procédé à une analyse détaillée des faits ainsi que du contexte de ce dépôt de plainte, qui fait apparaître que malgré la gravité des faits qu'elle dénonce, en impliquant des tiers précisément identifiés, Mme [M] [Z] ne fait état que de suspicions, qui malgré l'ampleur des pièces produites - une centaine de kilos - ont débouché uniquement sur une condamnation de l'une des salariées à une amende pour partie avec sursis, pour détournement de l'argent résultant de la vente de brioches. Mme [M] [Z] ajoute qu'elle est par ailleurs victime d'un complot, de pressions et qu'elle est épiée et surveillée. Ainsi que l'a relevé le premier juge ce dépôt de plainte est contemporain des difficultés rencontrées par Mme [M] [Z] à la suite d'une visite de l'autorité de tutelle en janvier 2014, de l'audit réalisé entre mai et juillet 2014, ainsi que des préconisations notifiées au mois de septembre 2014 pour remédier aux difficultés constatées. Il en résulte donc que Mme [M] [Z], dans ce contexte, a dénoncé de mauvaise foi des faits imaginaires d'une particulière gravité et qu'elle ne peut donc se prévaloir des dispositions précitées.

Mme [M] [Z] a déposé plainte devant les services de police le 23 décembre 2014, puis a averti l'autorité de tutelle, l'employeur n'étant lui-même informé de la plainte que le 27 février 2015 par l'intermédiaire du directeur interdiocésain. Elle ne peut donc affirmer qu'elle a travaillé dans un souci constant de dialogue avec sa hiérarchie alors qu'elle n'a jamais communiqué à l'employeur la plainte qu'elle avait déposée en tant que représentant légal de l'Association et a ainsi violé l'obligation de loyauté qui s'imposait à elle. Par ailleurs, il ne peut être contesté que la démarche de Mme [M] [Z] a causé un préjudice important à l'Association au vu des multiples extraits de presse produits, alors que les faits réellement avérés étaient très limités.

3-2.3 - "Vous avez adopté à plusieurs reprises un comportement qui pourrait être assimilable à du harcèlement moral. Il a été en effet porté à notre connaissance le comportement particulièrement inadmissible que vous avez eu le 19 décembre 2014 à l'égard de Mme [R], salariée de l'Adège. Ce jour-là, pour la troisième fois en une semaine vous avez convoqué Mme [R], qui, en outre, avait manifesté le désir de se faire accompagner par une personne neutre ce qui lui a été refusé. Or en sortant de votre bureau celle-ci est apparue très perturbée menaçant de mettre fin à ses jours. Au vu de l'état de Mme [R], l'infirmière du collège a contacté le SAMU. Or avant l'arrivée de l'équipe du SAMU, vous êtes venue jusqu'à l'infirmerie et avez invectivé très gravement Mme [R] malgré son état".

Mme [R] est la salariée qui sera ultérieurement condamnée par le tribunal correctionnel pour avoir détourné l'argent provenant de la vente de brioches. Le premier juge a retenu qu'en convoquant à trois reprises Mme [R] dans un contexte de recherche de preuves, en adoptant une attitude inquisitoire et en ne lui permettant pas ainsi qu'elle le sollicitait d'être assistée par un salarié, Mme [M] [Z] n'a pas mesuré l'incidence psychologique de son comportement nonobstant la réalité des faits dénoncés attestés par la condamnation pénale. Si les conditions dans lesquelles ont eu lieu les entretiens successifs ne résultent pas clairement des pièces produites il n'en reste pas moins que Mme [C] [G], l'infirmière indique que, alors qu'elle était en attente du Samu pour le transport de Mme [R], Mme [M] [Z] a fait irruption dans l'infirmerie en invectivant la salariée, que la directrice a refusé de quitter les lieux, et qu'en tant que soignante elle a dû ordonner à Mme [M] [Z], qui était sa supérieure hiérarchique, de quitter les lieux, le grief étant donc au moins constitué sur ce point.

3-2-4- "Un même comportement déstabilisateur et inquisiteur a été adopté à diverses reprises à l'encontre d'autres salariés et notamment de Mme [V] [H], et encore en dernier lieu le 20 janvier 2015".

