La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/11/2021 | FRANCE | N°20-86592

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 novembre 2021, 20-86592


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° K 20-86.592 F-D

N° 01402

ECF
23 NOVEMBRE 2021

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 NOVEMBRE 2021

L'association [1] ([1]) et M. [W] [Z] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 5 octobr

e 2020, qui, pour diffamation publique envers un particulier, les a condamnés, chacun, à 5 000 euros d'amende avec sursis e...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° K 20-86.592 F-D

N° 01402

ECF
23 NOVEMBRE 2021

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 NOVEMBRE 2021

L'association [1] ([1]) et M. [W] [Z] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 5 octobre 2020, qui, pour diffamation publique envers un particulier, les a condamnés, chacun, à 5 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. [W] [Z] et de l'association [1], les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. [S] [V], partie civile, et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Dary, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. L'[1], association à but non lucratif de droit suisse, organise des compétitions internationales de rugby dans le cadre desquelles elle a édicté un règlement, prévoyant notamment la création d'une commission disciplinaire indépendante pouvant être saisie en cas de non-respect de celui-ci.

3. Le 14 janvier 2018, lors d'un match du [3] ([3]), un de ses joueurs a eu une altercation avec un joueur de l'équipe adverse qu'il a traité de « fucking faggot ». A la suite de cet incident, le président du [3], M. [S] [V], a tenu des propos destinés à relativiser la portée de cette insulte.

4. Par décision du 4 juillet 2018, la commission disciplinaire a sanctionné le [3] et M. [V]. L'[1], par l'intermédiaire de son directeur général, M. [Z], a, alors, rédigé un communiqué de presse intitulé « Décisions disciplinaires - [S] [V] et le [3] », publié le 17 juillet 2018 sur son site internet [02].com pour évoquer cette sanction.

5. Le 31 juillet 2018, le [3] et M. [V] ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef précité devant le doyen des juges d'instruction du tribunal saisi, visant le contenu de ce communiqué dans son intégralité et particulièrement le passage suivant : « M. [V] a réagi par des propos qui, entre autres démontraient un comportement homophobe, et faisaient preuve de discrimination, insultaient différents groupes et jetaient le discrédit sur le rugby par des attaques, des critiques et des paroles dénigrantes envers l'[1] ».

6. A l'issue de l'information, M. [Z] et l'[1] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel qui, par jugement du 26 février 2020, a déclaré les prévenus coupables de diffamation publique envers un particulier, a condamné l'[1] à 10 000 euros d'amende et M. [Z] à 5 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

7. L'[1] et M. [Z] ont relevé appel de cette décision, le ministère public ayant formé appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa seconde branche

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables de diffamation, alors « que le communiqué de presse prétendument diffamatoire, faisait état, en premier lieu, de plusieurs plaintes portées par l'[1] auprès de la commission disciplinaire pour conduite inappropriée de M. [V], notamment à raison de propos tenus le 14 janvier 2018, « qui, entre autres, démontraient un comportement homophobe, et faisaient preuve de discrimination, insultaient différents groupes et jetaient le discrédit sur le rugby par des attaques, des critiques et des paroles dénigrantes envers l'[1] » et, d'autre part, relatait la décision de « la commission de discipline indépendante [qui] a confirmé toutes les plaintes contre M. [V] et le [3] dans leur intégralité, en estimant (entre autres) que les commentaires de M. [V] étaient discriminants et insultants a l'égard de différents groupes et portaient préjudice à la réputation du rugby » ; qu'en estimant que l'[1], avait, par ce communiqué, prétendu que M. [V] avait eu un comportement homophobe qui avait été lourdement sanctionné par la commission de discipline, et que ce commentaire dénaturant totalement les termes de la décision de la commission était diffamatoire, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du communiqué de presse en question et a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 24 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme :

10. Il résulte de ce texte que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article précité.

11. Pour déclarer les prévenus coupables de diffamation publique envers M. [V], l'arrêt retient qu'en indiquant qu'elle avait déposé plainte pour des propos qui démontraient un comportement homophobe et en laissant entendre, dans son communiqué, que la commission avait retenu le bien-fondé de sa plainte, l'[1] a prétendu que M. [V] avait eu un comportement homophobe qui avait été lourdement sanctionné, alors qu'il ne l'a été que pour des propos qui tendaient à banaliser des insultes homophobes en les faisant passer pour des termes entrés dans le langage courant, sans qu'ils emportent un jugement de valeur sur l'orientation sexuelle de celui auquel ils étaient adressés et qu'ils pouvaient être admis dans « le feu de l'action ».

12. Les juges ajoutent que la banalisation de propos insultants à connotation homophobe dans ce contexte ne peut être assimilée à un comportement homophobe et que la commission disciplinaire n'a pas fait un tel amalgame en retenant que le terme employé n'avait que des connotations négatives, qu'il était insultant et discriminant, mais sans en déduire qu'il révélait un tel comportement.

13. Ils en concluent qu'en affirmant dans son communiqué que M. [V] avait été sanctionné pour des propos qui démontraient un comportement homophobe, l'[1] a totalement dénaturé les termes de la décision de la commission de discipline.

14. Pour rejeter, ensuite, la bonne foi dont les prévenus ont excipé, les juges relèvent qu'une telle dénaturation ne peut avoir qu'un caractère volontaire et qu'il n'y a eu aucune prudence ni nuance dans la rédaction de ce communiqué.

15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

16. En premier lieu, la cour d'appel ne pouvait apprécier la question de la dénaturation par le communiqué de presse de la décision disciplinaire au stade de l'examen du caractère diffamatoire du propos poursuivi, une telle question relevant de l'appréciation de la bonne foi au titre de la base factuelle.

17. En second lieu, d'une part, le rédacteur s'exprimait dans un but légitime par un communiqué destiné à rendre compte d'une décision disciplinaire prise à la suite des plaintes déposées par l'[1], d'autre part, les propos tenus reposaient sur une base factuelle suffisante, M. [V] ayant pris la parole pour relativiser le caractère homophobe d'une insulte prononcée par un des joueurs du club qu'il préside, ce que la commission disciplinaire a sanctionné en retenant qu'il s'agissait de propos discriminants à l'égard de certains groupes, de sorte que n'est caractérisée aucune dénaturation.

18. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

Et sur le moyen, relevé d'office, pris de la violation de l'article 93-4 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et mis dans les débats

Vu ledit article :

19. Il se déduit de ce texte qu'aucune peine ne saurait être prononcée à l'encontre des personnes morales en raison des délits de presse.

20. Les juges, pour condamner l'[1] à 5 000 euros d'amende avec sursis pour diffamation publique envers un particulier, retiennent que le communiqué de presse a été établi au nom et pour le compte de la personne morale qui, contrairement à ce qu'elle soutient, ne saurait invoquer les dispositions de l'article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881 puisque, n'étant pas un organe de presse, les dispositions des articles 42 ou 43 de cette loi ne sont pas applicables à l'espèce.

21. Mais en prononçant ainsi une peine pour un délit qui ne peut être imputé à une personne morale, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

22. En effet, d'une part, les dispositions de l'article 43-1 susvisé ne concernent pas seulement les sociétés éditrices mais toutes les personnes morales, d'autre part, si les articles 42 et 43 de la loi de 1881 ne sont pas applicables à l'espèce, les articles 93-2 à 93-4 de la loi de 1982, s'agissant d'une communication par voie électronique, le sont.

23. D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

24. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 octobre 2020 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne M. [Z] et l'[1] ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois novembre deux mille vingt et un.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 20-86592
Date de la décision : 23/11/2021
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 05 octobre 2020


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 nov. 2021, pourvoi n°20-86592


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot, SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2021:20.86592
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award