Ce grief s'appuie uniquement sur un courrier peu circonstancié de Mme [V] [H] en date du 20 janvier 2015, et il ne pourra donc être retenu.

3-2-5- "Il s'avère que vous avez outrepassé vos pouvoirs en cherchant à obtenir, de la part du responsable informatique la communication de l'ensemble des ressources informatiques de l'association, qu'il s'agisse des données professeurs, des données administratives, des accès aux comptes e-mail. Vous avez également sollicité la communication des identifiants et mots de passe administrateur des systèmes informatiques et des utilisateurs de la messagerie, souhaitant accéder, de manière anonyme, à toutes les données informatiques de l'établissement. Mme [M] [Z] fait valoir que les faits sont prescrits, alors que l'employeur justifie par la production d'un courriel de l'informaticien qu'il a été averti des faits le 8 janvier 2015, de sorte que le délai de deux mois prévu par l' article L 1332-4 du code du travail n'était pas expiré à la date d'engagement des poursuites le 7 mars. Les faits, que le premier juge a analysés ne sont pas contestés dans leur matérialité par Mme [M] [Z], qui conteste la qualification de vol, alors qu'il lui est reproché d'avoir tenté d'accéder aux données informatiques notamment en se faisant communiquer les mots de passe des utilisateurs de messagerie. Les faits sont donc établis, même si leur gravité peut être relativisée dès lors que Mme [M] [Z] n'a pas eu accès aux données à la suite du refus de l'informaticien de lui communiquer les identifiants.

3-2-6- "Vous avez soustrait un ensemble de documents et de dossiers se trouvant précédemment dans les bureaux de l'Econome et/ou de la Direction. Le 27 janvier 2015, date à partir de laquelle vous avez fait l'objet d'un arrêt de travail pour cause de maladie, nous n'avons pu que constater leur disparition". Le courrier comporte par ailleurs en annexe "une liste non exhaustive des documents et dossiers manquants à restituer". Le premier juge a, à juste titre retenu qu'en l'absence de procès-verbal de remise des documents à la police, il n'était pas possible d'établir de manière précise la matérialité du grief et qu'il existait au minimum un doute sur la réalité de la soustraction.

Même en faisant abstraction des griefs qui n'ont pas été retenus, les faits établis à l'encontre de l'appelante sont constitutifs d'une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, compte tenu de leur multiplicité et des fonctions de la salariée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave et débouté Mme [M] [Z] de l'ensemble des demandes au titre du licenciement et en outre de celles fondées sur les articles 3.5.2 et 3.5.3 du statut du chef d'établissement du second degré de l'enseignement catholique dont l'application est exclue en cas de faute grave " ;

1°) ALORS QU'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir dénoncé des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la conscience qu'il avait de la fausseté des faits dénoncés ; qu'en jugeant que le licenciement de Mme [Z] pour avoir dénoncé auprès des services de police des actes délictueux commis au sein de l'établissement était justifié par une faute grave quand elle avait constaté que l'un au moins des faits dénoncés était établi et avait débouché sur la condamnation de l'une des salariées de l'établissement à une amende pour détournement de l'argent résultant de la vente de brioches, ce dont il résultait que la dénonciation faite par Mme [Z] était exclusive de toute mauvaise foi et ne pouvait justifier son licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-3-3, L. 1132-4 et L. 1161-1 du code du travail et 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°) ALORS QUE la mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime ne peut être caractérisée que par sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés ; qu'en jugeant que Mme [Z] avait déposé plainte auprès des services de police pour différentes infractions commises au sein de l'établissement dont elle avait la direction de mauvaise foi au seul motif que le dépôt de plainte était contemporain avec les difficultés rencontrées par la salariée à la suite d'une visite de son autorité de tutelle, ce qui était impropre à établir qu'elle aurait procédé à la dénonciation de faits non établis en toute connaissance de cause de leur fausseté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3-3, L. 1132-4 et L. 1161-1 du code du travail et 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19-26064
Date de la décision : 24/11/2021
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon, 08 octobre 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 24 nov. 2021, pourvoi n°19-26064


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:19.26064
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